Publié le Mercredi 10 mars 2010 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
Bois-moi
Au risque de m’attirer les foudres de certains cinéphiles, ou qui du moins se prétendent tels quels, je n’ai jamais vraiment eu d’atomes crochus avec les univers de Tim Burton. Si j’ai été touché par la merveilleuse poésie d’Edward aux mains d’Argent, ai été amusé par la loufoquerie de Beetlejuice et par l’humour de Mars Attacks!, j’ai eu beaucoup plus de mal, voire n’ai pas du tout aimé les Batman, Ed Wood, Sleepy Hollow, Big Fish, Charlie et la Chocolaterie, Noces Funèbres et autres Sweeney Todd. Notez que je n’ai pas plus aimé un film dont on lui prête souvent, par erreur, la réalisation, alors qu’il n’a été que producteur (même si sa « patte » y est indéniablement visible), L’Etrange Noël de Monsieur Jack.
Certes, les goûts et les couleurs ne se condamnent pas, tout juste se discutent-ils. Mais cela pour souligner le fait que, bien qu’invité à la projection presse d’Alice au Pays des Merveilles, et à ma demande qui plus est, j’y allais un minimum à reculons. D’autant plus que les « bouffonneries Burtonesques » auxquelles se prête trop souvent Johnny Depp dans ces films me faisait craindre le pire pour son rôle de Chapelier dans cet Alice.
Mais j’étais assez curieux de voir ce que Tim Burton allait faire de ce chef d’œuvre de Lewis Carroll.
Déjà, au cas où vous ne le sauriez pas, il ne s’agit pas d’une adaptation de l’œuvre originale pour le cinéma. Pas de copie personnelle du dessin animé – assez moyen à mon goût – de Walt Disney. Tim Burton a pris le parti de lui écrire… une suite.
Alice Kingsleigh a 19 ans. Une dizaine d’années se sont écoulées depuis sont voyage au pays des merveilles. Une dizaine d’années durant lesquelles elle a oublié cet épisode de sa vie, persuadée qu’il ne s’agissait là que d’un rêve. Durant lesquelles elle a également perdu son père chéri, qui laisse une blessure ouverte dans son cœur.
Aujourd’hui est un grand jour : le jeune Hamish, fils de Lord et Lady Ascott, va demander la main d’Alice. Mais voilà… ce jeune homme terriblement ennuyeux n’est pas fait pour elle. Et elle va sauter sur la première occasion pour fuir ce désagréable moment : apercevant un lapin blanc vêtu d’un gilet, elle le suit… pour finir sa course dans un profond trou.
Et la voilà de retour au pays des merveilles.
Le pays des merveilles n’est plus vraiment ce pays joyeux et un peu fou qu’elle a quitté. La reine rouge y fait régner la terreur et personne n’ose s’opposer à elle. Elle commande en effet au Jabberwocky, terrible dragon. Seule la vraie Alice est destinée à combattre le Jabberwocky et à rendre son merveilleux au pays. Pour ça, Alice va être guidée par Bayard, un basset sans peur et sans reproche, Chess, le chat capable de se rendre invisible, Mallymkum, une intrépide petite loir, Tweedle Dee et Tweedle Dum, les deux jumeaux grossets, et Absolem, la chenille bleue. Et bien entendu, sa route va croiser celle du Chapelier, personnage un peu fou, avec lequel va commencer une profonde amitié.
Ses amis capturés par la Reine Rouge, poursuivie par ses armées, Alice va devoir trouver de l’aide auprès de la Reine Blanche et se lancer dans une quête qui, si elle était improbable pour une petite fille de 10 ans, l’est toujours autant pour une jeune fille de 19.
Pendant 1h45, Tim Burton va tenter de pénétrer dans le monde de Lewis Carroll, en restant fidèle à l’œuvre originale, mais en y proposant une toute nouvelle aventure. Pari assez osé. Et pari en bonne partie réussi, il faut bien l’avouer. Car soyons honnête : le film reprend les éléments et personnages clefs du roman. La potion pour rapetisser, le gâteau pour grandir, le Chapelier fou, les personnages étranges, les animaux qui parlent, les décors surréalistes… et pour peu que l’on connaisse un peu le roman ou le film d’animation de Walt Dinsey (1951), on se retrouve sans problème en terrain connu.
Le film est un savant mélange d’images de synthèse et de personnages réels. Savant ? En partie. Parce que le film, techniquement, n’est pas dénué de défauts. Des défauts qui viennent en partie gâcher l’ensemble, il faut bien l’avouer.
