Publié le Mardi 23 octobre 2012 à 12:00:00 par Laurent Benoit
Test de Doom 3 BFG Edition
Big Foutage de Gueule ?
C’est dur de critiquer un type comme Carmack. Quand même, John Carmack les mecs. Le gars qui a donné vie à Wolfenstein et Doom. Pas dans le design non, mais dans l’animation. Carmack, c’est l’auteur des moteurs 3D de la boîte. Les pixels de Doom c’est lui. Les effets de lumière de Quake et sa 3D de folie à l’époque c’est lui. Le idTech 4 (le Doom engine) de Doom 3, Quake 4 et Prey, c’est encore lui. Sans Carmack, le FPS n’aurait jamais existé tel qu’il l'a été durant ces 20 dernières années. Sans Doom, pas de Quake, pas de Duke 3D, pas de Jedi Knight, pas de Rainbow Six, pas de Kingpin, pas de Goldeneye, pas de Halo, pas de Medal of Honor, pas de… Ok je crois que vous avez saisi.Si je blâme ce bon vieux bigleux de John, c’est parce qu’il est désormais le seul survivant du quatuor de « tête » d’id Software. John Romero, le designer et créatif de Doom, a brûlé ses ailes dans l’expérience Daikatana, et n’est plus chez id depuis longtemps. Tom Hall s'est engueulé avec Carmack sur la violence de Doom et est parti fonder divers studios, parfois avec son collègue Romero (Ion Storm par exemple) avant de finir avec lui par ouvrir Loot Droop, qui prépare actuellement un RPG à l'ancienne. Quant à Adrian Carmack (aucun lien de parenté avec John), il s’est fait purement et simplement jeter de la boîte après la sortie de Doom 3 en 2004, parce qu’il ne voulait pas céder ses parts à un prix inférieur à leur valeur, lorsqu’Activision a cherché à acquérir définitivement le studio au lieu de rester son éditeur.
Ne nous éternisons pas là-dessus, si tout va bien vous aurez un papier dédié à ces histoires en temps voulu. En attendant, aujourd’hui, Bethesda, à qui appartient d'sormais id Software, et John Carmack, dernière figure de proue du studio, nous vendent du rêve via une réédition annoncée en grandes pompes :
Vous voyez, ça en jette hein ? C’est pas de l’annonce de tapette ça monsieur, on va vous en foutre plein les mirettes les cocos !« Aujourd’hui, nous ramenons au devant de la scène le jeu de tir d’id Software qui a littéralement inventé le FPS en sortant DOOM 3 BFG Edition. Nous sommes impatients de voir les nouveaux fans mais aussi les vétérans jouer à la version améliorée et prolongée de DOOM 3, ainsi qu’aux jeux classiques DOOM et DOOM 2. »
Sauf que huit ans après la sortie de Doom 3 (aussi sur la première Xbox à l’époque !), que reste-t-il ? Le jeu n’aura pas marqué le monde comme l’ont fait ses grands frères. Un FPS magnifique à l’époque, mais mettant à genoux les configurations qui n’étaient pas classées dans la niche « PC de brutasse ». Un gameplay complètement foiré en conséquence : le jeu étant super gourmand, exit les monstres en pagailles des salles de Doom 1 et 2. Il fallait désormais scripter une aventure solo pour diminuer les présences ennemies à l’écran, et donc jouer sur l’angoisse et l’horreur au détriment de l’action. D’où cette incompréhensible décision de faire un jeu vidéo plongé dans le noir, avec un space marine tellement teubé qu’il était incapable de tenir à la fois une lampe torche et un flingue.
Car il est bien là le dilemme de Doom 3. On passait tout le jeu à avancer la lampe à la main, on déclenche un script sans s’en rendre compte (enfin, passé les premières heures on finissait par les anticiper quand même), on entend un grognement, on se retourne, et là, oh là là, quelle surprise ! Un monstre sorti de nulle part ! S'ensuivent des bordées de jurons au moment où la lumière disparait car on essaie de s’armer, et on tire à l’aveuglette en se faisant laminer la gueule. Ne riez pas, Doom 3 en mode difficile, c’est à peu près ça sur les 2/3 du jeu. Un défaut incompréhensible, à un tel point que les fans mettront très vite en ligne un mod baptisé « duct tape » (rouleau de scotch), réponse maison au problème, en fixant la lampe sur les flingues via du gaffer.
