Publié le Dimanche 20 septembre 2015 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

De la dure expérience d'être père...

Ma fille aînée s’est faite percer les oreilles. Vous allez me dire, elle a 10 ans, c’est normal. Ou du moins, c’est un âge raisonnable. Personnellement, j’ai toujours détesté les gamines qui se font percer les oreilles très jeunes. A deux ou trois ans, voire même avant, j’ai toujours trouvé ça déplacé et inadapté. Je sais qu’en Afrique du Nord, ou chez les gens issus de cette région du globe, voire même en Afrique tout court, percer les oreilles des tous petits gamins est culturel. Ou du moins habituel. Je ne sais pas s’il y a un rapport à la religion, et notez bien que je m’en fous éperdument, mais j’ai toujours trouvé ça horrible et repoussant.

Certains me répondront qu’il ne s’agit que d’un accessoire pour embellir. Rien d’autre. Mais je ne sais pas, j’ai toujours trouvé que cela allait de pair avec une certaine maturité, donc avec un certain âge.

Cela fait plusieurs années que ma gamine me tanne pour aller se faire déchiqueter les lobes à coups d’aiguille. Pour éviter de me lancer dans des grandes explications philosophiques incompréhensibles pour quelqu’un de son âge – moi-même, je ne me comprends pas toujours, c’est dire – je lui lançais la réponse que tout parent lance un moment ou un autre pour avoir la paix : « on verra quand tu auras 18 ans, en attendant, c’est moi le boss, c’est moi qui prend les décisions ». Parce que c’est moi, et que je suis ce que je suis, je rajoutais « donc tu arrêtes de me gonfler avec ça ou tes oreilles, je les arrache avec les dents, tu feras moins la maline pour te mettre des boucles d’oreilles après ».
J’élève mes enfants comme je veux.

Toujours est-il que voilà. 10 ans, entrée au CM2, j’ai pensé, ou tout du moins, nous avons pensé avec ma chère et tendre, qu’il était temps d’accéder à sa récurrente demande.

Vous allez me dire, y’a pas de quoi en faire tout un plat ni d’en écrire un édito.

Vous avez tort. Parce que mine de rien, c’est un pas supplémentaire, un cap, une marche, dans l’évolution de ma fille. Comprenez par-là qu’elle grandit. Je le vois bien, cela dit, depuis quelques temps. Les hanches qui se marquent. La poitrine qui commence à pousser…
Oh, j’ai encore le temps, hein, avant qu’elle ne se transforme en ado suffisamment formée pour attirer les regards des mecs. Mais elle change. Elle grandit. L’année prochaine, c’est direction le collège. Tous les parents vous le diront : c’est là la véritable entrée dans l’adolescence. Là où les gamins se transforment réellement, mentalement tout du moins. Ils accèdent à un nouveau monde, un nouvel univers.

Ben je n’y peux rien, mais j’ai du mal avec ça. Je sais, ma femme me répète sans cesse que je devrais lui lâcher un peu la bride. Que j’arrête d’être derrière elle tout le temps, à surveiller et intervenir au moindre problème. Que je la laisse petit à petit faire sa vie. Grandir, tout simplement.
Mais j’ai du mal. Voir sa gamine grandir, ce n’est pas seulement prendre conscience de votre propre âge. Ça, à la limite, je m’en fous. Non, c’est prendre de plein fouet le monde. Celle que vous protégiez bien au chaud du cocon familial vous échappe peu à peu et va se frotter à la difficulté, à l’intransigeance, à la saloperie ambiante du monde extérieur. Vous avez envie de lui glisser un fusil à pompe dans le sac de goûter et de lui dire « faire gaffe, ma chérie, dehors, c’est dangereux, y’a plein d’enculés dont on devrait aussi buter les parents d’avoir engendré de pareilles saloperies, y’a plein de gens qui voudront t’écraser, te rabaisser, te réduire en esclavage, t’humilier, de piétiner. »
Mais rien de ce que vous pourrez dire ne pourra tout à fait la préparer au monde.

En fait, être parent, c’est passer son temps à prévenir… tout en sachant qu’à un moment ou à un autre, il vous faudra guérir.

Alors bon. Je vous rassure. Je lui lâche peu à peu la bride, à ma gamine. Même si je reste derrière elle, toujours visible, batte de baseball bien en mains et bien en vue, je la laisse prendre des distances. Je la laisse grandir. Mais ce n’est pas pour ça que ça doit me plaire. Ça fait chier, même. Elle, elle ne demande que ça. Mais moi, je ne me sens pas encore prêt. Oh, je pense qu’on ne l’est jamais vraiment, en fait. On s’habitue, c’est tout.

Finalement, le vrai boulot, c’est sans doute ma femme qui va l’avoir. A devoir être patiente et m’expliquer les choses. Me rassurer. Me dire que non, ce n’est pas parce que le petit con, là, a fait pleurer ma fille que je dois aller lui défoncer la gueule. Ou plus tard, quand elle ramènera un petit copain à la maison, que je dois absolument me souvenir que mes couteaux d’office ne sont destinés qu’à faire la cuisine. Pas émasculer ce petit con.
Va falloir que je fasse un vrai travail sur moi, en fait.

C’est dur, d’être père. Dur et ingrat.

Merci de m’avoir écouté, docteur. Je peux me lever du divan et me barrer, maintenant ?