Publié le Vendredi 13 octobre 2023 à 12:00:00 par Théo Valet
Interviews au forum Horizon(s)
Différents professionnels du jeu vidéo nous parlent de leur vision de l'industrie
Au cours de ma journée sur le forum Horizon(s), j’ai pu avoir des interviews de plusieurs personnes issues de l’industrie du jeu vidéo :- Flavien Jara - Directeur exécutif - Agence Côte Ouest (la première partie de son interview se trouve dans l’article qui présente le forum)
- Andres Ramirez - Senior Product Manager - Nacon
- Yves La Yaouanq - Chief Content Officer - Focus Entertainment
- Fabien Lainé - Senior Business Development Manager - Microsoft Studios
- Bérenger Dupré - Senior Brand Manager - Evil Empire
1. Pouvez-vous nous décrire votre poste ?
Andres Ramirez : Je suis Senior Marketing Product Manager. Au sein du publishing, chez Nacon, on a deux grosses parties : la partie “communication” et la partie “suivie de production”.
Je ne sais pas si c’est comme ça chez la plupart des Producer, mais en tout cas c’est le service qu’on propose au studio, que ce soit en interne ou en externe.

Chez Nacon, on a cet ADN qui est encore très “retail”. Donc on va aider les studios et les accompagner à trouver les bons arguments et avoir les bons supports pour vendre le produit et le défendre. On a un marché qui est de plus en plus compétitif, donc il y a toute cette partie vraiment marketing, communication, RP (Relation Presse) avec des spécialistes comme Amélie (la personne qui gère la presse pour le forum) et les différentes agences d’influence et de médias, etc.
Le chef produit, c'est donc un peu le chef d'orchestre, il est garant de la cohérence de marque et puis de la cohérence de la stratégie pour réussir à atteindre les objectifs qu’on s’est donné dès la pré-production. Voilà à peu près mon boulot.
Yves Le Yaouanq : Je suis Chief Content Officer à Focus Entertainment, un Publisher qui fête ces 25 ans d'existence basée en France. Il intervient partout mondialement, mais est basé à Paris.

En plus d’aller voir les studios, je participe également aux événements comme Horizon(s) ou Gamecamp.
Fabien Lainé : Alors, le titre exact c’est Business Development Manager dans l’équipe First Party, donc je travaille avec des studios internes de Microsoft, du moins avec des jeux qui vont être édités par Microsoft. C’est la différence entre “First Party”

Et moi, mon métier est en deux parties. La première, c'est trouver des nouveaux pitchs, de nouveaux projets, qu'on va financer et éventuellement distribuer et lancer. Ça c'est la partie “publishing”. Et l'autre partie, c'est de supporter les studios internes, comme 343 industries qui s'occupe de la saga Halo ou Turn 10 Studios qui s'occupe de Forza, et de répondre à leurs besoins de codéveloppement ou leurs besoins de business.
Bérenger Dupré : Je suis Marketing Director chez Evil Empire qui est un studio bordelais de 70 personnes, connu pour l'instant pour s'occuper, pour Motion Twin, le créateur de “Dead Cells”, de son Live Ops. Depuis 5 ans on a produit en interne et on s'est occupé de la distribution, du publishing et du marketing du jeu et on a sorti une trentaine de mise à jour gratuite pour “Dead Cells” et 4 DLC payant, le dernier en date étant “Return to Castlevania” sorti en début d'année.
2. Quel est votre parcours pour en arriver là ?
Andres Ramirez : J'ai fait l’école de commerce de Rennes et je me suis orienté vers le marketing international. J'ai un double diplôme pour le programme grande école de management classique, et marketing international. Depuis toujours dans mon parcours, je voulais travailler dans le jeu vidéo, c'est ma passion depuis longtemps. Mes stages ont donc été en lien avec ça. J'ai pu mettre un premier pied dans l'industrie chez Guillemot Corporation parce que j’ai travaillé chez Hercules

