Publié le Dimanche 16 février 2014 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

...comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé...

Bon et bien j’ai eu mon premier accident de voiture. Enfin, mon premier accident involontaire, je veux dire. Et puis, les fois où j’ai écrasé volontairement des pigeons, des chats, des chiens, des enfants ou des vieux, ça ne compte pas vraiment, n’est-ce pas ?
Un accident en vingt ans de permis, ça reste quand même honnête. Alors il fallait que je fête ça en grandes pompes. Du coup, j’étais au volant d’une petite 107. C’est chouette, une 107. Bon, c’est un peu un pot de yaourt avec un moteur de tondeuse à gazon, j’avoue. Mais elle est idéale pour les déplacements en ville et se garer dans des trous de souris.
Alors forcément, pour mon premier accident, j’ai pris l’option « Totale ». A savoir, un 15 tonnes. Parfaitement. Quand on fait les choses, on ne les fait pas à moitié, Monsieur. Faut pas avoir peur, faut y aller à fond. Un bon gros 15 tonnes des familles. Avec un bon gros chauffeur bien con et bien limité. La totale, je vous dis. En plus, je venais de sa droite donc j’ai aussi pris l’option « refus de priorité de la part de l’autre abruti ».

Bon, j’enjolive un peu le tableau, quand même. Y’a eu un raté. Un malheureux réflexe de survie à la con qui m’a fait donner un coup de volant. Du coup, il n’a fait qu’érafler tout le côté gauche. Même pas un gros choc, même pas une voiture coupée en deux ou un accident grave avec dommages corporels irréversibles. Juste une petite éraflure. Putain de réflexe à la con, tiens. En plus, c’était la veille de la Saint-Valentin et comme je n’ai eu aucune séquelle, j’ai dû acheter un cadeau. C’est ballot.

Alors tout n’a pas été complètement raté, je vous rassure. Devant ma demande d’aller se garer quelques mètre plus loin pour faire un constat, le routier m’a lancé un « de toute manière j’ai un camion alors j’ai priorité et je t’emmerde » avant de s’enfuir.

Moi qui avais déjà tendance à prendre les routiers pour des sous-développés, j’avoue que pour le coup, ce n’est pas fait pour me faire changer d’idée. Mais bon. J’étais en retard, il y avait des embouteillages, je n’allais pas partir en faisant crisser les pneus pour le lancer à la poursuite du mongolien du jour. Surtout que… j’ai quand même pris soin de prendre en photo sa plaque d’immatriculation.

Oh, pour ceux qui ont encore foi en une certaine justice et pensent que les gentils gagnent à la fin, je me permets de vous ôter vos dernières illusions : la Police ne prend plus de plaintes en cas de dommages uniquement matériels et de délits de fuite. Autrement dit, hein, se comporter comme un connard n’est plus puni par la loi et si vous êtes la victime, vous l’avez, comme d’habitude, doublement dans le cul. Allez hop, une voiture immobilisée pendant 1 semaine pour réparation, du temps de perdu et 200 € de franchise à payer. A sec.

L’histoire pourrait s’arrêter là. A vous demander à quoi sert, finalement, d’avoir la plaque du bonhomme vu que de toute manière, vous ne pouvez rien en faire… Dans la vraie vie, les gentils ne gagnent jamais à la fin, je vous dis.

Sauf que… qui a dit que j’étais un gentil ?

Qui a dit que je n’avais pas appelé la société de transport, me faisant passer pour mon assurance ? Qui a dit que, expliquant les faits, je n’ai pas réclamé le nom et l’adresse du chauffeur, prétextant qu’il me fallait l’entendre pour avoir sa version, sinon les frais de dossiers et de réparation seraient imputés à l’entreprise à cause du délit de fuite ? Qui a dit que je ne les avais pas eues, ces fameuses coordonnées ?

Alors certes, l’idée de m’offrir un week-end dans l’Indre pour lui péter les deux genoux et mettre le feu à sa maison en lui lançant un « vas-y, réussis à sortir et à faire sortir tes enfants de là, maintenant » est séduisante. Démesurée et séduisante. J’y pense parfois en lustrant ma batte de baseball, comme chaque soir, devant la télé. Mais 600 km aller-retour juste pour un petit plaisir fugace, c’est quand même un poil excessif. D’autant plus que mon planning est déjà plein. Parce qu’en réalité, alors que nombre d’entre vous me prennent pour un croisement de psychopathe et de schizophrène, je suis en réalité un homme doux, gentil, serviable et parfaitement aimable. Stéphanie, qui ne me parle plus depuis l’édito de la semaine dernière, peut en témoigner. Maîtresse Carole qui a brisé trois fouets et cravaches déjà sur mon cuir tanné sans réussir à m’arracher un seul cri, peut également soutenir cette affirmation. Je suis un cœur tendre. Et quand on me fait du mal, tel le Messie, tel un Jésus moderne, je pardonne et j’offre des cadeaux.

Tu me grilles la priorité ? Je te pardonne.
Tu érafles ma voiture sur toute la longueur ? Je te pardonne.
Tu m’insultes ? Je te pardonne.
Tu t’enfuis ? Je te pardonne.
Regarde, en contrepartie, je t’envoie un colis. Des bonbons faits maison (merci à La petite fabrique de bonbons) et fourrés personnellement, le lendemain vaseux et « intestinalement difficile » d’un chili con carne particulièrement épicé. Et je suis à ce point humble, refusant les honneurs et les remerciements, que le joli paquet avec le nœud rose, je le posterai au nom de la mairie de ta ville, pour que tu y goûtes en te disant que c’est un joli et agréable cadeau.
Et en ces temps de crise, comme il est difficile de s’offrir de la viande à tous les repas, je t’enverrai régulièrement quelques oiseaux ou chats errants. En plus, tu verras, bien faisandée pendant trois semaines dans la terre, la viande est goûtue à point. En tout cas, outre l’odeur, moi ce que je préfère alors, ce sont les asticots.

Et puis si ça ne suffit pas, si mon cœur n’a pas encore réussi à pardonner tes offenses, j’ai encore deux ou trois cousins maîtres-nageurs à Libertà, le quartier résidentiel de la plus grande ville d’une petite île du sud de l’Italie, et qui me doivent quelques faveurs. Tu verras, ils n’ont pas de diplômes mais sont les gardiens d’une méthode ancestrale pour apprendre à nager en une seule leçon. Une méthode à base de bassine en ciment et de piscine en pleine mer, loin des côtes. Et même si le taux de réussite d’une telle méthode avoisine les 0%, qui suis-je pour remettre en cause des siècles de tradition séculaire ?
Tu vas voir, mon lapin, je vais te la soigner, moi, ta petite vie misérable. Je vais l’éclairer. Je vais te donner l’importance que tu n’as jamais eue. Je vais faire de toi la star de ton quartier. De tes impôts. De ta société. De ta famille toute entière.

Décidément, je suis un mec vraiment trop sympa, en fait. Je suis certain qu’un jour, ça va me perdre. Sur ce, je vous laisse. J’ai des papillotes à terminer.