Publié le Dimanche 1 février 2015 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Venez nombreux à mon enterrement

Depuis les attentats terroristes de Charlie Hebdo et de la Porte de Vincennes, il parait que la France s’est réveillée. Que l’Unité Nationale est un terme qui veut enfin dire quelque chose et que la tolérance est en train de prendre le dessus sur l’intolérance.
Si, si. Tenez, rien qu’hier soir, dans un énième journal télé chiant comme un lampadaire* et qui ne cesse d’apporter la preuve que le journalisme de qualité est bel et bien mort depuis de trop longues années, on nous racontait combien, depuis ces évènements, les livres sur le monde musulman en général et sur la tolérance en particulier, s’arrachent dans les rayons. Que les parents tentent aussi d’éduquer les enfants avec des valeurs telles que l’ouverture d’esprit et le respect.
Et de conclure que les gens ont eu une vraie prise de conscience, et qu’ils cherchent désormais à s’ouvrir aux autres, à échanger, à se cultiver aussi…

Mouais. Bon. Le « s’arrachent dans les rayons », j’ai quand même un doute. Eventuellement, y’a deux exemplaires qui trainaient depuis 4 ans au fond d’une étagère et qui ont été vendus.
Et puis il ne faut pas rêver non plus. L’effet va s’estomper et d’ici deux mois, les gens seront redevenus aussi cons qu’avant. Voire pire.
Enfin, on a beau me dire que désormais, tout le monde se serre les coudes, que la tolérance est le mot d’ordre et qu’il faut aimer son prochain, les résultats des derniers sondages laissent surtout penser que se serrer les coudes, être tolérant et aimer son prochain, ok, mais pourvu qu’il ne soit ni nègre, ni bougnoule, ni niakoué, ni rastaquouère. Et les gitans, de toute manière, se sont tous des voleurs. Mais on n’est pas racistes, hein, regardez, on a acheté le dernier album de Kenji !

Oui. Je sais. Vous allez vous dire que je me fais vieux, à radoter. Que ça y’est, j’vais encore vous gonfler en critiquant le FN. En m’insurgeant contre leurs idées racistes, xénophobes, où le terme « préférence nationale » sonne pour moi comme un parfait exemple de « l’intolérance nationale ». Mais je n’y peux rien. C’est comme ça. Comme un cancer qui me ronge. Comme une gangrène qui me ronge. Quand je vois les cadres du FN dans des interviews, j’ai l’impression d’assister à un combat de pitbulls. La politique est une jungle ? Non, plutôt une savane africaine. Et je vous présente la meute de hyènes…
Alors oui, je radote. Je ressasse constamment les mêmes arguments et les mêmes pensées. Mais quand on chope la Peste, on ne ferme pas les yeux en attendant que ça passe. On combat. On tente de se soigner. Jusqu’à complète guérison. Et là, le corps de mon pays est à 30% contaminé. Et ça me ferait chier d’être obligé d’amputer.

Enfin bref, c’est une simple façade. Les gens sont toujours aussi cons et intolérants. Et il est encore et toujours plus urgent de lutter contre ce fléau. Ne pas rompre les rangs. Même si le combat est vain. Souvenez-vous. Waterloo. Pierre Cambronne. « La garde meurt mais ne se rend pas ! ». Une phrase puissante. Forte.
L’histoire est amusante puisque selon la légende, il aurait prononcé cette phrase face à Colville, général britannique lui sommant de se rendre. Puis, devant l’insistance de ce dernier, il aurait envoyé un dernier mot : « Merde ! ». Ce dernier mot devenu « Le mot de Cambronne » et qui a fait couler tant d’encre. On le retrouve même dans Les Misérables, de Victor Hugo : « Dire ce mot, et mourir ensuite. Quoi de plus grand ! (…) Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »

Et c’est donc ce mot que j’ai aujourd’hui envie de dire. Envie de crier à la face des abrutis. Des intolérants. Des extrémistes de tous bords. De toutes religions. A ceux qui tentent par la force ou par pression de nous imposer leurs visions moyenâgeuses de la société. Leur vision étriquée. A ces fascistes de la pensée unique. Merde. Merde !

Voilà. Vous pouvez me fusiller. Et je m’en fous de finir dans un livre d’Histoire. Je préfèrerais à la limite être dans un livre d’histoires. C’est plus amusant. Par contre, soyez sympa, venez en masse à mon enterrement. Non parce qu’une cérémonie sans personne, c’est triste et chiant. Et moi je veux un enterrement gai. Avec un i ou un y, remarquez, peu importe. J’veux une sortie en beauté.
Déjà, il faudrait un peu d’émotion. L’arrivée de mon cercueil, porté par mes amis les plus chers, sur la musique Many Rivers to Cross de Jimmy Cliff. Je vois bien aussi un petit montage photo, genre rétrospective des années heureuses, sur la chanson You’re the best thing that ever happened to me de Gladys Knight. Et puis la mise en terre. Là, pour casser l’ambiance tristounette, sécher les larmes et lancer la suite de la journée, il faudrait une musique plus rock’n roll. Un truc décalé. Un petit « Hells Bells » d’AC/DC pourrait faire l’affaire. Ou mieux, tiens : I Want to Break Free de Queen. Voire les deux, en fait. Ça pourrait le faire.
Et j’veux une grosse soirée. De l’alcool. Du whisky, du punch, des petits fours. De la bonne musique. Des trucs dansants. Y’en a plein mon disque dur. Z’avez qu’à vous servir. Avec parfois quelques personnes qui viendraient lire mes meilleurs éditos ou autres textes. Parce que ouais, quand même, ce serait ma soirée, hein. Dieu sait si j’ai toujours eu une Sainte horreur de me mettre en avant lors d’évènements, mais là, j’veux dire, ce sera difficile de faire autrement. Et de toute manière, je ne serai plus là pour être gêné.
En tout cas, j’veux un évènement qui marque les esprits. Histoire de nous dire au revoir en beauté. Un truc qui ait de la gueule. Une bonne grosse soirée fun et surtout, des gens qui dansent. Forcez-vous un peu, même si le cœur n’y est pas.

Et je vous rassure. Je reviendrai vous hanter.

*on a beau le fixer pendant des heures, on s’emmerde. Et quand il nous éclaire, c’est toujours trop faiblement.