En management, on peut partir d’une école assez généraliste, car les outils de management, de marketing, de communication, de suivi de projet, sont les mêmes dans le jeu vidéo. Une école de commerce, ça donne de solides bases pour ensuite faire mon métier qui est quand même un peu touche à tout. Je me suis spécialisé dans le jeu vidéo, j'ai appris les codes du secteur, mais les outils de base peuvent être reproduits dans différents types d'industries. En fait, dans le jeu vidéo, on travaille plus sur ce qu’est l'esprit du marketing, la psychologie des clients, la finance, etc.
Yves Le Yaouanq : J’ai commencé il y a très longtemps, dans les années 90, au tout début d’Internet avec les premiers jeux multijoueurs en ligne. A l’époque, on payait au temps de connexion. Le premier jeu sur lequel j’ai travaillé s’appelait “Multi-user dungeon” où, en gros, c’était des équipes semi-amateurs qui collaboraient pour créer des jeux multijoueurs. Une

Ensuite, j’ai rejoint Ubisoft en 2010 pour les aider à transitionner, parce que le studio avait un profil plutôt “retail”, donc édition physique, console, et jeu solo à un joueur. Et donc moi, j'avais le côté plus PC, online et multijoueur et je suis donc resté 11 ans chez Ubisoft pour accompagner cette transition vers des jeux plus multijoueur, PC. Et enfin, j’ai rejoint Focus depuis à peu près trois ans maintenant.
Fabien Lainé : Absolument pas des études qui ont un rapport avec le jeu vidéo, comme beaucoup de monde. A la base, j'étais ingénieur, mais je suis rentré chez Ubisoft en stagiaire après mes études d'ingénieur, en changeant, dans une équipe business développement. J’y suis rentré il y a 14 ans maintenant et j'ai fait 6 ans à Ubisoft et là ça fait à peu près 7 ans que je suis chez Microsoft.
Bérenger Dupré : Mon parcours a été évidemment d'être un “geek”, qui jouait beaucoup et qui consacrait beaucoup trop de temps à la pop culture, plutôt que de travailler sérieusement. Mais j’ai quand même travaillé assez sérieusement pour faire un parcours sans faute jusqu'à un Bac+5 de Market Communication à Lille. Et ensuite, j'ai travaillé dans le e-commerce pendant 10 ans. A la trentaine et vu que j’étais du nord, j’avais plein de copains à Rubika, à Ankama, etc. J'ai eu l'opportunité de travailler dans le jeu vidéo et depuis, j'y reste.
3. Qu'est-ce qui est le plus compliqué dans votre métier ?
Andres Ramirez : Ça dépend un peu des périodes, mais en ce moment par exemple il y a une forte concurrence. Je pense qu'il faut être toujours adaptable, toujours flexible et qu’une des difficultés de mon métier, c'est d’être toujours un petit peu comme ça. En fait, on construit et on design, aujourd'hui, les stratégies marketing pour dans 1 an ou 2, donc il faut toujours être un petit peu visionnaire dans la façon dont on “market” nos jeux pour que ça ait l'air moderne dans 2 ans. Ce n’est pas si simple en fait !

Yves Le Yaouanq : De trouver du temps pour dormir. Plus sérieusement, de donner le bon niveau d'attention et de temps. Nous, on reçoit à peu près 1600 pitchs de jeu par an. On répond à tout, mais forcément, ça prend énormément de temps. Et en même temps, plus on répond, plus on aide les dev à grandir, à mieux connaître ce qu'il faut faire, etc.
Donc, indépendamment de la raison purement matérielle de venir nous pitcher un jeu pour trouver un publisher, ça participe aussi à faire grandir l'industrie collectivement. Plus on leur donne les outils, plus ils feront de meilleurs jeux, et plus ce sera meilleur pour l'industrie en général, et pas que pour Focus.
C'est ça qui est un des gros challenges : réussir à gérer la balance du temps, réussir à ne pas s'auto-épuiser, tout en donnant suffisamment d'aide, de réponses et de soutien au studio et aux développeurs.