Doom 3 est quelque part représentatif d'une période charnière dans l'histoire du FPS, celle où le script et les niveaux en couloirs vont progressivement remplacer le gameplay libre à l'ancienne. Alors qu'Half Life a déjà prouvé 6 ans auparavant que scripter une mise en scène pouvait faire beaucoup pour l'immersion, Medal of Honor et Call of Duty ont porté l'idée plus loin, allant jusqu'à confiner le joueur et l'empêcher de faire ce qu'il veut, en échange de séquences plus hollywoodiennes. Doom 3 semble coincé le cul entre deux époques, le gameplay tourné vers le passé, et le level-design scrutant l'avenir. A l'époque déjà, le jeu souffre d'un retard en la matière, face aux zones ouvertes de Crysis par exemple.
8 ans après donc, Doom 3 et son extension ont fait leur temps, aussi bien graphiquement que dans le gameplay primal et le level design binaire (couloir sombre / script / monstre / couloir sombre). A l’occasion des 20 ans de Doom, id Software décide néanmoins de ressortir le jeu en Big Fuckin Gun Edition. Un nom qui met déjà un lourd fardeau sur ce Doom 3 2.0 : le BFG, c’est le symbole même de la violence outrageuse, de l’excès d’énergie, de l’apocalypse en enfer martien. C’est le nuke canon du space marine de Doom. Alors autant dire qu’avec un titre pareil, on attendait du lourd, et id l’avait d’ailleurs promis.
Et bien finalement non. Doom 3 BFG est un jeu passable sur consoles, pour ceux n’ayant pas joué à l’opus original en 2004, et un FPS laminé sur PC par les mods de la communauté, qui le rendent plus intéressant dans sa version "nue" que cette réédition famélique. Comprenons-nous bien. Cette édition ne s’adresse finalement ni aux fans ni à ceux ayant fait le jeu, mais d’abord à ceux qui n’ont jamais tâté de Doom de leur vie. Car il faudra débourser 30 à 40 euros pour jouer à deux oldies dignes de figurer en tête du mouvement abandonware, et une réédition à peine dépoussiérée d’un bon FPS à l’époque de sa sortie, démonté par la presse car ayant pris le pari de la jouer ancienne école.
Si il y a quelques incultes ici qui n’ont jamais lu ou regardé quoi que ce soit ayant attrait à Doom, je vous invite à prendre la p… euh à ne pas vous formaliser avec le scénario, prétexte à de l’ultra-violence. Vous êtes un marine de l’espace envoyé sur Mars pour comprendre pourquoi les communications chient dans la colle avec une base locale, et vous découvrez vite que les recherches humaines ont ouvert un portail vers l’enfer, et que les mignons du 7e sous-sol ont décidé de venir faire du tourisme suite à cette bien sympathique initiative. Tout part en sucette, et vous allez devoir faire le ménage seul. L’extension Ressurection of Evil ne se compliquera pas la tâche, changeant votre marine par un autre, mais en plus con, puisqu’il fait cette fois l’exploit d’activer lui-même le portail, et on repart tous pour un tour de manège.
Le principal intérêt de ce pack, c’est d’abord une honnête durée de vie. Si comme moi, malgré des années de pratique vous êtes toujours aussi nul en FPS, comptez 20 à 25 heures pour expédier les trois campagnes solo. Tout est au final question de frag, car les ennemis ne sont ni intelligents (ils vous foncent dessus) ni biologiquement cohérents (pas de localisation des dégâts, il faut ponctionner leur réserve de points de vie en bourrinant sur les tirs). Mais bon, c’est un détail, on parle de Doom, le summum du bourinisme.
Parlons plûtot du lifting graphique promis par les développeurs. Il est… complètement anodin. Le polissage graphique est au mieux anecdotique, au pire incohérent (le jeu est désormais bien plus lumineux, et je ne parle pas de la lampe). Non sans déconner, je vois mal comment vous convaincre d’acheter le jeu pour ça. Les modifications de sources lumineuses ou le polish sur certains modèles 3D sont imperceptibles. Les décors sont toujours aussi cubiques, et les personnages vieillissent mal en 8 ans, encore plus quand on a déjà du mal naturellement avec un moteur idTech 4 tellement bardé de brillance et de reflets qu’on se croirait évoluer dans un monde en bakélite (les gouts et les couleurs, c'est plus une opinion personnelle sur ce dernier point).
Le jeu ne demande pas une config de brute pour jouer si vous avez du matos récent, et à l’époque, il était particulièrement optimisé pour les drivers Nvidia. Finalement, le plus gros point fort du jeu est son passage en 3D. Une 3D plutôt bien faite, qui ajoute véritablement à l'immersion. Pas étonnant, étant donné que John Carmack est omnibulé par le jeu en 3D depuis toujours, et qu’il est à fond sur la technologie en ce moment. Mais la 3D ne fait pas le jeu et un produit moyen ne sera jamais sublimé par la 3D.
