Publié le Dimanche 15 mars 2015 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
L'Edito du dimanche
Ad vitam æternam
L’annonce du décès de Terry Pratchett m’a littéralement sonné. Tout comme il y a quelques années, l’annonce qu’il était atteint de la maladie d’Alzheimer m’avait profondément touché. A un degré assez particulier puisque c’est une maladie qui a déjà frappé ma famille, ma grand-mère maternelle pour être plus précis, chose dont je fus particulièrement affecté. C’est une maladie détestable. Comme toutes les maladies, me direz-vous. Mais celle-ci a un caractère encore plus sournois puisqu’elle tue le cerveau avant l’enveloppe corporelle. Une sorte de mort en deux temps, dure à supporter. Dure à gérer. Dure à digérer. D’ailleurs, en vous en reparlant ici, je me rends compte qu’elle m’a laissé à tout jamais un sale goût dans la bouche. Un sale goût dans le cœur.Aujourd’hui, j’ai un peu l’impression d’avoir perdu un autre grand-parent. Ça peut paraître con à dire, notez bien, et j’en suis conscient. Ça peut paraître exagéré pour certains. Mais c’est vraiment le sentiment qui m’anime en cet instant.
Alors certes, je n’avais pas de lien physique avec Sir Terry Pratchett. Ni de lien particulièrement affectif au sens propre du terme. Mais cet auteur anglais a compté à plus d’un titre dans mon existence.
Je ne me souviens plus de l’année. Sans doute était-ce en 1996, peut-être un peu avant. Je n’ai pas envie de chercher, notez bien. Certains souvenirs n’ont de valeur que leur émotion et peu importe leur place dans une quelconque chronologie. Je me souviens parfaitement, par contre, de ce moment où j’ai découvert son premier roman des Annales du Disque-Monde. Je cherchais un livre d’Heroic-Fantasy. Je sortais d’une série de bouquins signés Moorcock (Elric et Hawkmoon) ainsi que d’autres signés Robert E. Howard (Conan), voire peut-être même d’un Tolkien ou deux. Le style lourd et sérieux, ces univers résolument adultes commençaient à me peser. J’avais besoin de légèreté. Et là, sur un rayonnage d’un quelconque libraire dont le nom aujourd’hui m’échappe, trônait un nouveau bouquin d’un nouvel auteur. La Huitième Couleur de Terry Pratchett. Sans trop y croire, parce que qualifiée de « fantasy burlesque », j’achetais tout de même le livre.
Ce fut une vraie révélation. Et un vrai coup de foudre. J’ai plongé avec délectation, sans retenue, dans son univers complètement barré. J’ai adoré sa manière de voir le monde avec un œil d’un sérieux très ridicule et l’autre d’un ridicule très sérieux.
Au fil des années et des parutions, Terry Pratchett a influencé ma manière de voir le monde. Ma manière d’écrire aussi. Mon humour également. Il fut parfois un guide. Il fut parfois un mentor. Il fut surtout un compagnon de divertissement.
Je suis devenu au fil des années un grand fan du Monsieur et de ses univers. Et il a gravé en moi d’innombrables souvenirs. Mes primes années à arpenter Londres pour y acheter des figurines tirées du Disque-Monde et signées Clarecraft. Aujourd’hui disparue, cette collection ne s’achète plus que sur les sites d’enchères et je continue régulièrement de les suivre. J’en possède d’ailleurs une petite quarantaine qui ornent désormais les étagères de mon salon. Elles sont devant ses livres. Certains en édition anglaise. Certains dédicacés. Certains tellement lus et relus que les pages se détachent. Et d’ailleurs, le calendrier annuel familial où les évènements et rendez-vous sont notés est, chez moi, un calendrier illustré avec des dessins inspirés par le Disque-Monde.
Je me souviens de la fébrilité lorsque j’allais acheter – le jour de parution, bien entendu – son nouveau roman. Je me souviens de ces soirées. Je me souviens de ces nuits. Je me souviens de ces vacances. Toutes passées à lire ses ouvrages. Je me souviens des hurlements de rires à chacun de ses bons mots que je m’empressais d’aller raconter à mon épouse. Je me souviens qu’elle me regardait d’un œil inquiet, ne comprenant pas, et se demandant si j’étais taré ou simplement con. J’étais alors les deux à la fois. Forcément. C’était du Pratchett.
Résolument humaniste, Terry Pratchett luttait à sa manière contre toute forme de préjugés. Contre toute forme d’intolérance. Contre toute forme de fanatisme. Contre toute forme d’extrémisme. Il dénonçait l’absurdité des certitudes et prônait la légèreté de l’être et de l’âme. La légèreté de l’existence. J’ai lu une fois un souvenir raconté par sa fille Rhianna. Une nuit, alors qu’elle avait 6 ans, il est venu la réveiller et l’a emmené dehors dans le jardin pour… qu’elle voit les lucioles. Des dizaines de lucioles qui volaient dans l’air. Parce que pour lui, il était plus important que sa fille vienne voir ce tableau vivant plutôt qu’elle dorme. C’était ça, Terry Pratchett. Et c’était aussi cette philosophie qu’il mettait dans ses livres. Une philosophie dont je me rends compte aujourd’hui qu’elle est devenue mienne au fil du temps.
Voilà. C’est difficile de raconter – en intéressant ses lecteurs – à quel point un homme que vous ne connaissiez pas vous était cher, vous touchait et a compté pour vous. Terry Pratchett était cet homme pour moi. Et aujourd’hui, je suis habillé de nuit.
Je voulais simplement lui rendre hommage, donc. Et avoir une pensée profonde et vraiment sincère envers sa fille, Rhianna.