Ça arrive. Ce qui arrive beaucoup aussi, c'est que, comme chaque publisher a des lignes éditoriales différentes, par exemple, nous, on ne fait pas de jeux d’arcade ni de jeux “casual ou “pixel” art, etc. Mais quand on voit un bon pitch, contrairement à ce que les gens pourraient penser, les publishers qui sont officiellement concurrents partagent beaucoup. Donc si je vois un bon pitch et que ce n’est pas pour nous, je ne vais pas garder l'information et donc je vais l’envoyer à d'autres publisher pour qui c'est beaucoup plus pertinent et ainsi de suite. Et d'autres publisher font pareil avec nous, bien évidemment. On a vraiment cet aspect de partage.
Ça se fait aussi sur les équipes elles-mêmes. Par exemple, je vais signer avec telle équipe et bien, je vais demander avec le publisher qui a déjà travailler avec pour savoir comment ça c’est passé, s’ils sont bien, etc. Les développeurs font pareil de leur côté et ils ont totalement raison.
Fabien Lainé : L’interne. Des bons projets, on finit par en trouver, il y en a plein et on y passe du temps.
Une première chose qui est dure, c'est de dire non à beaucoup de monde. Comme Yves (Le Yaouanq) le disait, le nombre de pitch sélectionné par rapport aux nombres de pitch proposés est très faible, donc on doit briser pas mal de rêves. On essaie de faire de la mieux la plus constructive possible, mais ce n'est pas facile.
Le plus dur ensuite, c'est que, même si on a des bons jeux et que tout s’arrange, il faut motiver une grande entreprise à se mettre en branle. Et donc, on n’y pense pas, mais il y a beaucoup de négociations internes.
Bérenger Dupré : Le plus compliqué, en ce moment, c'est la gestion du temps puisqu'on n'a pas que “Dead Cells” à gérer, mais aussi d'autres projets. Et étant donné que “Dead Cells” est une gemme, un succès sans fin, c’est un privilège de

Est-ce que vous avez prévu de continuer de développer Dead Cells ?
Bien sûr, on a déjà annoncé qu'on n'en avait pas fini avec Evil Empire, on a encore un plan pour “Dead Cells”.
4. Quelles sont les compétences qu’il faut avoir pour faire ce métier ?
Yves Le Yaouanq : De la curiosité, de l'ouverture, de la diplomatie, un très bon niveau d'anglais, des capacités d'analyse de

Fabien Lainé : Déjà, il faut aimer les jeux et avoir un avis sur eux. En effet, je vais venir avec un premier avis, puisque à la base on est en première ligne, et des gens derrière nous (Game Designers, Technical Managers) vont aller dans le détail et vérifier la finesse des jeux et comment ils sont faits. Mais nous, on est en première ligne et on a un premier avis sur : est-ce que ce jeu est bon? Est-ce que ça va être bon une fois que le jeu sera développé ? Est-ce que l'idée de base est intéressante? C'est le premier point.
Deuxième point, il faut avoir du relationnel parce qu’on passe notre temps à rencontrer des gens et à leur dire des messages pas faciles comme “non”, en leur expliquant où sont les problèmes et pourquoi on ne peut pas y aller.
Et troisième point, il faut un petit peu de compétences de négociation, un sens business, mais ça, c'est vraiment plus simple, ça s’apprend.
Bérenger Dupré : Dans le marketing, il faut une bonne culture générale. Une culture de l'industrie du jeu vidéo, donc connaître les autres jeux du paysage concurrentiel, et de la culture tout court. Il faut suivre les tendances, comprendre un petit peu ce que les gens aiment en ce moment, comment ils le manifestent et comment ils vont chercher ce qu'ils aiment. Ça c'est vraiment la clé, donc c'est vraiment une ouverture totale aux gens, il faut beaucoup d'empathie, etc.
Après ça va ressembler à un entretien d’embauche, mais il faut de la rigueur et tout ce qui va avec.
5. Sur quel(s) jeu(x) avez-vous travaillé ?
Andres Ramirez : Alors, chez Nacon j’ai commencé en 2015 avec des jeux assez indépendants comme “2 Dark” ou comme “Outcast”.
On a différents piliers chez Nacon : simulation, action-aventure, sport, enfants. J'ai fait un jeu de karaoké “The Voice” qui était très très cool, c'est très sympa à faire.
Par la suite, je me suis un peu plus spécialisé dans les jeux d'aventure donc j'ai sorti par exemple “Vampire: The Masquerade – Swansong”, qui était d'ailleurs développé à Bordeaux, par un studio bordelais, qui est une antenne de Cyanide, appelé Big Bad Wolf.
Récemment, on travaille sur l’early access de “Ravenswatch”, développé par le studio lyonnais Passtech Games, qui fonctionne très bien et on est très content.