Venons-en ensuite au principal problème du soft, qui n’a pas été corrigé depuis qu’il a été constaté par les moddeurs : oui, l’ajout d’une lampe torche permet enfin de voir quelque chose et de pouvoir jouer correctement, mais du coup, le gameplay, prévu pour tenter de filer la frousse au joueur, via des scripts soigneusement disséminés dans les niveaux, ne fonctionne plus du tout. Doom 3 souffrait déjà d’un fort déséquilibre de ses armes : passé deux heures de jeu, on se rend compte qu’au final, rien ne vaut le bon vieux shotgun pour ouvrir des ventres en un clic de souris.
Désormais armé d’une lampe d’appoint, on expédie désormais les couloirs en fonçant tête baissée et en allumant tout ce qui passe dans le faisceau de lumière, les monstres n’ayant plus le temps de vous surprendre puisque vous voyez désormais ce qui se passe, mais leur pauvre I.A. n’est absolument pas consciente de ce nouveau paramètre. Doom 3 a été pensé comme un FPS empruntant au survival-horror, alors qu’il est désormais joué comme un FPS pur et dur à l’ancienne. Et ça ne fonctionne pas.
Concernant le multijoueur de Doom 3 (anecdotique, il n’aura pas marqué l’histoire face à Quake, Counter Strike et autres), le jeu permet toujours des affrontements à 8 sur PC, mais à 4 seulement sur consoles.
Un dernier point sur le travail audio : au casque, c’est toujours un régal, tant les grognements et autres bruits étranges vous plongent dans l’ambiance, mais le mixage est calamiteux, complètement mélangé et sans structure : la musique, les audiologs, les conversations, les armes, tout est au même niveau. Si bien que non seulement vos pétoires ont l’air de sonner comme des Nerf guns à mousse mais qu’en plus, une baston ou une musique déclenchée vous empêche de tous saisir dans un dialogue.
En guise de bonus, Bethesda, désormais éditeur du catalogue id, a inclus Doom 1 et 2, tandis qu’id Software a inclus, outre l’extension officielle Resurrection of Evil, un second contenu additionnel titré Lost Mission, petit prologue vous mettant dans la peau d’un space marine de l’équipe Bravo, dont on assiste au dézinguage dans la campagne solo originale.
Ce chapitre supplémentaire est symbolique d’un manque flagrant de travail, puisqu’il propose un gameplay justement plus adapté à ce changement de jeu. Plus bourrin, plus old-school, on va dessouder sur 8 niveaux plus de streumons que dans l’ensemble de la campagne solo de base, c’est dire si Carmack et ses potes ont pris conscience du problème. Et pourtant, aucune correction à postériori sur le jeu d’origine. Lost Mission est vraiment là pour convaincre le vétéran de Doom 3 et RoE qu’il y a un intérêt inédit à acheter ce repack. Et très franchement, ça n’en vaut pas le coup.
Les bonus rétro n’intéresseront que ceux qui n’ont jamais mis leurs mains sur un Doom à l’ancienne. Stables, adaptés aux périphériques actuels, mais c’est tout. N’espérez pas un lissage en résolution 1920x1080, les gros pixels qui éclaboussent sont toujours là (on parle de FPS de 1993 et 1994 quand même), et tintin pour le mouse look dans le jeu, vous continuerez de progresser sur un plan horizontal. Ironiquement, le plaisir de retrouver des armes surpuissantes et un fusil à pompe dévastateur ne fait que renforcer encore plus la mollesse des armes de Doom 3.
Mais la plus grande infamie dans le tas, c’est le retrait du support multijoueur sur PC, ce sur quoi Doom et plus généralement le FPS ont bâti leur histoire. Non mais sans déconner ! On peut jouer à 4 sur PS3 et Xbox, mais sur PC, tout ce qui reste c’est le mode solo. C’est quoi le problème, m’sieur Beth ? Sans parler que ces versions fermées ne sont bien sûr pas compatibles avec la kyrielle de mods présents dans le vaste infini numérique, donc à nouveau, elles ne s’adressent qu’aux joueurs voulant juste essayer les jeux originaux.
Déjà déçu par Doom 3 et pourtant prêt à tous les pardons, je suis navré par ce portage. A l’époque de la sortie de Doom 3, la presse l’avait malmené, et l’on pouvait comprendre la difficulté du jeu à se creuser une place de choix entre des Half Life 2, Riddick et Thief fabuleux d’ambiance et d’ingéniosité, et Unreal et Quake dominant le shoot multijoueur. Un jeu trop à l’ancienne, mais pas assez bourrin, avec un gameplay reposant sur un mécanisme (le « monstre dans le placard ») utilisé jusqu’à l’overdose.
Pourtant, j’ai toujours considéré Doom 3 comme un jeu mal pensé et victime de la pression de la légende de son nom, mais pas comme un jeu expédié. J’avais envie d’y croire, j’espérais une réédition. Les « frangins » Carmack s’étaient plantés, ça pouvait arriver. Cette BFG aurait été l’occasion de redonner une chance à une licence qui a une place spéciale dans l’histoire du FPS.