Tout d’abord, sachez qu’Alice au pays des merveilles est un film en 3D. Bien entendu, vous pourrez le voir en 2D dans les cinémas non équipés de cette technologie… et à vrai dire, vous aurez bien raison. Durant tout son film, Tim Burton abuse encore et encore des effets 3D, à tel point que c’en est dérangement visible. Il multiplie les prises de vue en profondeur, malheureusement pas toujours avec bonheur. Alors oui, certains passages sont assez sympathiques et rendent particulièrement bien. Surtout les passages montrant de grands paysages, à vrai dire. Mais pour le coup, histoire de rentabiliser son utilisation de cette technologie, Tim Burton va multiplier les plans à rallonge. La plongée d’Alice dans le pays des merveilles, par exemple. C’est vrai que « plonger dans un trou en 3D », c’est impressionnant. Mais ledit plan dure bien 15 à 20 secondes de trop. D’autres plans sont malheureux, également. La 3D souffre mal les travellings trop rapides ou les objets ou personnages qui bougent trop vite. En résulte un flou très désagréable (les deux « insectes » qui tournent autour d’Alice à son arrivée en sont un parfait exemple). Flous et désagréables également certains premiers plans (herbes, objets, voire même personnages) censés offrir une profondeur supplémentaire à l’image. Enfin, certains passages sont tout bonnement « foireux ». On citera notamment le combat final dans les ruines, entre Alice et le Jabberwocky (rassurez-vous, je ne vous « gâche »pas la fin du film avec cette annonce, vu que vous savez dès le début qu’il se terminera de la sorte). Un coup on a une vue éloignée avec des ruines en 3D et une Alice clairement en 2D qui s’y déplace, un coup on a une vue du champ de bataille, vue des ruines, avec des pierres et un effet de profondeur en premier plan qui se termine par le combat entre les armées, combat clairement en 2D.
Bref. Tout ça pour dire que la 3D, aussi impressionnante soit-elle, et même si elle montre quelques effets sympathiques dans le film, est un atout clairement négligeable pour cet Alice au Pays des Merveilles. N’est pas James Cameron qui veut. A la rigueur, si vous avez le choix, à prix identique, entre les deux versions, vous pouvez toujours opter pour celle en 3D. Mais clairement, sur ce film, cette technologie n’apporte pas grand-chose au film et ne mérite pas que l’on verse 2 ou 3 € supplémentaire pour elle.
Enfin, tout aussi fidèle à l’œuvre originale soit-il, je regretterai quand même l’orientation finale du film. Faire d’Alice une « guerrière » qui doit affronter le Jabberwocky épée à la main, est un choix stupide et totalement inutile. Alors certes, comme me le faisait remarquer Vincent, qui s’il est plus fan que moi de Tim Burton n’en a pas pour autant apprécié le film, « il ne se passe rien ». Et c’est sans doute en cela que scénaristes, réalisateur et producteurs ont voulu donner un « souffle épique » à leur histoire en collant un combat façon médiéval-fantastique à la fin. Pour le coup, il s’agit là effectivement d’une odieuse trahison à Lewis Carroll. Odieuse et, je le répète, totalement inutile.
Pourtant, même si je suis sorti de la salle en me disant que « mouais, bof », avec le recul, je me dis que cet Alice au Pays des merveilles n’est pas si mal que ça. Certes, le film est assez contemplatif. Mais n’oublions pas que c’est un conte. Et dans un conte, il n’y a pas d’armées de gobelins qui fondent sur un village humain, tuent, pillent, violent, et oublient de tuer un jeune homme qui décide alors de venger les siens et d’aller affronter, opinel en poche, ses ennemis. C’est un conte pour enfants. Les évènements y sont donc relativement basiques et l’action, quasiment absente. Et honnêtement, si vous y allez avec ce sentiment, avec cette idée, vous passerez plutôt un bon moment. L’histoire n’est pas ennuyeuse. Elle est parsemée de quelques pointes d’humour et, surtout, d’une loufoquerie et d’une folie limite contagieuse.
J’avais également peur que Johnny Depp cabotine comme à son habitude (je l’ai trouvé assez insupportable dans Charlie et la Chocolaterie). Il n’en est rien. Il joue avec une relative subtilité son rôle de Chapelier (relative car à jouer un fou, on doit quand même « cabotiner » un minimum). Idem pour Helena Bonham Carter qui incarne la Reine Rouge. Ce n’est pas une actrice que j’affectionne particulièrement, mais elle s’en tire avec brio dans son rôle. Reste Alice, que l’on aurait pu craindre insipide mais qui, sans faire réellement d’étincelle, s’en sort finalement plutôt bien.
Au final, donc, Alice au Pays des Merveilles version Tim Burton est un film assez agréable. Il ne restera pas dans les annales, certes, et ne devrait en toute logique pas faire de grandes étincelles au box office, mais reste sympathique à regarder, à partir du moment où l’on n’en attend pas grand-chose. Il a surtout le bon goût d’être relativement fidèle à l’œuvre de Lewis Carroll, si l’on fait abstraction de sa fin. Un bon divertissement, en quelque sorte, mais rien de plus.
Sortie en salles le 24 mars prochain.