Pour continuer de plomber l’ambiance, je voudrais aussi avoir une pensée pour un confrère bien trop tôt disparu. Je l’ai croisé à l’époque chez Génération 4, le magazine culte des années 90… Nous n’avons pas travaillé longtemps ensemble. J’en partais, il arrivait. Mais nous nous sommes de suite très bien entendus. Rémy Goavec était un chic type. Je ne le connaissais pas intimement. Même si nous avions partagé une soirée ensemble, en allant à un concert de Dead Can Dance, il y a plusieurs années.
Mais – et Dieu m’est témoin qu’ils ne sont pas si nombreux – c’était un confrère que j’estimais et avec qui je m’entendais bien. J’appréciais nos discussions. J’appréciais sa compagnie. C’était un homme extrêmement cultivé. Réduire son talent aux deux passions qu’il avait pour Les Mystérieuses Cités d’Or (série sur laquelle il a d’ailleurs écrit un ouvrage) ou les Pokémons, deux sujets qu’il maîtrisait sur le bout des doigts, ne serait pas lui rendre hommage. Il aimait la BD, il aimait les jeux vidéo, il les chroniquait d’ailleurs sur Les Inrocks, il aimait la musique. Et sa plume était talentueuse.
Il nous a quittés le mois dernier, subitement. Je ne l’ai appris que cette semaine.
Sa voix douce et son regard qui semblait parfois parti dans un autre monde me manqueront. Voilà. Parce que certaines personnes ne doivent pas partir sans un dernier au-revoir, je tenais ici à lui rendre hommage.
Sur ce, après vous avoir bien plombé votre dimanche, je vous laisse. Je vais aller fleurir les tombes de ma mémoire.
Commentaires
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Merci d'avoir su traiter avec une telle célérité et finesse de sujets comme la mort(à mettre au masculin), les dictatures et le totalitarisme religieux ainsi qu'avoir combattu l'intolérance sous toutes ses formes avec espièglerie et talent.
Je m'étais promis de lire tout ce que Sir Terry avait écrit, mais maintenant qu'il est mort, j'ai un peu peur de le faire, sachant pertinemment que quand j'aurais tout lu, pour moi, il sera vraiment mort.
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L'article et l'édito d'aujourd'hui m'ont convaincu de commencer à le lire. Mais pas tout de suite, j'attends de repasser en France (mai?)
Et au passage, Elric le nécromancien c'est assez noir en effet. J'ai dévoré les bouquins en 87/88 (seconde). Ah l'épée Stormbringer...
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Ecrit par Grimm_jowww
Je m'étais promis de lire tout ce que Sir Terry avait écrit, mais maintenant qu'il est mort, j'ai un peu peur de le faire, sachant pertinemment que quand j'aurais tout lu, pour moi, il sera vraiment mort.
Ou alors tu le fais découvrir à d'autres. J'ai essayé avec mon fils, en commençant par les bd et puis de fil en aiguille, il aime lire. Il s'est même étonné d'être le seul à le faire pour le plaisir. Comme il va avoir 17 ans, il commence à avoir des bonnes suggestions. J'ai hâte de vieillir pour le coup!
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Un mec juste génial, R.I.P.
Semaine de merde... :(
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Dur semaine pour toi cedric.
RIP à Remy.
"F'un edito qui me met'f la larme à l'oeil" - Cohen le Barbare
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Une créativité de ce niveau perdure après son auteur.
Rip
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Une créativité de ce niveau perdure après son auteur.
Rip
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C’est une maladie détestableC'est sur.
Ma grand mère aussi était atteinte de cette maladie, et je n'oublierai jamais cette réunion de famille où ma mère s'approche de ma grand mère, lui fait la bise, ma grand mère sourie et lui demande :
"Vous êtes qui mademoiselle ?"
Le visage de ma mère se fige comme si elle venait de prendre une claque, le bord de ses yeux deviennent humides.
"Maman... c'est moi".
Et là, le déclic pour ma grand mère; le retour brutal à une réalité dont elle est de plus en plus souvent déconnecté.
"J'ai pas reconnu ma fille, ... mon Dieu je n'ai pas reconnu ma fille".
Sa voix tremblotante, ses larmes qui coulent, voila un des visages d'Alzheimer.
C'est en assistant à cette scène que j'ai compris qu'il y avait pire que la mort d'un proche, c'est celui d'être effacé de la vie d'une personne.
Quand vous avez passé des décennies avec une personne que vous aimez, qui vous a aimé, qui vous a éduqué, pourvu à vos besoins, et quand tout d'un coup tout cela disparait, c'est une partie de vous même qui meurt avec son oublie.
Car le vécu avec ses proches, c'est ce qui crée des liens; c'est parce que les gens vivent des choses ensemble qu'ils vont partager une complicité, forger une amitié, une relations de confiance ou sentimentale... et quand l'oublie vient trancher ces liens, ça fait mal, car ces liens et donc ces souvenirs, sont les garants de notre relation avec les personnes; si ils n'existent plus, alors la personnes n'a plus de raisons de vous considérer comme ami(e), amant(e), parent etc.
Cette maladie laisse un sale gout indélébile à tous les proches.
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Ecrit par Tyr
Sauf que Elric et Stormbringer, c'est Mickael Moorcock, toujours vivant.
C'est très clair dans l'édito de Cedric. De mon côté, je parle en premier de Terry Pratchett que je ne connais pas (encore) et après de Moorcock parce que le cycle d'Elric m'a marqué.
Tyr fait court et dans l'ordre inverse.
Normalement, c'est bon
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