Mais cette réédition, si elle plaira aux néophytes, reste sans aucun intérêt en soit pour quelqu’un qui a déjà touché à Doom 3. Progrès visuels insignifiants, aucun rééquilibrage du gameplay, ajout d’un mod disponible depuis des années, bonus cheap… (Doom 1 et 2 se trouvent pour une bouchée de pain sur le net, ils tournent aujourd’hui sur toutes les machines et tous les systèmes possibles, et je ne parle pas de la quantité astronomique de mods existants pour chacun des deux titres). Si encore, le tout coûtait 10 euros en démat’, je pourrais être un brin plus tolérant. Mais à 30 euros sur PC et 40 sur consoles, c’est à la limite de l’escroquerie, aussi bien pour le fan que pour le profane, qui risque par ailleurs de tirer une drôle de tête à la vue du gameplay s’il s’attend à un Serious Sam.
Je le répète, ceci n’est pas de la méchanceté gratuite. Traumatisé par Doom à l’aube de mes 6 ans, il est le jeu auquel j’aurai le plus joué à l’époque, il est mon premier jeu multi, il est ce pourquoi j’ai toujours défendu la violence et le trash dans le média vidéo-ludique, et plus généralement le reste. Sans Doom, je n’aurais sans doute pas regardé les films que j’ai regardé, lu les livres que j’ai lu, etc. Doom m’a donné envie d’être à la fois un joueur, un passionné de l’industrie vidéo-ludique et de posséder un bagage culturel populaire.
Sans qu’il le sache, sans que cela se fasse en une journée, mais tout part en partie de lui. Il est l’un de ces souvenirs forts de ce qui façonne notre identité. J’ai trop de respect pour id et leur boulot pour les trainer gratuitement dans la boue.
Mais Doom 3 et son extension se trouvent tous les deux sur le net ou dans les bacs d’occasion pour une poignée d'euros symboliques, alors ne gaspillez pas vos deniers sur cette BFG Edition qui a sans doute une big fucking gueule, mais c’est tout. Une comparaison simple, c’est qu’aujourd’hui, Half-Life 2 n’a besoin d’aucun lifting graphique ou de corrections de gameplay pour continuer à me faire jouir à chaque fois que je le relance. Le constat et la comparaison sont indéniables : Doom est une saga qui ne vieillit pas bien.
Aujourd’hui, Quake III fait un carton dans son port intégré navigateur, mais Doom paraît désormais appartenir au passé. Bien sûr, si vous n’avez pas fait Doom 3 à l’époque ou que vous êtes très tolérants, vous vous amuserez. Même en demeurant ultra répétitif, dans de bonnes conditions de jeu, quelques bons moments demeurent, aussi bien dans le jeu de base que dans les extensions (il m’est arrivé de sursauter même dans Lost Mission). Mais seulement si vous tolérez toutes les autres lacunes du jeu. Et si vous n’avez pas bouclé à sa sortie un jeu dont la rejouabilité est nulle, script oblige.
La vraie question à se poser, comme l’a résumé Cedric au moment du test de Jet Set Radio HD, c’est : « peut-on encourager ces portages bâclés, sans vrai travail derrière, sans ajout aucun, et estampillés HD juste pour la forme ? ». Clairement, non. A la place, trouvez-vous Rage ou Dead Island en promo, essayez E.Y.E. (démo dispo sur Steam) ou prenez vos 40 euros et faites-vous plaisir avec Borderlands 2 ou, si votre came c’est Bethesda, un Dishonored par exemple. Ne laissez pas se fabriquer une aura artificielle autour d’un opus qui était, et qui restera le vilain canard boiteux de la série.
Investir dans Doom 3 BFG quand on a déjà claqué de la thune dans l’opus de base, c’est finalement un choix un peu cornélien : accepter de rejouer à un jeu réchauffé pour soutenir financièrement id Software pour Doom 4. Pour ma part, j'espère que cet argent amènera un 4e opus expurgé de ces défauts, et à nouveau au top du genre.
Car avoir un bon gros FPS bourrin et horrifique à une époque où la norme est aux FPS militaires, ça serait une big fuckin bonne chose.
Config de test : i7 3610QM, 6 go de RAM DDR3, Nvidia GT650M 2go DDR3 avec drivers Nvidia 306.97 (octobre 2012) , W7 Home Premium x64 SP1
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Doom 3 BFG Edition (PC, PS3, Xbox 360)
Plateformes : PC - Xbox 360 - PS3
Editeur : Bethesda Softworks
Développeur : id Software
PEGI : 18+
Prix : 30€ (PC) / 40€ (consoles)
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