Publié le Jeudi 1 août 2013 à 12:00:00 par Alexandre Combralier
Test : Shadowrun Returns (PC)
RPG : Rails Playing Game
Le jeu de rôle papier Shadowrun a beau être sorti en 1989, il garde une place au chaud dans les mémoires de tous les vieux briscards à n’être pas encore atteints par le fléau d’Alzheimer. La licence a connu un succès rapide, tant et si bien que deux adaptations sortirent sur NES et Sega Genesis en 1993 et 1994. Et depuis, plus rien.Il a fallu attendre le phénomène Kickstarter (la célèbre plate-forme de financement participatif) pour que le sieur Weismann et sa petite boîte de développement, Harebrained Scheme, relance enfin la machine. Les joueurs ayant largement comblé les besoins de financement du projet, c’est donc un tout nouveau titre PC tiré de la licence, sobrement baptisé Shadowrun Returns, qui nous arrive aujourd’hui.
L’univers de Shadowrun est si particulier et si réussi, qu’il fait la force du jeu de rôle papier et, forcément, de sa nouvelle adaption vidéoludique. Le jeu prend ainsi place dans un univers dystopique, la ville de Seattle, en 2054, où l’apparition subite et impromptue de la magie a bouleversé l’équilibre de la société : certains humains sont devenus des nains, des elfes, des orques ou des trolls ; le gros des troupes, c’est-à-dire le reste de l’humanité éprise de bonté, a eu tôt fait de reléguer toute cette nouvelle populace à des places inférieures. Les rues, où prospèrent les clochards et les bandits, ne sont désormais plus sûres. Pour maintenir l’ordre, on ne peut d'ailleurs plus compter sur les États, qui ont cédé la place à des méga-corporations intéressées. Eventuellement, pour quelques basses besognes, il y a toujours les Shadowrunner, sortes de chasseurs de prime des temps modernes, et vous incarnez l’un d’entre-eux.
Shadowrun Returns a fait le pari de l’ambiance et de l’univers pour combler des manques techniques inévitables pour un jeu à financement participatif. Le monde original de la licence, mêlant à la fois cyperpunk et jeu de rôle classique (les elfes, nains et trolls évoluent dans un univers futuriste) était déjà attirant sur le papier (haha), et force est de constater que sa transposition sur nos PC de 2013 est manifestement réussie. Bien sûr, le jeu, en 3D isométrique, n’émerveillera pas les yeux par ses dernières nouveautés graphiques. Cependant, la maîtrise de sa direction artistique saute à l’œil et plonge le joueur dans une atmosphère sombre mais particulièrement agréable, et cela même si les décors ne sont pas très vivants ou animés. L’ambiance générale, très immersive, est donc un des gros points forts de Shadowrun Returns.
L’imagination du joueur est d’autant plus stimulée par le foisonnement de textes qui laissera une grande part de non-dit : Shadowrun Returns est alors un RPG à l’ancienne, du type de Planescape Torment, qui nous décrit souvent (textuellement) les personnages et les situations plutôt que de nous les montrer, comme dans un vrai jeu de rôle papier. Loin d’être un cache-misère, ce procédé, trop rare de nos jours, renforce le bel attrait old school du titre. Et fort heureusement, la qualité d’écriture est nettement au-dessus de la moyenne. Le style, concis et décapant, trouve souvent la formule ou les quelques mots qui font mouche, jouant encore parfois sur quelques allitérations ou jeux de mots bien sentis. Le hic, et le gros hic, c’est que la traduction française, certes prévue, n’est pas encore disponible. Il faudra donc non seulement ne pas être anglophobe, mais ensuite très bien maîtriser la langue de nos amis d’Outre-Manche pour pleinement apprécier ce point capital du jeu.
Quant à l’histoire en elle-même, paradoxalement, elle nous a paru plus en retrait. Le scénario est classique et mêle enquête policière à petite échelle et complot occulte à grande échelle, pour quelquefois retomber dans quelques clichés scénaristiques, que ce soit dans l’approche des personnages ou le déroulement de l’intrigue. Sans se réduire pour autant à un simple prétexte pour une plongée dans un univers sombre et mystérieux, l’histoire de Shadowrun Returns manque de rythme et de folie.
