Publié le Dimanche 13 novembre 2016 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Des papas et des divorces

Jeudi soir, j’essayais d’expliquer à mes filles les notions de tentations au sein d’un couple, de l’amour qui peut, au fil des années, s’étioler, le tout à grands renforts d’image de sources qui se tarissent, de saisons qui passent, de feuilles mortes qui se ramassent à la pelle, et de petits canaris que l’on a décapité avec les dents. Bon, certes, cette dernière image n’avait pas grand-chose avoir avec un amour qui s’éteint, mais vous me connaissez, je ne rate jamais une occasion de laisser imaginer à mes enfants de belles images de la vie de tous les jours.

Bref, je leur parlais de divorce et de séparation.

Parce que parfois, les papas sont un peu cons et qu’ils cèdent à la tentation. Que parfois, de jeunes et sublimes filles aux yeux de biche papillonnent autour d’eux, et qu’ils s’abandonnent à un corps vigoureux, souvent simplement pour oublier que le temps passe et qu’il les accable immanquablement. Durant mes explications, je me lançais dans des images poétiques et des termes romantiques.

Voyant que mes gamines étaient un peu larguées par la notion de métaphore, et que moi-même je me perdais un brin puisque j’en étais rendu à leur parler de Napoléon, Joséphine et Marie-Louise d’Autriche, parlant des nécessités de la Nation qui supplantent parfois la notion simple des sentiments, et je mâtinais mon discours d’exemple avec Nemo, Monstres et Compagnie ainsi que Rio Bravo et Pulp Fiction, ma femme intervenait alors en résumant avec brio, quoi qu’un peu crûment, le fond de ma pensée :

« Parfois, les papas, ça pense avec leur bite et ça va baiser des filles plus jeunes que les mamans, alors après, les mamans, ça les fout à la porte avec un coup de pied au cul. »

Du coup, là, effectivement, elles ont mieux compris.

Ma fille cadette, qui vient tout juste d’avoir 8 ans, s’est jetée dans mes bras et m’a expliqué que même si son papa et sa maman se séparent, on vivra encore tous ensemble et elle verra papa autant que maman et qu’elle nous aime tous les deux et que quoi que son papa fasse elle continuera de l’aimer et que s’il ramène une nouvelle maman à la maison, c’est pas grave, elle l’aimera aussi.
« Même si c’est une petite pute. » a conclu ma femme.

Ma fille aînée, du haut de ses 11 ans, elle, a été un brin plus catégorique : « papa, si tu ramènes une autre fille, si tu quittes maman, si tu lui fais du mal, je ne veux plus jamais te voir ».
« Non mais je suis quand même ton père ».
« Pas si tu fais du mal à maman. »
« Oui mais peu importe les histoires de grands. Papa restera toujours ton papa qui t’aime ».
« Peut-être, mais moi je ne t’aimerai plus. Alors ce ne sera pas la peine de revenir me voir. Plus jamais ».
« Ha ha ha. T’es une marrante. De toute manière, t’auras pas le choix ».
« Je ne plaisante pas. Si on m’oblige, je m’enfuirai et comme ça, en plus, le juge dira que tu es un père irresponsable et te retirera la garde de tes deux filles, et ce sera bien fait pour toi ».
« Voilà », a renchéri ma femme. « Tu resteras avec ta poufiasse tout seul et on ne voudra plus jamais te voir ».

Ma fille. Qui me rejette. La chair de ma chair. Que j’ai éduqué avec des préceptes d’amour, de pardon et de baffes dans la gueule. A qui j’ai tout sacrifié, ou du moins une ou deux de mes figurines Star Wars de mon enfance. Mon enfant. Et qui aujourd’hui m’annonce tout de go qu’au moindre écart, je pourrai aller me faire foutre. Quelle trahison. Quelle infamie. Quelle cruelle déception ! Quelle rage ! Quel désespoir ! Quelle vieillesse ennemie ! Je n’ai tant vécu que pour cette infamie ? Et je ne me suis blanchi dans les travaux guerriers que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?

Du coup, hein, faut que je calcule. Parce que tout ça, ça change un peu la donne, quand même. Céder aux plaisirs de la jeune chair, céder à l’appel d’une jolie poitrine, d’un fessier rebondi et ferme, d’un regard captivant, d’une chevelure qui tombe en cascade ondulée sur des épaules à peine dénudées à vous en faire se pâmer un Saint, c’est dans la colonne des « vas-y, fonce ».
A côté de ça, devenir un paria dans sa propre famille, voir sa fille vous répudier et être prête à vous arracher les yeux avec ses ongles (je les ai bien élevées, elles savent du coup parfaitement comment faire), se faire foutre à la porte et dormir dans sa bagnole alors que l’hiver arrive, à mon avis, ça va dans la colonne des « je devrais peut-être quand même réfléchir avant de faire une connerie ».

« Mais au fait », m’a demandé mon épouse… « Pourquoi tu nous parles de ça ? »
« Euh rien… du tout. C’était juste pour évoquer le sujet, tu vois… les filles sont à un âge où elles peuvent se poser des questions, où certains de leurs amis peuvent avoir des parents qui divorcent. Du coup, je préfère répondre à leur question, leur en parler un peu pour qu’elles comprennent… »

Je suis quand même allé effacer le récent numéro de téléphone ajouté dans mon répertoire, et la discussion SMS qui lui est liée.

« Au fait papa » m’a demandé alors la petite dernière…
« Oui ma chérie ? »
« Pourquoi tu nous disais que Némo il a tué Napoléon dans un combat de boxe avec des cow-boys ? »