Publié le Mercredi 7 novembre 2012 à 12:00:00 par Alexandre Combralier
Test d'Okami HD (PS3)
Les Contes de la louve blanche après la nuit
La sagesse populaire a ses raisons que la raison ignore. Okami sortit, sur Playstation 2, le 20 avril 2006 au Japon, le 19 septembre 2006 aux États-Unis et le 9 février 2007 en Europe, enthousiasma la presse de tous les continents (preuve unique : 93 % sur Metacritic), obtint de nombreuses distinctions et fut un échec commercial retentissant. Le prix d’un projet ambitieux, si généreux, avait été pour Clover, le développeur, et pour Capcom, l’éditeur, un fardeau aussi incompréhensible qu’insoutenable.Clover n’en réchappa pas, ferma ses portes en 2007, avant de renaître sous le nom de Seeds, puis de Platinum Games en 2008, cependant que Capcom restait maître d’un diamant brut que trop peu encore avaient admiré. Clover défunt n’y changerait rien : un portage Wii fut achevé en 2008, aux destins critique et commercial à peu près similaires ; une suite sur Nintendo DS, Okamiden, certainement moins marquante, fut tout aussi peu vendue. Okami, série maudite ? Capcom n’en désespère pas encore en 2012. Mais plus question de se relancer dans un aussi vaste projet : Okami renaîtra une ultime fois ; ce sera le même jeu, mais pour la nouvelle génération. Comme si la PS3 allait réussir là où la PS2 avait échoué. Qui ne tente rien... La volonté de Capcom fut faite. Six ans après, Okami HD naissait.
La nouvelle forme d’Amaterasu, déesse du soleil et de la lumière et reine des hautes plaines célestes, est celle d’un portage Haute Définition. Uniquement disponible sur le Playstation Store, au prix de 19,99 €, Okami HD est un nouveau portage HD de ces anciens jeux légendaires de la PS2, aux côtés des God of War, de Shadow of the Colossus ou d’Ico. Qu’on ne s’y trompe pas : l’effort de HexaDrive, le studio responsable du portage HD, est sans comparaison aucune avec celui qu’accomplit Clover. Il n’empêche. Okami HD est peut-être, de tous ces portages, le plus réussi.
A bien y regarder, six ans après, Okami a vieilli. Non pas que sa direction artistique, audacieuse, sublime, ait pris une ride : sa maestria en impose toujours autant. Non pas que son style sans précédent ait mal supporté le passage de quelques années : toujours demeure l’impression que le jeu n’est constitué que d’estampes japonaises qui s’animent en même temps – et il l’est vraiment. Non pas que quelconque autre jeu ait eu le même cran, peut-être la même insolence, de cette direction artistique inouïe. Mais alors ? Simplement ceci : six ans après, l’on ne joue plus à Okami, version PS2, sur des écrans cathodiques. L’ère des télévisions HD a défiguré Okami.
Le portage HD s’imposait. Sera-t-il permis de parler de restauration ? Le travail de HexaDrive, pour ambitieux qu’il était, n’en demeurait pas moins indispensable. Enfin, les textures d’Okami sont en 1080 pixels. Bien sûr, cela ne veut pas dire que la technique du titre ne contrarie pas par moments le regard critique du joueur contemporain : ici c’est une herbe trop carrée, là un clipping trop prononcé, le plus grand mal graphique d’Okami assurément. Mais le travail d’HexaDrive, qui repose sur une restauration consciente et soignée, jusqu’à proposer trois niveaux de filtre graphique pour contenter chacun, joint à l’œuvre initiale de Clover, balaie ces menus reproches d’un revers dédaigneux de la main. Indispensable, le portage HD d’Okami n’avait donc pas à être aussi réussi : et pourtant il l’est.
Mais si Okami ne faisait qu’éblouir, il n’aurait pas nos éloges. Okami réjouit aussi. Ambitieux, innovant, insolent, il l’est aussi dans son gameplay. Okami est un Zelda-Like. En 3e personne et en 3D. La progression est classique : de ville en donjon ; entre les deux, des plaines ; et mêlées à tout, une longue quête principale et nombre de quêtes annexes. Okami cherche à rivaliser avec la série de Nintendo dans l’architecture des donjons : il n’y parvient pas. Là où il réussit cependant à triompher est apporté par un coup de baguette, un coup de maître dirions-nous.
