Publié le Dimanche 10 mai 2009 à 21:23:55 par Pierre Le Pivain
Le Jeu Vidéo, ce n'est pas de l'art...
Bien que plus ça va, plus je pense que l’univers vidéo ludique ne veut plus de moi, je continue, malgré tout, à apprécier les jeux vidéo, et, entre deux illustrations et trois dessins, je lance une partie ici de Fallout III, là de Mass Effect, ou encore, là, d’Assassin’s Creed.
C’est hier que je suis sorti de ma réserve. En gros, c’est hier que j’ai décidé, après de looooongs mois de silence, d’écrire quelques lignes à propos du jeu vidéo.
Quelque part, sur un coin de Facebook, l’une de mes plus chères amies avec qui j’ai partagé une douzaine d’années d’histoire de jeu vidéo, avait mis en exergue un texte publié sur le site
Gamer’s Epicerie… Un site de jeu vidéo.
L’exercice était habile. Il reprenait un texte qu’un vieux croûton de l’Académie Française avait écrit à propos du cinéma, et avait remplacé toutes les allusions au 7ème art, par des allusions au jeu vidéo. Bref, le brûlot originairement destiné à convaincre qui voulait bien le lire que le cinéma, c’était de la merde, devenait un brûlot destiné à synthétiser les idées selon lesquelles, le jeu vidéo, c’était de la merde… Certes, je vais vite en besogne, dans cette appréciation, mais bon… De cette acrobatie littéraire, l’auteur du billet détourné tirait plusieurs conséquences sur ce qu’il pensait être l’état du jeu vidéo, face au peuple de France.
Une moralité fut extraite de ce détournement de texte : le jeu vidéo récolte le même type de critiques que le cinéma.
Trois critiques furent extraites de ce texte détourné, comme autant de plumes blanches balancées dans des enveloppes destinées à un officier britannique. Primo, le jeu vidéo nous transforme en zombies, deuzio le jeu vidéo corrompt l’esprit de la jeunesse, et tertio, le jeu vidéo ne laisse aucune place à la réflexion et à la rêverie. C’est en tout cas, selon l’auteur qui est sûrement un type bien, puisqu’animé par la cause de la défense du jeu vidéo, trois « critiques » qui résumeraient le ressenti d’une grosse partie de la population française, face au loisir vidéo ludique. À cela, s’ajoutait la conclusion :
« Malgré les critiques de ce genre, le cinéma est depuis longtemps massivement reconnu comme un art à part entière. Les critiques actuelles du jeu vidéo qui affirment en cœur “ce n’est pas un art, ce n’est pas de l’art” se plantent autant que Duhamel s’est planté. La haine de la culture populaire manque cruellement d’originalité. »
Bon… J’ai pensé… Réfléchi… Étudié, puis ouvert ma page Word, non pas pour faire une réponse directe à ce billet d’humeur, après tout, chacun fait ce qu’il veut, mais pour raconter pourquoi je pense que cette approche est fondamentalement biaisée.
À la lecture de ce billet d’humeur, je pense qu’il est dangereux de reprendre des discours, fussent-ils aussi idiots et pleins de surréalisme sénile, et de les réadapter à notre sauce, et surtout à notre époque. Le coup de remplacer le mot « cinéma » par « Jeu vidéo » était une mauvaise idée dans le sens que l’auteur présente cette déformation comme étant une réalité de ce que l’on peut penser du jeu vidéo…
Les choses ne sont pas si simples… Ça me fait penser à ces gens qui s’emportent, et qui vous traitent de « sale type de droite » parce que vous avez le malheur d’avoir émis une observation sur l’inexistence incroyable de toute opposition à la présidence française actuelle… Ici, c’est un peu pareil.
Ce que je crois ? Je crois qu’avoir choisi ce texte en particulier (scène de la vie future, de Georges Duhamel de l’Académie Française) est une erreur fondamentale. Comme précisé dans le site Gamer’s Epicerie, ce texte date des années 30… Dire qu’il respire la trouille face à un nouveau média tient du doux euphémisme… Le reprendre tel quel, pour le replacer aujourd’hui est, à mon sens, maladroit. Pas mal d’eau est passée sous les ponts. Le cinéma est culturellement et totalement accepté, et intégré dans notre culture.
