Publié le Dimanche 3 août 2014 à 12:00:00 par Walid Hamadi

 

L'Edito du dimanche

Why so serious ?

J’aime rire. Et surtout, j’aime rire de tout. Et quand je dis de tout, c’est vraiment de tout. Et heureusement que j’ai de très bons amis qui rient de tout avec moi. Sinon, il y a déjà un bout de temps que je serai en prison pour je ne sais quelle incitation à la haine raciale, à la nécrophilie ou à cause de l’apologie de crimes de guerre. Heureusement, j’ai bien appris la leçon de Pierre Desproges. On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui.

Et c’est bien dommage ! Parce qu’il n’y a rien de tel que l’humour pour détendre n’importe quelle atmosphère. Alors bien sûr je n’irai pas faire de blagues graveleuses à une mère qui pleure son enfant à un enterrement, je ne suis pas cruel non plus. Mais suggérer à une nouvelle maman qui ne dort plus à cause de son chiard qui ne fait pas ses nuits, de foutre ce dernier dans un congélo puis de le servir à diner en tant que « Tendre de rôti à la Véronique Courjault » ne me fait pas peur. Jusque-là, je suis tombé sur de bons clients quand je me suis aventuré à de telles acrobaties verbales. Tant mieux pour moi.

Mais je crains que mon public soit de plus en plus restreint. En ces temps sombres où les nerfs sont à vif et les tensions sont prêtes à lâcher dans un grand éclatement, l’humour se perd. Quand la guerre fait rage par pure haine de l’autre à quelques milliers de kilomètres d’ici, en France, on choisit de rester sérieux parce que l’heure est grave. Alors c’est ça la solution ? Faire la gueule en se prenant la tête dans les mains pour montrer qu’on est affligés ? Dans de telles situations, à ma petite échelle sociale, quand je fais face à la connerie humaine, mes outils préférés sont l’ironie et l’humour absurde.

Quand quelqu’un fait montre de stupidité crasse devant vous dans une file d’attente, rien de mieux pour lui faire fermer son bec qu’une connerie encore plus grosse que la sienne. Ça fera rire les témoins et déstabilisera le crétin. Bien plus qu’une confrontation directe dans le but de lui faire la leçon. Exemple.

Pendant que je ne suis pas sur Gamalive, en train de guetter l’arrivée imminente d’une lectrice pour tenter de la séduire, je couvre des matches de foot dans la région toulousaine où je vis. Et qui dit foot, dit supporters bas du front qui commentent de manière virulente la moindre décision de l’arbitre. Quand cela arrive, ça se traduit souvent par « T’es aveugle et incompétent sale arbitre ! » et autres synonymes bien inspirés. Mais quelques fois, on entend tout de même des « T’es qu’un vendu ! Sous-être, tu vaux moins qu’un rat ! », quand les abrutis susnommés atteignent un certain degré d’énervement. Lors d’un tel spectacle, je me prends alors au jeu et je trouve les insultes les plus débiles qui soient pour rivaliser dans la connerie jusqu’à mettre K.O. d’absurdité mon concurrent. Ça commence par « Bourreau d’enfants » puis ça passe par des « Tueur d’espèces protégées ; Chapardeur de biens d’autrui ; évadé fiscal ; épurateur ethnique » pour finir par un « Antisémite ! » qui en général est suffisant pour calmer tout le monde.

Essayez, c’est hilarant. Bon je vous avoue que plus la personne est débile, mieux ça marche. Cette perche ne m’a été tendue que de rares fois, mais je l’ai toujours prise avec plaisir. Au début, tout le monde est incrédule, puis à force, on comprend, et on rit. Bon il y a d’autres moyens de désamorcer les situations chaudes avec l’humour, mais je ne vais pas vous faire une thèse non plus.

Tout ça pour dire que je regrette vraiment qu’aujourd’hui, il faille peser ses mots en société. Mesurer la portée de la moindre vanne, prendre en compte qu’une frange de la population n’a pas le niveau intellectuel nécessaire pour dépasser le premier degré. Du coup, on se censure ou on est censuré. Alors, je comprends et je suis d’accord avec les lois interdisant les propos racistes qui peuvent vraiment tomber dans l’oreille d’enfants ou d’adultes peu évolués qui vont ensuite vouloir expulser les bougnoules, les négros et les polaks qui nous volent not’ travail ! Alors qu’on n’en veut même pas de ces jobs. Mais quand on va voir un spectacle humoristique, ne sommes-nous pas un minimum conscients qu’il faut laisser son sérieux au vestiaire ?

Vous voyez où et à qui je veux en venir n’est-ce pas ? Alors oui, je fais mon comming out, j’ai adoré ses précédents spectacles. J’ai ri aux larmes à plusieurs de ses sketches. Et c’est le roi de la dérision. En France, j’ai du mal à trouver mieux. Et pourtant, Allah sait que j’aimerais. Bizarrement, les blagues sur les juifs, j’en ai pas retenu des masses. Par contre, celles sur les arabes et les noirs, elles sont magistrales. Je vous conseille le sketch des Pygmées, à se rouler par terre et à foutre le cafard dès qu’on y réfléchit. C’est le deuxième effet Kiss Cool. Ce qu’il fait en dehors de ses spectacles, je n’en sais rien et à la limite je m’en fous. Par contre j’ai suivi les débuts de ses soi-disant dérapages et j’ai compris le cheminement qui fait qu’il en est là actuellement. Et tout le monde a tout fait de travers. Quand il s’est pointé avec un cure-dent pour piquer un peu, on lui a tout de suite envoyé les chars. Bien entendu, l’occasion était trop belle pour fermer sa gueule et ignorer la confrontation. Où au moins, et j’en reviens à Desproges, démonter les accusations par une simple explication. On sait où cela a mené.

Ensuite, il a dérivé dans la politique. Et là, c’est le drame. Là où Coluche avait flirté avec la ligne rouge en s’occupant seulement des problèmes de pauvreté extrême en France, qui fait bien sûr l’unanimité, ce con a choisi un camp. Et comme il aime aller au clash, il y est allé avec une massue pour taper fort. Dommage. Du coup on tente de lui mettre le plus de bâtons possible dans les roues quitte à se prendre de plus gros revers dans la gueule.

Car là où je veux en venir, c’est qu’il ne faut jamais, pour aucune raison, interdire l’humour, la caricature ou la moquerie. Même si c’est méchant. Je n’ai pas dit insultant, mais méchant. Malheureusement, ça a été fait une fois, et j’ai peur que cela ne fasse jurisprudence. Au prochain dessin de Charlie Hebdo représentant un enturbanné barbu avec une bombe ou une kalash, je me tâterai à déposer plainte et demander l’interdiction du journal.

Tout ce que je voulais, c’est avoir le droit de rire de tout. N’en déplaise aux gens sérieux.