Publié le Dimanche 17 janvier 2016 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Vivons bourrés en attendant la fin

Ceci est mon testament.

Oui, je sais, j’ai décidé de plomber l’ambiance en ce début d’année 2016. Après un édito qui était loin de respirer la joie et la gaieté la semaine dernière, j’ai décidé de poursuivre dans cette voie pleine de sourires et d’envies de gambader à poil dans la forêt avec pour seul cache sexe, un écureuil. Et la semaine prochaine, si vous êtes sages, je vous apprendrai comment se suicider avec un tube de dentifrice et une petite cuillère.

Mais revenons à nos moutons. Ou nos écureuils morts si vous préférez. Cette semaine, j’ai fait la douloureuse expérience d’une cérémonie d’adieu à une personne merveilleuse, partie bien trop tôt. C’était, comme vous pouvez vous en douter, totalement épouvantable. Du moins de mon strict point de vue. Et je ne juge pas la qualité de l’au-revoir, vous l’avez bien compris, mais ma capacité à endurer ce moment. J’ai déjà eu mon quota d’enterrements et j’ai de plus en plus de mal à les supporter. C’est comme une touffeur irrespirable qui m’enserre la gorge et m’enveloppe le cerveau. Je n’ai qu’une envie, c’est partir en courant et en criant des insanités au tout-puissant, comme un syndrome de la Tourette religieux qui ne se déclencherait qu’à la vue d’un cercueil dans un lieu Saint. Sauf que j’ai encore cette petite étincelle de lucidité qui me dit que ce genre de comportement pourrait être mal vu et que ça m’apporterait encore mon lot d’emmerdes personnelles. Alors je compte. Dans ma tête, je compte. 1, 2, 3, 4… 42… 69… 666… 1973… et quand je perds le décompte, je recommence à zéro. C’est mon côté Rain Man pour me protéger et ne pas me laisser submerger par la douleur.

Je me demande simplement jusqu’à quand j’aurai encore cette étincelle de lucidité.

Si un jour, vous me voyez quitter un enterrement en gueulant, soyez indulgents. C’est simplement que la petite étincelle aura été soufflée par un « putain de bordel d’enculé » un peu trop puissant cette fois-ci. Et si au passage, je balance un cierge Pascal à travers la salle et fous le feu à une tenture, dites-vous que ce n’est que de la douleur. Juste de la douleur. Et puis le pardon n’est-il pas l’un des piliers du discours de l’Eglise ? Je dis ça, j’dis rien. Mais au passage, ils feraient bien de s’en souvenir un peu plus souvent.

Ceci est mon testament, donc, et contrairement à la quasi-totalité de l’humanité, je ne suis pas du genre à imposer ce que je ne peux supporter moi-même. Enfin, j’essaie, quoi. Moi au moins.

Bon. Je sais que j’aurai du mal à éviter la cérémonie, le curé qui raconte que je suis désormais auprès du Seigneur, et qu’il faut non pas pleurer de m’avoir perdu mais se réjouir de m’avoir connu, sans compter tout un tas de conneries sur la personne exceptionnelle que je pouvais être et que je laisse un grand vide dans vos cœurs, blablablabla… en oubliant bien évidemment de raconter cette sombre histoire d’attentat à la pudeur, de meurtre au premier degré et de violences sur autrui. L’autrui étant, en général, un emmerdeur, un porteur de tongs en pleine ville ou un routier. Voire les trois à la fois.
Bref, j’aurais droit à ma Ceremony.


Mais du coup, avant, juste avant d’aller larmoyer dans une église trop grande et trop froide, j’aimerais un hommage un peu plus fidèle à ce que je fus. Plus chaud. Plus intime.

Réservez un bar.

Si possible situé à un étage auquel on accède par des escaliers étroits, juste histoire de faire chier les croque-morts. Collez mon cercueil en plein milieu de la pièce. Ouvert. Avec un entonnoir dans la bouche. Et venez trinquer. Qu’il y ait de la bière, du whisky, que ce soit open bar pour tous. Et que vous veniez me verser une goutte de chacun de vos verres.
Avoir la gueule de bois dans un cercueil, ça ce serait la classe. Un peu de musique en fond, quelques petits fours pour faire passer l’alcool, mais pas assez pour éponger. Et ceux qui en auront envie pourront porter un toast à ma mémoire. Ils devront tirer au hasard un mot dans un chapeau et l’inclure à leur discours. Des mots bien chiants à placer, comme « Acédie », « Rodomont », « Postéromanie », « Happelourde », « Bonace », « Canuler » ou encore « Valétudinaire ». Je vous laisse chercher la définition de tous ces mots qui existent bel et bien.
Et jetez-vous des cotillons. C’est important, ça, les cotillons.

Vous allez voir. Après ça, ma cérémonie à l’église sera nettement plus drôle. Faites lire les textes par les gens les plus imbibés. Un mec bourré avec un chapeau pointu sur la tête et un sans-gêne dans la bouche et des serpentins accrochés aux oreilles qui lit un évangile à propos de la douleur mais du bonheur d’être réuni à Dieu, ça risque de promettre.

Ah. Flûte. Il est 11h59. Je suis à la bourre. Bah. On dit toujours qu’il n’y a qu’à son décès qu’on est en avance…

Sur ce, passez un bon dimanche. Moi je vais étudier la différence entre sapin, chêne et acajou.