Publié le Dimanche 11 mars 2012 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Dieu vous parle

Jeudi soir dernier, nous étions avec Tristan en train d’assister à la présentation du dernier AR Drone 2 de Parrott. Enfin, rectification, nous étions accoudés au bar à siroter un excellent punch et tandis que Tristan testait les petits fours, excellents également, je devisais sur le charme saisissant, captivant et irrésistible de l’attachée de presse en charge du produit.
C’est à ce moment précis que ma femme appela sur mon portable pour m’annoncer qu’elle venait d’exploser la lunette arrière de sa voiture, en claquant simplement la porte conducteur.

J’esquivais le « de toute manière, tu n’es jamais là quand ça arrive je vais me débrouiller toute seule » en ravalant le « je ne suis jamais là parce que ça n’arrive qu’à toi et si tu vas te débrouiller toute seule pourquoi tu m’appelles alors ? » et lui donnait quelques directives : « vide la voiture, j’appelle l’assurance, je m’en occupe dès mon retour ».

Du coup, après avoir quand même brièvement pris l’AR Drone 2 en mains, j’écourtais ma soirée et rentrais direct à la maison. Au passage, ça évitait aux videurs d’avoir à m’éjecter puisque je venais d’exploser une lampe Stark avec le drone et de d’éparpiller le punch et les petits fours partout dans la salle en faisant passer la machine en rase-motte au-dessus de la table du buffet.

Une fois rentré, je constatais dans la rue (nous n’avons pas de parking), à la lueur d’un réverbère, l’étendue des dégâts. En effet, la lunette avait littéralement explosé, répandant du verre un peu partout dans et hors de l’habitacle. Dans un moment de lucidité (je vous rappelle que je n’ai pas eu le temps d’apprécier le punch à sa juste valeur), je décidais de conduire la voiture dans le garage de mes beaux-parents qui habitent à 10 minutes à pieds et sont absents pour quelques jours. On ne sait jamais, s’il venait à pleuvoir, il aurait été dommage de transformer le véhicule en piscine mobile. J’emmenais donc la voiture, la parquais dans le garage et repartais d’un bon pas chez moi, espérant enfin pouvoir l’adonner à une activité saine et instructive, à savoir me coller le cul dans le canapé et regarder n’importe quelle niaiserie à la télé.

En marchant, j’entendais comme un murmure m’appelant « Cedriiiic… Cedriiic », un peu comme une plainte lancinante étouffée. Sur le coup, sincèrement, je pensais avoir bu plus de punch que je ne le pensais et concluais par un « ce n’est que le bruit du vent dans les arbres, il faut que j’arrête les films et les jeux vidéo, je deviens fou, ou à défaut, complètement con ».
C’est alors que j’avisais, sur le côté de la route, une plante en feu. N’écoutant que mon courage, j’allais lui décocher quelques coups de savate pour arrêter les flammes. Comme rien n’y faisait, et que malgré tout, deux verres de punch et quelques verres d’eau dans l’après-midi, ça fait pas mal de liquide, je décidais d’uriner copieusement sur le buisson ardent.

