Publié le Mardi 28 juillet 2015 à 12:00:00 par Alexandre Combralier
Yes we Khan
Crusader Kings II est l’un des jeux les plus vendus de l’histoire de Paradox Interactive : avec plus d’un million d’exemplaires écoulés, le wargame de l’éditeur suédois a conquis le cœur des adeptes du genre avec un système de jeu retranscrivant à merveille la complexité des féodalités médiévales… Ou plutôt, devrions-nous dire, avec « des systèmes de jeux ». Car au fur et à mesure que les extensions se sont empilées, les horizons se sont élargis : les souverains musulmans (
Sword of Islam), païens (
The Old Gods), bouddhistes (
Rajas of India)… et bien d’autres encore sont venus rejoindre la palette des options disponibles, chacun avec ses spécificités propres. Avec Horse Lords, Paradox s’attaque aux grands souverains nomades en proposant un type de gameplay tout à fait particulier. De quoi faire de cette extension, osons-le dire tout de suite, la meilleure d’entre toutes.
Au cours d’une partie normale dans Crusader Kings II, aux alentours de l’an 1220, un événement fixe venait prévenir le joueur de l’arrivée de mystérieux nomades de l’Est. Un siècle plus tard, l’impitoyable Horde d’Or, emmenée par Gengis Khan puis par ses successeurs, avait normalement conquis une bonne partie des terres orientales (adieu, le Grand-Duc de Novgorod), et venait frapper à la porte du Roi de Hongrie ou de l’Empereur de Byzance. Les armées du Grand Khan étaient innombrables. Avec Horse Lords, l’on peut enfin incarner véritablement Gengis Khan et se lancer aussi à la conquête de l’Empire Universel.
Gengis Khan, mais pas que. Horse Lords élargit la surface d’une partie en rendant jouables de grandes terres à l’est jadis grisées. Crusader Kings II s’étend désormais au plus profond de la Sibérie, et, pour peu que vous possédiez les précédentes extensions, le nombre de comtés disponibles devient réellement impressionnant. Évidemment, selon la date de départ (du VIIIème siècle à 1337), la situation géopolitique est à chaque fois différente. Le départ le plus facile consiste à incarner les hordes mongoles, mais il est aussi tout aussi intéressant de démarrer au VIIIème siècle, de contrer la montée en puissance arabe et de conquérir de nombreuses terres encore païennes.
Pour ce faire, il va falloir sérieusement revoir vos habitudes. Avec les nomades, la possession de fiefs stricto sensu n’a plus l’intérêt décisif qu’il avait auparavant. Les hordes recherchent d’abord des régions vides de toute construction, ces fameuses terres incultes qui ne servaient à pas grand-chose auparavant. Froides (attention à l’usure des troupes) et inhospitalières de prime d’abord, ces terres vous serviront ici grandement. Car les hordes ne sont attachées à aucun fief : leur capitale (indispensable pour de nombreuses améliorations) est facilement mobile. Chaque terre vide permet d’augmenter la population totale de votre clan. Cette population est directement reliée à votre puissance militaire (la Main d’œuvre, utilisée pour renforcer les effectifs existants ou pour en recruter de nouveaux) autant qu’économique : les armées comme les recettes fiscales s’accroissent donc avec la démographie.
Il faut par conséquent veiller à ne pas se trouver à la limite maximale de la population pour continuer à grandir. La conquête permanente de nouvelles terres devient alors impérative. De surcroît, la religion Tengri (celle de nombre de nomades) octroie un malus conséquent de deux points de prestige par mois en cas de paix prolongée. A vous de mener de Grandes Invasions qui feront passer celle des Germains pour de la broutille. Chaque fois que la population du joueur atteint les 90 % du seuil maximal théorique, le casus belli « Invasion » est en effet disponible, ce qui permet de conquérir de vastes étendues de steppes… ou de terres conquises. A condition de bien gérer sa population, il devient ainsi tout à fait possible de mettre au pas de grandes régions « civilisées » (l’Italie, la France, la Hongrie…) en une seule fois, ce qui est un avantage incomparable.