A plus long terme, “Terminator”, un gros projet pour nous. C’est un jeu de survie open-world avec pas mal d’ambition.
Comme dit précédemment, on a différents silos chez Nacon et on essaie de spécialiser un peu les Chef Produit dans des silos particuliers pour que leur expérience mature et puisse aider les prochaines productions.
Entre “Terminator”, “Vampire”, et “Crown Wars”, un autre jeu tactical turn-base basé sur la guerre de Cent Ans et dont je m’occupe, c'est assez différent. L’action-aventure, c’est très large.
Dépendamment des timeline de production, on peut changer plusieurs fois de projet par semaine. Ça dépend de quand le contrat est signé, de quand le concept est défini et puis de quand est-ce qu'on veut sortir le jeu. Il y a des périodes de “rush” qui ne sont pas les mêmes selon les jeux, donc il faut vraiment être capable d'anticiper tout ça. Et oui ça demande une sacrée gymnastique mentale, mais on s'en sort.
Yves Le Yaouanq : Pour Ubisoft, j’ai travaillé essentiellement sur des jeux en interne, mais j'ai signé des jeux en publishing qui ne sont pas annoncés, pour la plupart, donc je ne peux pas en parler. J'ai beaucoup travaillé sur Anno, et un de mes gros bébés, c'était Rainbow Six Siege.
Pour Focus, “Chants of Sennaar” qui est sorti récemment, “Dordogne” et “Void Crew”, principalement.

Bérenger Dupré : Avant “Dead Cells”, j’étais cofondateur d'un studio qui s'appelle Piece of Cake à Paris, qui a fait “Hacktag” et qui est sur plein de projets très cool en ce moment.
6. De quel jeu êtes-vous le plus fier ?
Fabien Lainé : Je vais en dire deux qui sont très différents. Le premier c'était chez Ubisoft et c’était “Heroes of Might & Magic 3 HD édition”, qui était un remaster d’un très vieux jeu que j’aimais beaucoup. Et l’autre, c'est l'un des premiers jeux que j'ai signé chez Microsoft quand je suis arrivé, c'était Forza horizon 4.
Bérenger Dupré : Ça va sembler “cheesy”, mais honnêtement, je suis fière de tous les projets sur lesquels j’ai travaillé. J’ai eu la chance de travailler à chaque fois sur des projets audacieux, intéressants, et qui représentent un challenge pour construire une marque avec ça. J'ai un jeune parcours dans le jeu vidéo mais j'ai travaillé que sur des projets dont je suis très fière.
7. Sur quel jeu de la concurrence auriez-vous aimé travailler ?
Andres Ramirez : je trouve particulièrement fou ce qu’ils ont réussi à faire sur No Man Sky. C’est une campagne qui m’a vraiment touché parce que j’étais complètement “hypé” par le jeu. Ils ont réussi à le sauver après un lancement cahoteux et franchement, ça n'a pas dû être facile tous les jours. Chez PlayStation et chez Hello Games ça a même dû être assez Rock ‘n’ roll.

J'aime bien ce côté taille humaine chez Nacon, donc je serais plutôt tenté de dire des productions à taille humaine, chez Devolver par exemple. Je trouve qu’ils ont des idées complètement folles. Ça donne envie d’assister à leurs séances de Brainstorming, ça pourrait être cool.
C’est vrai que chez Nacon, j’ai eu le plaisir et la chance d'avoir un peu accompagné l'évolution de la boîte. On est passé de 7 personnes, quand je suis arrivé, à 70 personnes ou plus en ce moment au Publishing. Je ne changerais pas ma place, je suis vraiment content où je suis.
Yves Le Yaouanq : Bonne question, alors il y a un jeu dont je porte le t-shirt (Disco Elysium) que j’ai vraiment failli signer. Je

Et sinon un jeu de la concurrence… Ce n’est pas vraiment la concurrence, mais “Wartales” j'aurais bien aimé.
Fabien Lainé : Ça c’est une bonne question… Dark Souls, et pour être précis, j’aurais aimé signer Sekiro à la place d’Activision.
Bérenger Dupré : Alors, nous, on ne considère pas qu'on a vraiment des concurrents. Tu es vraiment concurrent si tu sors le même jour, sur le même genre, et tout.

