Publié le Dimanche 21 juin 2015 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Je vous sème aussi

On ne se rend pas compte du pouvoir d’un cœur dessiné à la va-vite, colorié monochrome avec un feutre usé jusqu’à la moelle, et qu’on pourrait limite croire découpé à la main.
Merci d’ailleurs aux innombrables institutrices qui sont persuadées que « faire une jolie chose pour la fête des mères est primordiale » mais qui se disent que « la fête des pères, on s’en cogne un peu ». Alors pour la maman, ce sera une bougie, un cadre-photo, ou je ne sais quelle autre œuvre patiemment construite par les petites mains des enfants, dans le cadre « Travaux manuels » du programme scolaire. Et pour papa, un dessin sur une feuille de brouillon avec un petit message personnalisé du genre « papa jetème ».
Bref. Joli cadeau et poème déclamé avec amour pour maman.
Dessin de merde pour papa.

Oui, bon, je sais. J’entends vos hoquets d’indignations jusque-là. « Comment !? Comment un père peut-il qualifier un dessin de ses enfants comme étant des dessins de merde !? Quelle honte ! ».

Hé, ho, c’est bon, hein. Il faudrait arrêter de croire que tous les gamins sont des Monet en puissance. Faut être réaliste. 99% des mômes font des dessins de merde. Combien de fois avez-vous demandé un « et là, c’est quoi ? Ah, une voiture. D’accord. J’ai cru que c’était un cheval ». ou « Ah ? C’est papa que tu as dessiné ? Pourquoi il n’a qu’un œil et des oreilles de lapins ? ».

Personnellement, j’ai de la chance. Mes gamines dessinent plutôt bien. Du coup, le gribouillage monochrome à base de « nan mais j’ai tout gribouillé en noir parce que c’est la nuit », je n’ai jamais eu. Par contre, les princesses en talon haut, avec des papillons et des robes multicolores, j’en ai plein mon bureau. Oh, j’ai bien essayé de leur faire dessiner une Lamborghini ou même un Dark Vador. Je me suis retrouvé avec une Lambo rose tirée par quatre chevaux et conduite par une fée, ainsi qu’un Dark Vador en robe rose et avec une baguette magique en guise de sabre laser. Du coup, hein, j’ai abandonné.

Mais bon. Tout ça pour dire que les gamins, ça vous pourrit la vie toute l’année. Ça chouine au moindre bobo. Ça chiale à la moindre contrariété. Les miennes passent leur temps à se friter, donc à hurler et à pleurer. Voire à se coller des baffes. Ça fait connerie sur connerie. Et encore, elles sont petites, du coup les conneries restent encore « gentillettes ». Du style se couper les cheveux toute seule « parce qu’une mèche lui tombait devant les yeux et que ça la gênait ». Certes. Mais plutôt que de raccourcir la mèche de 2 ou 3 cm, elle a préféré se faire une coupe médiévale façon « épidémie de poux ». Ou du genre « je t’ai attendu dans le jardin et comme tu as mis du temps, regarde papa, je t’ai fait un joli dessin sur les volets. Avec un caillou ». Enfin bref. Des broutilles quoi.

Il n’empêche que, personnellement, les miennes sont à un âge où elles se font la guerre quotidiennement. A base de « on passe notre temps à se friter, mais on ne peut pas rester éloignées l’une de l’autre plus de 5 minutes ». Du coup, de mon côté, j’ai l’impression de passer mon temps à les engueuler, les consigner dans leur chambre et les punir. Limite des jours, vous regrettez de ne pas avoir pris l’option « vasectomie » et opté pour l’adoption d’un chien à la place.

Et puis… un matin par an, elles débarquent tout sourire dans votre chambre. Et elles vous tendent un dessin. Moche. Certes. Barbouillé avec un feutre fatigué. Ecrit « papa jetème ». Avec au verso, « maman et papa je vous sème ». Et elles se jettent sur vous pour vous faire un câlin. Vous avez beau avoir une gueule de bois carabinée, seulement trois heures de sommeil dans les pattes, et un filet de bave séchée au coin de la bouche, vous leur rendez leurs câlin avec plaisir. Et même leur dessin de merde vous semble le plus beau des cadeaux. Et toute l’ardoise de l’année est alors bizarrement effacée. Et vous êtes le plus heureux des papas du monde. Et vous leur dites que « papa aussi, il vous sème drôlement ».