Certes, de cette approche, on peut avoir un regard assez pertinent en se disant que « ce connard de Duhamel s’est foutu le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate, et que toute critique du même genre de la part de vieux cons sur le jeu vidéo, risque de subir le même destin »… Ce serait profondément réducteur, et accessoirement, ce serait assez dangereux.
Dangereux parce que grâce à ce genre de détournement, on en arrive très facilement à faire un amalgame, et à penser que « oui, les mecs de l’Académie Française » sont des pauvres caves… Mais c’est surtout dangereux parce que cette approche fait une véritable victimisation du jeu vidéo…
Et ça, c’est mal.
Le jeu vidéo n’a pas besoin d’être une victime… D’autres ont déjà essayé de faire la même chose du jeu vidéo il y a une dizaine d’années, et ça a plus stigmatisé les défauts d’un média trop jeune, plutôt que d’arranger les choses. L’effet a été exactement le même que celui de la campagne antidrogue de la fin des années 80, dont le slogan était « la drogue c’est de la merde » (ils en avaient fait même une chanson assez pitoyable pour la circonstance, dont le refrain était « dis-leur merde aux dealers »… On avait à la fois le chagrin et la pitié)
Le jeu vidéo a justement besoin d’ignorer profondément ces critiques d’un autre âge, lorsqu’elles ont lieu… Et c’est bien là où ça coince, par rapport à l’approche de nos amis de Gamer’s Epicerie : plutôt que de reprendre un texte détourné pour illustrer un propos, pourquoi n’ont-ils pas plutôt repris les déclarations d’une Christine Boutin ou d’une Ségolène Royale à propos de la culture des jeux vidéos (et accessoirement des Mangas) pour donner un levier plus « actuel » à cette appréciation de la culture vidéoludique dans notre beau plateau de fromages ? Pourquoi n’ont-ils pas demandé directement à l’un des immortels de l’Académie Française ce qu’il pensait de ce nouveau média, histoire de comparer son opinion à celle que pouvait avoir Machin-Duhamel à propos du cinéma ? Au moins, on aurait pu voir si les croûtons s’étaient ramollis dans leur soupe, où s’ils étaient devenus plus rances…
Mais ce qui m’a plus dérangé, dans cette approche, c’est que tirer des conclusions à partir d’un texte détourné, ça ne se fait pas… C’est ce qu’on appelle soit de la désinformation, soit de la propagande… Désolé, chers collègues, mais je ne suis pas du tout d’accord avec vous sur la manière que vous avez eue de procéder… Car en faisant ainsi, vous donnez du grain à moudre à nos détracteurs.
Reste la conclusion finale.
Et là, je ne vais engager que mon opinion personnelle, juste histoire de dire à quel point il est possible que je me trompe.
Non, le jeu vidéo n’est pas un art… C’est un loisir. Un amusement. Une « décontraction de l’intelligence » comme Gainsbourg aurait dit*. L’art, ce n’est rien d’autre qu’une idée, forgée dans l’esprit, dont la traduction matérielle se fait contempler par le public. En faisant des trucs contemplatifs en guise de jeu vidéo, des éditeurs comme Cryo nous ont fourni 10 années de jeux vidéo de merde, chiants à mourir… Si le jeu vidéo était de l’art, ça se saurait, et tout le monde s’emmerderait à contempler son écran, à rien faire d’autre que d’essayer de savoir « pourquoi ils ont fait ça ».
À la différence du cinéma, et de tout autre art, le jeu vidéo exige de son public qu’il réagisse à ses stimulations orchestrées par son gameplay, et accessoirement par sa narration, lorsqu’il y en a une. Le jeu vidéo n’est pas de l’art. Le jeu vidéo est un jeu de l’esprit et des sens, au même titre que les échecs sont un jeu de l’esprit (mais moins des sens)… tout est dans les fenêtres de l’esprit qu’ouvre ce nouveau média.
Maintenant, que le jeu vidéo ait besoin d’art pour exister, c’est une évidence… Mais non… le jeu vidéo, ce n’est pas de l’art.
*la phrase exacte c'est : "la connerie, c'est la décontraction de l'intelligence"