Là, c’est vraiment le “fanboy” qui parle, mais en fait je suis déjà comblé avec “Return to Castlevania”, c'était un rêve de gosse et un des premiers jeux auquel j’ai joué donc honnêtement il y a rien qui me vient.
Après, je peux dire que j’adore les jeux Supergiant Games. En France, il y a plein de studios trop cool qui font des trucs incroyables comme Sloclap, etc. Je ne pourrais pas m'arrêter si on me lance là-dessus.
8. Quel a été le jeu qui vous a le plus marqué ces 10 dernières années et pourquoi ?
Flavien Jara : C'est une très bonne question ! Là, en termes de jeu, je suis vraiment focus sur “Starfield” comme beaucoup de personnes. Pour l'instant, je n’ai pas encore eu l'occasion de le tester, mais j'en attends beaucoup. Ça fait beaucoup parler parce que c'est aussi l'univers de l'Open world.

C'est un peu plus vieux, mais “The Last of Us Part II” m'a vraiment marqué pour le scénario. C'est ce que j'adore chez Naughty Dog, ils mettent vraiment l'accent sur la narration et on a cette sensation-là d'être pris par la main et pris par l'histoire, donc oui, ça m'a beaucoup marqué, surtout qu'il est sorti pendant le Covid donc ça a aidé. Et puis là, avec la série qui est ressortie, je trouve que ça raconte beaucoup de choses et c'est assez intéressant. Je pourrais en parler pendant des heures.
Fabien Lainé : Ces dix dernières années ? Waouh ! J’ai toujours une réponse facile pour le jeu de tous les temps, c'est “Zelda : Ocarina of Time”. Sur les dix dernières années, c'est beaucoup plus dur.
Si on prend plus large, sur les 20 dernières années, je dirai “Metal Gear Solid 3”. Mais aller, sur les 10 dernières années, je dirais “The Legend of Zelda: Breath of the Wild”.
Bérenger Dupré : La vache ! Marqué personnellement ? C'est très dur. Je pense qu’il y a un jeu, c'est sûr, qui est rentré dans

Sinon, comme tout le monde, je suis sur “Baldur’s Gate 3” et je suis en train de me demander à quel point il va rentrer dans mon panthéon.
Après, de là à dire que ce sont les meilleurs jeux de ces dernières années, non, c’est hyper intime et ça dépend de chacun d’entre nous.
9. Comment voyez-vous le jeu vidéo dans 10 ans ?
Flavien Jara : Alors je ne suis pas un spécialiste, je le précise, mais je vois quand même une évolution des modèles économiques,, avec une transformation notamment depuis l'arrivée des “Free to play” de type “Call of Duty: Warzone”, ou ce qu'à un peu initié Epic Games, c'est-à-dire d'offrir en libre accès une partie du jeu et après, soit de faire du “Pay-To-Win”, soit de faire du “custom” qui fonctionne plutôt bien.
Donc je pense que globalement, la dématérialisation et ce genre de jeu avec des mises à jour de contenu qui s'adaptent aussi à un contexte, ce que font exactement les deux que je viens de citer, pour moi ça va aussi amorcer un certain virage.
Après, sur le volet technologique, je pense qu'il y a quelque chose d’intéressant avec l'IA qui va, je pense, globalement raccourcir les temps de développement, au même titre que la technique de procédural, qui permet de créer des procédures pour générer des mondes, etc.
Je m'inquiète quand même pour l'aspect créatif, j'ai peur que ça soit délégué. Je trouve que le jeu vidéo, c'est avant tout beaucoup d'artistes et je trouverai ça dommage que ça soit purement intégré par une machine. Je pense que la machine doit être un outil pour accélérer les développements et accéder à de nouvelles choses, mais ça doit forcément être pensé par des humains, notamment sur le volet scénaristique ou sur le volet esthétique. Après qu'une machine applique ou délivre, pourquoi pas ?

