Publié le Dimanche 21 septembre 2014 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Un enfant qui pleure, c'est parfois un peu de bonheur

J’ai mal aux bras. J’ai des ampoules sur les mains. J’ai les yeux rouges et je suis fatigué. Je tiens à rassurer les esprits mal tournés : non, je n’ai pas passé la nuit à repousser frénétiquement les limites de l’onanisme ni même n’ai chopé la myxomatose en tentant de me reproduire avec un lapin infecté. J’ai juste passé toute la journée d’hier à poncer les murs et mon plafond. D’où les yeux rouges à cause de la poussière. D’où le mal aux bras et les ampoules sur les mains. D’où la fatigue également, amplifiée par le réveil à deux heures du mat’ par la cadette qui avait soif. C’est aussi ça, les gamins. Vous leur répétez cinquante fois que « merde, putain, fille de débile, tu sors de ton lit, tu ouvres la porte de ta chambre, tu fais trois mètres et t’es dans la salle de bain », non, c’est beaucoup plus amusant de hurler « papaaaaaa ! j’ai soooooif ! » histoire de lui saloper son sommeil et qu’il mette ensuite une demi-heure à se rendormir. Le pire, dans tout ça, c’est qu’elle a quand même récupéré une gourde « Hello Kitty » qu’elle a bien pris soin de remplir avant d’aller se coucher et de poser sur sa table de nuit, hein.

« Ah oui mais j’avais oublié » m’a-t-elle répondu.

L’aînée, elle, a passé une bonne nuit, merci pour elle. Merci pour moi également. Non, c’est le matin, à 7h, qu’elle a trouvé plus marrant de m’appeler dans toute la maison pour finalement m’expliquer que « je croyais qu’il était tard et que tu étais réveillé ».

Moi je veux bien voir certains m’expliquer qu’ils détestent les enfants des autres. Je leur réponds simplement d’attendre d’avoir les leurs pour savoir exactement ce qu’est la haine, l’irrésistible envie de violence et l’insoutenable frustration de ne pas pouvoir y avoir recours.
Des fois, juste par pur plaisir et pour me calmer les nerfs, j’imagine les pires tortures qui soient, à leur faire subir : rejouer la plus célèbre scène de Jeanne d’Arc « le méchoui final », avec leur Barbie préférée. Se faire un déjeuner de bonbons pendant qu’on leur sert une assiette de panais, de rutabagas, de topinambours et de fenouil. Mettre leur doudou dans une machine avec de l’eau de Javel. Faire une coupe militaire à leur poupée favorite. Leur promettre une glace en dessert et en sortir une parfum foie gras ou petits pois. Découper leur robe préférée pour leur montrer que ce qu’elles ont fait avec les rideaux quand elles étaient petites, ce n’était pas amusant du tout. Vider le rouleau de papier toilettes et ne pas le remplacer. Rayer le DVD de la Reine des Neiges, décapiter la figurine Elsa, passer le déguisement au rasoir et surtout, oh oui surtout, jeter le disque et effacer tous les mp3 pour être enfin libéré, délivré et ne plus l’avoir en boucle toute la journée.

Y’a plein de belles tortures à imaginer pour les parents. Surtout quand on a des filles. Ça pleure facilement, une fille. Ça chouine, ça a ses petits yeux qui s’agrandissent et s’embuent, la lèvre inférieure qui se met à trembler et hop, d’un seul coup, on a un son et lumière plus les grandes eaux, mieux qu’au Château de Versailles.

Bon, avec l’expérience, vous apprendrez rapidement qu’il n’y a finalement pas besoin de sortir les allumettes pour faire brailler un gosse. Une seule petite phrase suffit. Un peu de torture psychologique. Un « je pensais t’emmener à Disneyland aujourd’hui mais t’es vraiment trop méchant(e), du coup aujourd’hui, on ponce le plafond ». Ou « C’est bête, hein, j’ai acheté des glaces mais on les mangera avec maman ce soir quand vous serez couché(e)s ».Même si ce n’est pas vrai, ça fait généralement son petit effet. Cris et larmes garantis.

Bon, après, y’a un autre problème : supporter les pleurs. Mais hé, vous l’avez cherché, hein. Faut savoir ce que vous voulez, à la fin.

Sauf que non. Vous avez beau imaginer les pires crasses que vous pourriez leur faire pour vous venger d’une nuit écourtée, d’un drap peinturluré au feutre indélébile ou d’un volet à peine repeint gravé au caillou blanc, vous ne ferez rien. Vous irez faire vos 10 bornes en voiture pour aller chercher ses céréales favorites que le supermarché à côté de chez vous n’a plus. Vous vous taperez The Voice Kids avec vos gamines qui ont hérité de la tonalité très hasardeuse de leur mère mais qui s’évertuent à changer – n’importe comment – sur les prestations des candidats. Vous vous taperez deux heures de queue pour aller voir la nouvelle attraction Ratatouille à Disney, attraction qui dure moins de cinq minutes soit dit en passant. Vous irez même vous taper un de ces burgers bien gras au McDo du coin alors que sur le trottoir d’en face, il y a un des meilleurs restos japonais de la région… Vous apprendrez à coiffer des cheveux longs alors que les vôtres vous ont déserté depuis plusieurs années. Vous devrez jouer la carte de l’émotion durant les deux heures et demie du spectacle de danse où votre gamine ne passe que cinq minutes mais « la professeur a dit qu’il fallait rester jusqu’au bout », ou encore au concours de canasson alors que les bourrins, vous ne pouvez les voir qu’en tartare. Vous accepterez même de mettre pour la douzième fois en un mois le DVD de la Reine des Neiges et vous apercevrez, lors du célèbre moment musical, que vous connaissez l’intégralité des paroles de la chanson.

Putain, être père, c’est vraiment pas une sinécure.