Publié le Dimanche 29 mars 2015 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Un coup dans le nez

Je ne mets quasiment jamais de parfum. Ah non. Je vous arrête tout de suite. Ne commençons pas à parler d’odeur corporelle rance à base d’effluves de sueur après une journée intense de travail. Je ne mets quasiment jamais de parfum mais je mets du déodorant, quand même. Y’a des limites. Mais le parfum, non. Ça m’agresse les narines. Ça m’oppresse le cinquième sens.

Ma femme me le répète souvent : ce n’est pas un nez que j’ai, c’est une truffe. Sachant que j’ai très largement un côté chien, tirant plutôt vers le rottweiler ou, dans mes bons jours, vers le doberman plutôt que le caniche nain ou le Yorkshire, je ne peux tout à fait lui donner tort.
Mais bon. Là, on parle de nez.

Les rayons parfumerie sont pour moi un véritable supplice. Et le métro l’antichambre de l’enfer. Le métro, c’est le panel olfactif de toute notre société. Vous avez de tout. La perruche proprette qui s’offre un parfum floral bon marché dont les senteurs évoquent celles de mon déodorant de toilettes. Le cadre sup’ auréolé qui doit sentir la sueur même au réveil et qui n’a pas encore découvert le déo. Le jeune puceau persuadé que les trois minutes à s’asperger les aisselles dans la pub sont la durée optimale d’utilisation et qu’avec ça, il va réellement tomber les filles. La quinqua déçue par la vie qui, dès le petit matin, a déjà une haleine de vin en brique. Le stressé qui est en déjà à sa dixième clope et qui exsude tellement la fumée de clope que ce sont ses vêtements qui vont choper un cancer des poumons. Et le bébé, réveillé trop tard – ou trop tôt, c’est un point de vue – que l’on a gavé le plus vite possible avec son biberon pour ne pas arriver en retard à la crèche et qui, certes, arrivera à l’heure, mais avec des fringues qui fleurent la régurgitation intempestive.
Eventuellement, les seuls plaisirs olfactifs du métro matinal sont les gamins qui ont en douce piqué une poignée de douceurs dans la bonbonnière familiale et dont les effluves sucrées et acidulées embaument leur environnement. C’est à cette odeur que vous tentez de vous accrocher. Sur laquelle vous essayez alors de vous focaliser.

Un peu plus tard, ce sont les petits vieux qui viendront prendre possession des rames du métro. Et là aussi, c’est un florilège. Douleur et torture. Le petit vieux est un véritable poison pour le nez. Deux extrémités s’affrontent. La première, c’est le petit vieux qui perd la tête et est persuadé chaque matin d’avoir pris sa douche. Sa douche qui, au jugé, n’a pas servie depuis au moins deux semaines. Ou alors sa machine à laver est en panne depuis trois mois et, manque de bol, il n’a que deux slips Il faudrait juste qu’il retrouve où il a rangé l’autre. A l’opposé, la petite vieille qui perd l’odorat – c’est malheureusement fréquent chez les personnes âgées – et qui vide un demi-flacon, au bas mot, chaque matin. Même si vous êtes dans le métro suivant, qui passe 5 minutes après, vous la sentez. Et quelle que soit la qualité du parfum, c’est comme tout : l’abus peut provoquer des nausées.
La dernière fois, j’ai voyagé en face d’une charmante grand-mère qui, elle, sentait le savon bon-marché. Comme si elle s’en était servie pour se parfumer. Ça sent le propre, c’est chouette à la base, mais sur le long terme, c’est assez écœurant et dérangeant. Un peu comme si on tentait par tous les moyens de cacher son inexorable décrépitude.

Rajoutez, enfin, les week-ends, les douces odeurs d’urines ou de vomis alcoolisés, et vous aurez un bon panel olfactif du métro que leur parfum diffusé dans les stations (véridique) n’arrive pas à masquer.

Bref. Les goûts et les odeurs.

Il m’est même déjà arrivé de traverser une rue juste pour fuir l’odeur nauséabonde d’un fast-food… ou d’un restaurant chinois. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je mange parfois dans l’un ou l’autre, à mes heures perdues ou mes dépressions gagnées. Mais les odeurs de fritures rejetées dans la rue par leurs systèmes de ventilation sont assez insupportables.
A contrario, j’ai déjà sciemment traversé une rue pour passer de bon matin devant une boulangerie et m’enivrer d’une des senteurs les plus agréables qui soient : celle du pain chaud.
Tout comme je me suis aussi déjà attardé devant un restaurant d’Afrique, qu’il soit du Nord ou du Centre, pour en humer l’odeur des épices.

Ma femme me le répète souvent : ce n’est pas un nez que j’ai, c’est une truffe.

Donc quand je vous dis qu’il y a eu, dimanche dernier, 26,2% de gens qui ont grave pué une sale et âcre odeur d’intolérance et de racisme, et que ce pourcentage est effarant, il faut me croire sur parole. Et réagir. Bordel de merde.

Sur ce, permettez, mais je vais renifler ma femme.