Ils n’ont pas réussi à le faire avec Starfield, à cause des problèmes technologiques, mais on peut imaginer que les futurs jeux d’exploration pourront utiliser une IA qui génère des mondes et des planètes à l'infini. On pourrait donc avoir cette sensation totale de liberté, ce qui est le fantasme ultime, je pense, du jeu vidéo.
On peut déjà voir des impressions de monde infini, notamment avec No Man Sky, mais, pour l'instant, ce sont juste des techniques qui donnent cette impression-là. Mais je pense que oui, ça va se démocratiser de plus en plus. Et tant mieux !
Je pense que l’aspect social et interactif des jeux va permettre de développer cet aspect-là. On voit que les studios qui ont réussi, c’est des studios qui ont écouté leur communauté. Les studios qui sont trop renfermés sur eux-mêmes et qui se basent que sur des statistiques, sans écouter leur communauté, passent souvent à côté de choses assez évidentes et perdent une partie de leur communauté qui se désengage.
Andres Ramirez : Wow, dans 10 ans… Je pense qu’il y a plein de technologies qui vont révolutionner le marché du jeu vidéo. On disait déjà ça de la VR donc bon, peut-être que, finalement, ça va commencer à se démocratiser. Je pense que l'intelligence artificielle va aller beaucoup plus vite, on voit déjà des applications concrètes. Après, la blockchain, on pensait la même chose, et finalement, on ne sait pas. C'est difficile de choisir ses chevaux, ça peut vite bouger.

C’est une culture qui ne partira pas de la France, ni du monde et ça continuera à évoluer plus ou moins rapidement en fonction des technologies, en fonction des territoires aussi. Je pense que l'Afrique, la Chine ou l’Inde sont des pays encore sous exploités, pour différentes raisons : le pouvoir d’achat, la régulation en Chine. Je pense qu'on peut être surpris.
Yves Le Yaouanq : Parmi tout ce qu’on a pu voir passer comme nouveautés depuis un ou deux ans, le Blockchain, les NFT, le Metaverse etc. Je crois fondamentalement en une chose c'est au transmedia. On l'a vu, avec “Arcane”, on le voit avec “The