D’autres Casus Belli sont disponibles, dont « Assujettissement » (conquête d’un Royaume non-nomade, utilisable une fois par règne d’un souverain Tengri), « Subordination » (moins fort qu’Invasions, mais disponible en permanence) et « Rendre tributaire » (l’État conquis deviendra un allié et vous versera 40 % de son revenu, mais cette situation cesse à la mort de votre souverain). Forcément, viendra le temps où il faudra à nouveau conquérir de nouvelles terres vides au risque de voir les clans rivaux grandir plus vite que vous…
Les clans dans Crusader Kings II rendent la gestion traditionnelle des vassaux moins décisive qu’habituellement. Chaque tribu nomade compte au minimum un clan, et pourra en compter une dizaine si elle s’étend énormément. Le chef de clan est une sorte de « super-vassal » qu’il faudra particulièrement choyer, au risque de provoquer des rebellions particulièrement massives. Chaque chef de clan exige une redistribution équitable des terres et des steppes conquises. Pour éviter qu’un chef de clan devienne plus puissant, il faudra donc appliquer la bonne vieille formule du « Diviser pour mieux régner » en montant pourquoi pas un clan contre un autre. Le bon côté de la médaille est qu’une fois mis dans la poche (notamment en contractant un Pacte de sang), les chefs de clan sont des précieux alliés pour accompagner vos conquêtes incessantes.
Il reste toujours possible à un joueur nomade de se féodaliser et ainsi de changer son type de gouvernement. Forcément, la partie sera d’emblée moins spécifique : on reviendra à une gestion traditionnelle, et on se désolidarisera même des autres clans, perdant sans doute de nombreux pans de territoire. Mieux vaut alors continuer à piller les coffres des villes non-nomades conquises, et redistribuer les terres aux clans, pour éviter au maximum les pénalités de culture et de religion différentes qui ne cesseront d’arriver. Cependant, avec les autres clans nomades à vos côtés, les rebellions des zones non-nomades conquises deviennent plus facile à gérer, quoique plus fréquentes.
Sans opposition féroce au VIIIème siècle (sans la chrétienté morcelée, et sans l’Empire arabe si vous vous convertissez au sunnisme), l’expansion nomade devient exponentielle. Avec les Bolghar, comme ma population permettait le Casus Belli Invasions, j’ai ainsi pu conquérir l’Empire Byzantin et une bonne partie de l’Europe en moins de trois siècles. Les nomades disposent d'ailleurs d’un avantage militaire certain, puisqu’ils combattent quasiment tous à cheval. Cependant, une mauvaise gestion des clans peut faire s’écrouler tout l’édifice. Et les tribus nomades voisines ne sont pas connues pour leur pacifisme… Il n’en reste pas moins que les nomades semblent au-dessus des souverains chrétiens ou musulmans : un patch correctif est-il à venir pour rétablir l’équilibre ? On aimerait également que l'interface, certes généralement excellente, soit améliorée sur un point précis : la lisibilité des pillages disponibles, dont la liste est rapidement surchargée après de vastes conquêtes.
L’unité de vos Khanats est d’autant plus précaire qu’un nouveau système de succession fait son apparition. La succession nomadique ne partage heureusement aucune terre, mais peut faire hériter un chef de clan rival s’il a plus de terres ou de prestige que votre héritier mâle. Il faut donc veiller à rendre très puissant dès sa majorité votre héritier, en l’accordant le bénéfice de nombreuses terres ou en l’envoyant en tant que mercenaire (solution avantageuse en termes de prestige, mais risquée, car votre fils pourrait ne jamais revenir…). Un nouveau défi stratégique en perspective…
Afin d’améliorer l’immersion, Paradox y est allé de ses habituels événements aléatoires qui tous répondent parfaitement au cahier des charges. A travers les « Funérailles célestes » de votre prédécesseur, de l’adoption d’un Cheval de Guerre ou de l’adoption d’un mystérieux « Enfant-Loup », le joueur parcourt un peu de la mythologie tengrie. Dommage que les djihads du tout-puissant Empire Arabe obligent bien souvent à se convertir de force au sunnisme…
Au rayon décidément très vaste des nouveautés de cette extension (et dont nous n’avons relevé que les plus substantielles), il faut encore noter l’apparition de la Route de la Soie. Concrètement, il s’agit d’une route commerciale qui pourrait rapporter gros à qui en possède un point de passage : ce comté rapporte alors du 7 pièces d’or à l’an, soit quatre à cinq fois plus qu’à l’ordinaire. Toutefois, en cas de guerre, la Route de la Soie est interrompue, ce qui arrive souvent dans l’univers de Crusader Kings II…
Avec Horse Lords, Paradox a sans aucun doute livré une extension remarquable qui, sans bien sûr bouleverser du tout au tout la formule originale, a suffisamment d’intérêt pour éveiller à nouveau le plaisir et la passion des habitués du jeu de base. Incarner un souverain nomade au travers d’un système de jeu encore jamais vu est grisant pour qui croyait avoir tout connu du fameux wargame médiéval. Bien sûr, le prix de l’extension (14,99 €) sera encore trop élevé pour beaucoup. Mais s’il ne devait en rester qu’une, ce serait celle-ci. Sans aucune hésitation.