Publié le Dimanche 31 janvier 2016 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

De la difficulté d'être père

Finalement, tout le principe de l’éducation d’un enfant est de faire en sorte qu’il devienne une meilleure personne que nous.

C’est du moins ce schéma que, théoriquement, un parent devrait suivre. On se sert de son propre vécu, de ses propres expériences, de ses propres réussites et de ses propres erreurs – surtout de ses propres erreurs puisque ne dit-on pas qu’on apprend plus dans l’échec ? – pour aider ses propres enfants à se construire, pour les guider, pour les aiguiller.

Et putain ce que c’est difficile.

Un gamin, c’est un vrai parcours du combattant. Des nuits blanches en perspectives. Des emmerdes à foison. Des engueulades de couples à cause de dissonances dans la vision de l’éducation.

Moi, c’est pire. J’ai deux filles. Et Dieu sait si ça ne fonctionne pas comme un mec. Tenez, la dernière fois, la petite dernière m’apporte un de ses dessins pour me l’offrir. Un truc gribouillé à la va-vite entre deux bouchées de BN au quatre heures. Je lui ai gentiment fait remarquer son manque d’application, visible par rapport à l’immense talent dont elle fait preuve d’habitude, et lui ai avec amour suggéré de remettre son ouvrage pour créer un plus beau dessin.
Enfin bref, je lui ai sorti « c’est de la merde ton truc, tu t’es pas foulée sur ce coup, si tu veux m’faire un cadeau, fais au moins en sorte qu’il soit beau. J’vais pas afficher ta croûte immonde sur mon bureau et voir ça tous les jours. Refais-moi un truc plus joli, avec plein de couleurs ».

Et bim. Elle s’est mise à chialer.

Alors derrière, vous essayez de rattraper le coup en lui expliquant que d’habitude elle fait des jolis dessins, que d’ailleurs, vous en avez mis plein votre bureau, qu’elle est douée – c’est normal, c’est votre fille – mais que désolé, celui-là, ben, c’est quand même de la merde.
Et là, elle se remet à chialer de plus belle, chiffonne son dessin en disant que de toute manière tout ce qu’elle fait c’est moche, que vous ne l’aimez plus, et qu’elle va le dire à sa mère.
Je vous le donne en mille, la mère débarque sur ces entrefaites et vous cartonne sous prétexte que vous êtes un sale type et que vous pourriez faire un effort, que de toute manière, c’est toujours la même chose, que vous n’en ratez pas une et qu’elle aurait mieux fait d’écouter sa mère et d’épouser ce pilote de ligne brésilien qui lui faisait du gringue quand elle était jeune, au lieu d’un gros bouffon tortionnaire d’enfants.

Oh, hé, ce n’est pas toi qui va devoir accrocher c’te bouse à côté de ton écran pendant six mois, le temps qu’un autre dessin vienne le remplacer, hein. Et puis si tu l’aimes bien, t’as qu’à le prendre pour ton bureau. En plus il est tout chiffonné, ça donne un côté art moderne.

Et ça, c’est juste la petite de 7 ans. Oui, celle qui chouine pour un oui ou pour un non, juste parce que vous venez de lui faire remarquer qu’elle ne s’est pas lavée les mains en rentrant de l’école et qu’elle n’a pas mis ses chaussons, et que si elle ne corrige pas ça tout de suite, vous l’obligez à manger par terre avec les mains et à marcher sur du verre pilé. Celle qui a une chambre pour elle toute seule – ce que personnellement je n’ai jamais eu, devant partager 9m² avec six de mes frères et sœurs – mais qui préfère venir faire chier sa sœur dans la sienne.

Et la grande, finalement, c’est pire.

Je commence à grave la perdre. Oh, j’arrive encore à suivre. Un petit peu. Mais je la sens qui m’échappe dans ses réactions et son comportement. Dans ses réflexions et ses décisions. Dans sa manière d’être. L’adolescence, en fait, ce n’est pas tant l’enfant qui change que les parents qui n’y arrivent pas. Enfin pour mon cas. J’suis désolé, mais ma gamine, mon petit bébé, elle commence à avoir les nichons qui poussent, les hanches qui s’affirment et une pilosité qui apparaît à des endroits anormaux pour les toutes petites filles à leur papa. Et perso, j’suis encore loin d’être prêt pour ça. Je prends sur moi, notez bien. J’me travaille au corps. Mais j’suis loin d’être prêt.
Et je les vois bien, tous ces petits cons, qui commencent à la regarder différemment. Elle a même un gars qu’elle trouve mignon et devant lequel elle papillonne de plus en plus. Une espèce de petite endive au charisme de bulot. Ma femme a beau me dire que non, il est très mignon et ça prouve que ma gamine a bon goût, que c’est un garçon très bien et très bien élevé qui plus est, moi j’vous dis qu’il a une tête de petit con et que s’il s’approche un peu trop, à défaut d’en rouler une à ma fille, il va se manger un bon coup de pelle dans les gencives. Ça lui remettra les idées, en plus des molaires, en place. Non mais.

Je me suis bien renseigné, hein. Mais ils ne prennent pas les gamines de 7 et 11 ans dans les couvents. Alors en attendant, va falloir que j’ouvre l’œil et que je pose des pièges devant la porte de la maison.

Tout le principe de l’éducation d’un enfant est de faire en sorte qu’il devienne une meilleure personne que nous, disais-je. Personnellement, je doute qu’elles puissent faire pire. Du coup, je ne suis pas trop inquiet. Mais dans mon cas, c’est peut-être mon éducation par rapport à mes enfants sur laquelle il va falloir que je travaille. Et ça, c’est un sacré challenge.