Avec tout cela, on en oublierait presque que Shadowrun Returns se veut un tactical-RPG, dans la veine de Final Fantasy Tactics ou du récent X-COM. Et de fait, il semble difficile de l’oublier dès le lancement de la campagne, puisque l’on retrouve la traditionnelle création de personnages, ses races classiques (quoique, le nain est plus apte à la magie que l’elfe) ; certaines classes sont elles aussi classiques (le mage, le bourrin, le shaman, qui fait office de conjurateur), d’autres moins (le « Street Samouraï, spécialiste ès-armes de mêlée comme à distance, et le « Decker », le hacker du coin).
Le système de combat n’étonnera donc guère au-delà de la demi-seconde. C’est du tour par tour, avec un certain nombre de points d’action à dépenser par l’un de vos quatre personnages (au maximum). Attaque, magie, consommables, les trois actions convenues sont une fois de plus de retour. Il faut certes jouer avec les éléments de décor pour tenter de se mettre le plus à l’abri possible, mais globalement, la difficulté générale du jeu, clairement trop basse, ne vous fera guère explorer les limites de ce système. Une approche bourrine n’est ainsi pas sanctionnée la plupart du temps. Et si elle l’est, c’est une mauvaise nouvelle, puisque le système de sauvegarde du jeu (par checkpoints uniquement, et bien trop espacés !) est une catastrophe.
Regrettons à ce propos que certaines classes et certains talents soient sous-exploités, comme ceux du hacker (il y a bien trop peu de terminaux à pirater !) et du spécialiste en charisme, car les dialogues n’influent guère sur les combats (inévitables) et le cours de l’histoire (imperturbable), tant le jeu est pris au piège de sa linéarité. Car si Shadowrun Returns est trop facile, ce n’est pas là son moindre défaut : il est affreusement balisé.
Dans un univers si attirant, il est particulièrement décevant de devoir se sentir sur des rails ; et du reste, on l’est vraiment. Il sera impossible de revenir sur vos pas, car le jeu, qui multiplie les allers sans retour, n’est qu’une succession de tableaux – de jolis tableaux. Même le gameplay est linéaire : une fois le combat fini, impossible de lancer un sort de soin. Qu’on se le dise, Shadowrun Returns est donc l’un des RPG les plus balisés jamais créés : une belle promenade, mais en train.
Et si, finalement, il ne fallait pas prendre Shadowrun Returns comme un tactical-RPG, mais comme un point’n click ? On l’a dit, le jeu est une succession de tableaux, qui font la part belle aux décors, à l’ambiance, aux dialogues bien écrits, à l’imagination du joueur, aussi à l’enquête et à la fouille minitieuse. Finalement, en tant que point’n click, en tant que jeu d’aventure, voire presque en tant que roman interactif, Shadowrun Returns s’en sort très bien. Mais en tant que RPG, sa linéarité et sa simplicité le condamneraient assurément. C’est selon vos attentes que vous apprécierez le jeu. Shadowrun Returns est un jeu que l’on a envie de critiquer pour de multiples raisons, mais pourtant il garde un fort capital sympathie puisqu’il nous rappelle au bon souvenir des RPG du tournant des années 2000.
Ce qui le sauve surtout, c’est son éditeur de niveaux, promesse du développeur et qui répond présent. Si la campagne livrée avec le jeu n’est pas bien longue (une dizaine d’heures), l’éditeur promet au soft un avenir scintillant : une ambitieuse campagne est d’ores et déjà en préparation, et elle promet d’être plus ouverte (et plus coriace) que la campagne originale.
Y aurait-il donc tromperie sur la marchandise ? Shadowrun Returns vaut plus pour son ambiance que pour son scénario et son gameplay, plus pour son éditeur que pour sa campagne linéaire et courte. A 20 € l’avalement de pilule, nul doute que certains auront le palais amer ; mais Shadowrun Returns est à la fois un voyage immersif dans le passé et un investissement probant sur l’avenir.
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Shadowrun Returns (PC)
Plateformes : PC
Editeur : Harebrained Schemes
Développeur : Harebrained Schemes
PEGI : 12+
Prix : 19,99 €
Images du jeu Shadowrun Returns (PC) :
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