Le pinceau céleste. Le joueur n’intervient pas directement sur l’environnement par sa manette : il est un autre intermédiaire. Le pinceau céleste se maniait aisément à la manette PS2, il se maniait naturellement à la Wiimote, et se manie encore plus facilement au Playstation Move. Seconde nouveauté de ce portage : la jouabilité au Playstation Move. Indispensable, elle l’était beaucoup moins : ce qui ne l’empêche pas d’être aussi réussie. Les louanges sont les mêmes que pour la version Wii : Okami, finalement, est conçu pour être joué ainsi.
13 techniques du pinceau à retrouver dans ce Nippon de fiction sont autant d’invitations au voyage. L’idée est simple : elle n’en demeure pas jouissive au début, entraînante par la suite. Et jamais l’on ne se lasse d’agir ainsi avec l’environnement. Les traits du pinceau céleste servent beaucoup : l’on alterne entre la destruction (d’ennemis, d’objets), la restauration (la renaissance des arbres, la réparation des ponts), l’interaction (transférer le feu, la glace ou la foudre d’un endroit à l’autre) et l’altération (du vent et du temps, qu’il fait et qui s’écoule). Bien sûr, tout cela a un prix : les scripts environnent le joueur, et il ne sera pas permis de faire ce qui n’a pas été prévu. Telle eau devra rester à sa place s’il n’y a aucun récipient à proximité, tel feu sera vain s’il y n’a rien à éteindre aux alentours, tel changement des vents sera inutile s’il n’y a quelque moulin à l’horizon. Mais on essaie au moins, ne serait-ce que pour profiter encore de cet apport nouveau sur une console de Sony.
Il est une troisième nouveauté, qui ne surprendra guère, qu’on accueillera sans effusion et qu’on évoquera rapidement : les Trophées. Qu’ils soient une motivation supplémentaire pour certains à s’enfouir plus profondément dans l’univers du Nippon, est déjà une justification à leur existence. Un prétexte au pire, une récompense au mieux, une simple anecdote plus raisonnablement.
Okami innove, mais il est aussi grand en ce qu’il est classique. On l’a dit : son économie ne surprendra guère. Des énigmes (qu'on résout au pinceau), de l’exploration (instants magiques : la découverte de nouveaux paysages), de la parlotte aussi (un peu trop, parfois), des combats bien sûr, mais jamais trop. Une constante, et ce sera, enfin, le premier véritable reproche : Okami est facile. Trop pour rendre les combats intéressants à la longue, quoique le système de combat en lui-même, qui enferme le joueur dans une zone dédiée à la faveur d’une rencontre sur la carte, permettant ainsi une redistribution plus efficace des touches, soit tout à fait convaincant. Mais le problème est celui du calibrage : les ennemis sont prévisibles, faibles, et même le plus engagé des joueurs en sera vite à réduit à la solution la plus efficace, c’est-à-dire, pour le dire simplement, le martèlement plus ou moins interrompu de la touche « Arme principale ». Okami avait tout pour rendre ses combats bien plus intéressants que ceux d’un Zelda : il n’y parvient pas, par manque de défi.
Zelda-Like, Okami l’est aussi en ce qu’il emprunte au genre RPG. Le menu prolifique du jeu offre l’accès à un inventaire, dans lequel l’on retrouve des objets traditionnels, de soin autant que de soutien (attaque ou défense provisoirement augmentées, bien que l’action soit en temps réelle et que les statistiques ne prennent pas une place aussi visible que dans le premier RPG venu) ; dans lequel l’on retrouve aussi un journal de quêtes, un écran « personnage » où il s’agira d’augmenter les caractéristiques de la louve blanche (santé, réservoir d’encre, taille de la bourse, et estomac mystique préservant d'un Game Over pourtant improbable), et même une carte : tout est là.