Fabien Lainé : Je pense qu'il ne va pas évoluer tant que ça. Ce qui va évoluer, j'espère, c'est la diversification de la gamme de prix, sortir des catégories fixes. Il y a des jeux à 60 euros, des jeux à 40, des jeux à 20, des jeux “free to play”. Je pense que des jeux comme “Vampire Survivors”, qui se lance à 3 dollars, font bouger les lignes et c'est génial. Je pense que des jeux qui se lancent à 27€, 34€, 42€, ou même à 70€, c’est très bien aussi, il faut que ça aille dans les deux sens.
C'est une bonne chose parce que les besoins des P&L (Profit & Loss), les besoins de rentabilité ne sont pas les mêmes derrière, comme les budgets ne sont pas les mêmes. D'un côté, ça me va très bien qu'il y ait un jeu à 70 euros comme le prochain jeu de CD Projekt, et je trouve ça génial que, de l'autre côté, quelqu'un puisse se dire “Ok, je vais lancer mon jeu à 4 euros et avoir du succès.”
Bérenger Dupré : Il y a toute une partie du jeu vidéo qui va rester la même, j’imagine. Toujours plus chère, toujours plus belle, toujours plus “blockbusterisant”. Et il y a le champ des possibles des surprises et de la créativité de l’autre côté. On est une industrie encore très jeune, qui a ses premiers retraités cette année en France, je crois, ou un truc comme ça ? S'ils ont survécu et qu’ils ont réussi à faire toute une carrière dans un jeu vidéo.
C'est dur comme question, mais je pense qu'on n'est pas au bout de nos surprises.
10. Selon vous, que faut-il changer dans l'industrie du jeu vidéo ? Quelles améliorations seraient nécessaires pour la rendre meilleure ?
Yves Le Yaouanq : Alors ça commence dès les écoles de jeux vidéo. Donc ne pas formater les étudiantes et les étudiants au crunch, lutter contre cette pratique. Si ça se fait trop tard, alors qu'ils ont déjà été formatés en amont dans les écoles, c'est justement un peu trop tard, donc il y a une vraie responsabilité au tout début du parcours dans les écoles. Il faut également leur donner des notions de droit du travail, donc de salaire et de négociation, etc.
Évidemment, ce n’est pas spécifique à l'industrie, mais quand même, tout ce qui est égalité homme-femme, respect mutuel en général. Pas de toxicité, pas de harcèlement sexuel ou moral, pas de racisme. Il y a encore du travail.
Il faut mettre en avant la diversité, donc effectivement hommes-femmes, la diversité de genre, la diversité de culture, de parcours, etc. Mais il y a également une diversité dont on parle assez peu, c’est la diversité sociale. C'est-à-dire, ne serait-ce qu’en France, à part une école, la plupart sont des écoles payantes, qui sont assez chères. Ça veut dire que tout le monde ne peut pas forcément y accéder, pour des raisons financières, de milieux sociaux, etc. Beaucoup de gens qui arrivent donc dans l'industrie, viennent un peu tous d’un même moule social, ce qui crée ensuite des effets d'entraînement ou on recrute à son image, ça provoque encore moins de diversité. Il y a un vrai enjeu de diversification sociale, avec des gens qui viennent de milieux moins favorisés ou de milieux culturels différents. Ça c'est un des gros enjeux pour continuer à être une industrie de plus en plus diversifié en termes de référence culturelle, de genre, etc.
Fabien Lainé : Alors là, c’est assez facile, plus de diversité. C’est la réponse facile, mais c’est ça qu'il faut faire pour améliorer l’industrie d’un seul coup de baguette magique. Et pas seulement homme-femme, vraiment toutes les formes de diversités qu’on connaît.
C'est une bonne chose, à notre échelle, de suivre et de pousser à plus de représentations.
Bérenger Dupré : C'est une industrie du divertissement basée sur le système capitaliste. C'est une industrie basée sur un jackpot où j'ai la chance de bosser sur un jeu qui a rencontré un grand succès, mais il ne faut pas oublier qu’il fait partie des 1%. Je pense qu’il faut que tout le monde apprenne à raisonner de manière moins compétitive. Nous, typiquement, on était dans notre bulle de jeune studio très focus sur “Dead Cells”. Là, moi, j'ai une envie d’un petit peu plus communiquer avec les autres studios et d'être beaucoup plus ouvert sur des questions comme : “C'est quoi vos difficultés ? C'est quoi votre truc ?”.
Donc arrêtez les petites guéguerre en fait, que ce soit pour les joueurs qui font leur petite guéguerre sur quelle est la meilleure console? Quelle est la meilleure IP, etc. Et juste accepter que le monde est nuancé et que tout le monde peut avoir ses goûts et ne pas trop perdre de temps à se battre là-dessus et juste apprécier ce qu’on a. Ça serait un bon début, peut-être.
11. Qu'est-ce que ça apporte, à vous, ou votre studio de participer à un tel salon ?
Fabien Lainé : Personnellement, ça permet de me reconnecter avec la scène française. Ça me permet également de rencontrer des nouveaux studios que je ne connaissais pas forcément. Il y a beaucoup de petits studios indépendants et on ne sait jamais quel studio on va avoir besoin de signer dans un an ou deux. Dans le jeu vidéo, tout évolue très vite, et très souvent, on dit non à un studio, mais au moins avoir croisé la personne ça crée du relationnel, ça crée un petit point qui peut aider plus tard.
Bérenger Dupré : Revoir les copains. Il y a un côté très “thérapie de groupe”, où on sort de notre production, de notre bureau et on se motive un peu à accepter de sortir de son “workflow” pour revoir les autres studios et typiquement créer des ponts, prendre des news, consoler l'un, se faire consoler par l'autre, c'est très cool.
Et évidemment, il y a tout l'aspect “business” où on se crée de nouvelles opportunités. Petite anecdote, c’est au salon BitSummit à Tokyo que Benjamin Laulan, le COO de Evil Empire, à rencontrer Konami et a dit, quasiment pour la blague, “Eh, ça serait cool une collab entre Dead Cells et Castlevania”. Et en fait, ils ont été chauds et ça c’est fait. Donc voilà, les salons ça sert à créer ce genre d'opportunités.
En plus de ça, on partage la même passion et le même travail donc on a forcément plein de points communs et on peut vite parler des heures avec un inconnu. Il suffit qu'on se lance sur “Baldur’s Gate 3” ou qu'on se lance sur : “Comment séduire une prod ?” ou “J'ai peur que mon launch se passe mal ” pour pouvoir parler des heures.
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