« Oh, hé, c’est pas bientôt fini de me pisser dessus ? » retentit alors une voix profonde et caverneuse. « Tu ne sais pas reconnaître les signes ? Et ton éducation religieuse, alors, tu l’as déjà mise aux oubliettes ? »
« Oups… désolé… euh… Dieu ? Vous êtes Dieu ? »
« T’en connais beaucoup d’autres qui apparaissent sous la forme d’un buisson ardent, toi ? A part un pompier pyromane ? Et est-ce que tu en vois dans le coin ? »
« Euh… non… c’est vrai. Mais bon… euh… j’peux finir ? »
« Bah vu que tu as commencé, vas-y, tu n’es de toute manière plus à un blasphème près, hein. C’est bon ? Bien. Alors on va discuter d’homme à Dieu. Assieds-toi. »
Après avoir quand même regardé alentours des fois qu’un voisin me voit en train de papoter avec un arbrisseau en feu, je m’asseyais sur le trottoir.
« Comment je dois t’appeler ? Seigneur ? Ça fait un peu moyenâgeux, ça me plait moyen, limite tu me colles un mouton et j’aurais l’impression d’être Jeanne d’Arc. Et vu comment elle a terminé, je préfèrerais éviter pour ne pas finir moi aussi comme combustible pour barbecue. Arriver au paradis (je ne doute pas un seul instant que c’est ma destination finale) avec une odeur de merguez, c’est pas trop mon truc, surtout pour aller draguer les anges (contrairement à la croyance populaire, les anges ont un sexe et les anges femelles sont souvent bien gaulées, elles ont simplement un sale caractère parce qu’elle n’arrivent pas à mettre de jolis petits tops avec leurs ailes). »
« Pas de chichi entre nous, oublions le protocole et soyons modeste. Appelle-moi Le Tout Puissant »
« Et pourquoi pas T.P. (ndr : prononcez Tipi) à l’anglaise ? »
« Non, laisse tomber, j’aurais l’impression d’être un ex desperate househusband, c’est ridicule comme nom et en plus, les anglais… »
« Quoi les anglais ? »
« Je viens te demander de les bouter hors de France ».
« ... »
« Quoi ? »
« T’es certain, là ? »
« Ben… »
« Non parce que je sais qu’être à la page et être à l’écoute de la société, ce n’est clairement pas le point fort de la religion catholique, mais à ce niveau-là… c’est plusieurs siècles de retard que je vais accuser… En plus tu as choisis le mauvais gars, pour le coup. J’écoute de la Pop Anglaise, j’adore Londres, je mange de la gelée, j’adore la littérature anglaise… Non, écoute, si tu veux te la jouer moderne, il faudrait un truc plus percutant, du genre bouter les arabes hors de France, renvoyer les nègres en esclavage, rouvrir Auschwitz mais pour y exterminer les handicapés et principalement les myopathes qui nous obligent chaque année à supporter le Téléthon… enfin un truc du genre quoi. Et encore, là aussi je te dirais que tu as choisi le mauvais gars. A part peut-être pour les myopathes. Mais quand même, quoi… »
« Attends… ah bon sang de moi, je me suis planté effectivement dans mes fiches. Mais c’est ta faute, aussi, à me parler de Jeanne d’Arc. Non, non, les anglais, ça va pour le moment. »
« Alors qui ? Les noirs ? J’ai des potes blacks alors je ne suis pas trop chaud. Ou alors juste pour déconner, en pousser un ou deux devant une rame de métro, mais pas plus, hein »
« Non, non, les noirs ça va »
« Les jaunes ? On a beau les montrer du doigt, n’empêche que sans leurs tee-shirts à 5 €, on serait obligé de dépenser un mois de salaire pour un simple top made-in France. En plus, j’aime bien les sushis ».
« Oui, moi aussi, c’est bon, ça, les sushis. Mais non, ça ne concerne pas les asiatiques ».
« Les juifs ? Entre nous, ça fait un peu cliché de dégénéré de s’en prendre une nouvelle fois à eux. Les arabes ? Trop commun et le Marine n’est pas une couleur que j’affectionne particulièrement. »
« Non et non. Mais tu vas me laisser parler, dis ? Tu viens de péter mon effet d’annonce. Merci pour la mise en scène. »
« Désolé ».
« Bref, Cedric. »
« Oui ? »
« Cedric ! »
« Oui ! »
« Cedric ! Je te demande de bouter les abrutis hors du Net ! »
« … »
« Euh… tu as compris le message ? »
« … »
« Ben réponds quelque chose. Du genre Oui Seigneur je combattrais le mal en votre nom, ou un truc cool du genre, quoi… comme tes prédécesseurs dont j’ai armé la main… »
« Tu te rends compte de l’ampleur de la tâche ? Non mais on ne parle pas de trois ou quatre mille rosbeefs qui viennent picoler notre calva, là… Ni une dizaine de marchands du temple à exproprier manu militari. On parle de dizaines, que dis-je, de centaines de milliers de têtes de con à mater. Tu veux que je me fasse buter en allant chercher mon pain ou quoi ? »
« Plus la tâche est ardue, plus le mérite est grand ».
« Tu trouves que j’ai une tête de martyr ou quoi ? Non, franchement, demande-moi des trucs réalisables, quoi. Arrêter de frapper mes enfants, tromper ma femme, jeter des cailloux aux mendiants, trouver une nana pour Vincent ou… enfin non, pas de nana pour Vincent parce que là aussi ça relève du miracle, mais un truc faisable… tu dois bien avoir ça, non ? »
« C’est ta mission. Ta mission sacrée ! On ne dit pas Non à Dieu ! »
« Bon, écoute, je te propose un truc. Je commence par faire le ménage sur GamAlive et dégager les abrutis par brouettes entières. Pour le reste, viens à la maison dîner vendredi de la semaine prochaine et on en rediscute, ok ? »
« C’est tentant… Ta femme fera sa célèbre salade de pâtes ? »
« Oui, je pourrais lui demander ».
« Alors ok. Je m’occuperai du vin. Il doit me rester quelques bonnes amphores d’eau à transformer dans la cave. »
« On dit 20h ? »
« D’accord ».
« Bon ben à Vendredi alors. »
« A vendredi ».

Je rentrai donc en petites foulées chez moi, porté par une forme olympique, presque… divine… Et une fois à la maison je m’exclamais « Chérie ! Devine qui j’ai croisé dans la rue ! » pour la trouver finalement endormie sur le canapé.

Après l’avoir regardé tendrement, je l’ai doucement réveillée et nous sommes allés nous coucher. Je ne lui ai finalement rien dit. Ça lui fera la surprise vendredi prochain.

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