Okami est aussi un RPG, rajouterons-nous, par sa longueur. D’une formidable générosité, Okami est long : 25 heures pour la quête principale, le double, voire le triple, avec les quêtes annexes. Il réjouit d’autant plus qu’il prend plusieurs fois le joueur à contresens : là où l’on s’attend, résigné, à voir surgir les crédits, l’aventure continue au contraire de plus belle. RPG, Okami l’est encore, oserons-nous, par ses longueurs : l’introduction aurait gagné à être moins longue, ou au moins plus participative, et certaines phases de dialogue sont certainement dispensables. Ou bien sont-ce ces bruitages irritables qui servent de « voix » à tous les personnages ? Conseil : baissez le volume général des bruitages. Et laissez celui des musiques à son maximum.
Heureuse précaution. Okami est un projet si ambitieux qu’il ne fallait pas que sa musique fût anecdotique. Tout au contraire, elle est à l’image du reste : pertinente, foisonnante, éclatante. Il n’y a pas de thème qui ne soit raté. Certains sont bien sûr moins mémorables que d’autres. Mais les trois compositeurs (Masami Ueda, Hiroshi Yamaguchi et Rei Kondoh) ont réussi le pari insensé d’allier diversité et qualité : de thème languissant à thème épique ou entraînant, les variations sont multiples, mais la même exigence demeure. Les personnalités des lieux et des vivants s’éclairent souvent à l’écoute de leurs thèmes, car bien souvent ils en ont un propre : l’OST tient sur cinq disques.
Et tout cela pour quoi ? La trame d’Okami s’installe dans le légendaire et dans la mythologie shintoïste. 100 ans après, le démon Orochi est de retour. Il réclame à nouveau sa funeste viande : les jeunes femmes de l’innocent Kamiki. Mais le village a ses héros. Un siècle auparavant, ce furent Izanagi et Shiranui qui renvoyèrent le monstre en ses ténèbres. Le temps n’a pas tourné à l’avantage des défenseurs du bien : Susano fait honte à son ancêtre Izanagi. Cependant qu’Orochi n’est peut-être, lui, le démon à huit têtes, qu’un épiphénomène d’une œuvre bien plus démoniaque encore, la légendaire louve blanche elle-même ne ressort pas indemne d’un siècle de langueur céleste. C’est pourtant elle que le joueur incarne. La nouvelle forme d’Amaterasu, déesse du soleil et de la lumière et reine des hautes plaines célestes, c’est encore celle de ce prédateur aujourd’hui sauveur. Rares sont les jeux où l’on incarne un animal, plus rares sont ceux où l'on incarne un dieu, plus rares encore sont ceux où l’on incarne un dieu incarné en animal, et Okami est de ceux-là.
Pourtant, dans Okami, jamais le légendaire ne vient écraser l’intrigue de son poids étouffant. Toujours, le parodique côtoie le mythique. Cette prouesse salutaire est imputable à Issun, la puce bavarde, le morpion prolifique, le compagnon atypique, l’indispensable artiste errant. C’est lui qui vient détruire la solitude du dieu dans ses voyages et, s’il parle sans doute trop, on n’imagine pas ce qu’il en serait s’il se taisait. Nombreuses seront les rencontres, divers seront les caractères et les charismes, mais tous seront éclairés par la critique acerbe et pénétrante d’Issun, pendant réaliste, simplement terre-à-terre, à l’idéalisme naturel d’Amaterasu. Il démythifie là où la présence d’Amaterasu devrait tout mythifier. Il est l’esprit enfin d’Okami : un jeu qui pourrait avoir les airs les plus graves et les plus sérieux, mais que l’humour, le plus sincère des humours, vient sauver de ces postures les plus graves et posées.
Mais d’Okami en lui-même, il n’est peut-être pas permis d’en rire. L’un des meilleurs jeux de la décennie précédente, au destin beau et terrible à la fois, se rappelle à nous. Sa performance fut comme effacée par le ravage de la technologie HD, et, ironie de l’histoire, c’est aujourd’hui elle qui lui vient en aide. Okami HD est indispensable : pour ceux qui n’auraient jamais goûté aux aventures de la louve blanche et de la puce artiste, évidemment ; mais aussi pour ceux qui auraient déjà même joué aux opus PS2 et Wii : non seulement refaire Okami occupera encore bien quarante heures, pour 20 € répétons-le, mais encore parce que l’on tient ici la version la plus aboutie du titre de Clover, celle qui le fera passer définitivement à la postérité.
Okami HD est, en un mot, la version ultime d’un jeu ultime. Mythique.
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Okami HD (PS3)
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