Publié le Dimanche 27 mai 2012 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Scène de torture de la vie quotidienne

Je suis occupé. Très occupé. Ce n’est pas que je n’ai pas envie de vous parler, mais là, tout de suite, j’ai des trucs à faire. Plein de trucs à faire. Je découpe, je scie, je défonce à coups de marteau, je ponce au papier de verre, je cloue, je visse, j’éponge, aussi, parfois, je nettoie entre deux opérations parce que cela fait pas mal de saletés, et je recommence. Je perce, je burine, j’arrache…

Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, non, je ne parfais pas ma culture de la torture. Je n’ai pas kidnappé les deux vieux qui ont cru qu’ils pouvaient s’insérer dans la queue du supermarché juste devant moi comme si de rien n’était juste parce qu’il y avait beaucoup de monde. Même s’ils ont eu l’outrecuidance de m’engueuler quand je leur ai fait remarquer et de vouloir me faire passer par le méchant qui refuse de laisser passer deux pauvres petits vieux.
Bon, c’est certain, conclure la discussion par « allez au bout de la queue ou, petit vieux ou pas, je vous colle votre paquet de pâte à un endroit non prévu à cet effet et si vous voulez passer devant tout le monde, faites-vous faire une carte handicapé, vu comment vous avez l’air con, ils vous en délivreront une spéciale ». Parce que c’est méchant et incivique.
Mais je n’y peux rien. Je suis méchant. Et puis les vieux, c’est lent, ça conduit mal et ça sent mauvais.

Je n’ai pas non plus kidnappé le gamin de 3 ans à peine, à qui j’ai crevé le ballon et qui s’est mis à hurler en pleine rue. Pourtant, hein, aussi étonnant que cela puisse être, c’était purement et totalement involontaire. Ça partait même d’un bon geste. Parce que oui, je sais faire des bons gestes de temps en temps. Le gamin jouait avec son père sur une petite étendue d’herbe près de chez moi, et devant laquelle je passe très régulièrement. Ils tapaient dans une espèce de ballon en plastique comme on peut en acheter pour 10 sous dans n’importe quel supermarché. Vous savez, le truc tout vide, fabriqué par des enfants chinois, et qui décolle à dix mètres de hauteur dès qu’on frappe dedans.
Le père ayant shooté un peu trop fort, le ballon m’est arrivé dans les pieds. Dans un grand élan de générosité, j’ai décidé de leur renvoyer. Gentiment. Même si l’idée de shooter comme un malade en direction du père et en espérant que le ballon irait se coller sur le toit de la bibliothèque municipale juste à côté m’a effleuré l’esprit, j’avoue. Mais non, j’ai renvoyé un tir propre, tendu, un beau geste qui ferait pâlir n’importe quelle andouille de l’Equipe de France qui va se faire ramasser à l’Euro dans quelques jours. Ce que je n’avais pas prévu, par contre, c’est la soudaine bourrasque de vent qui a dévié le ballon et l’a envoyé tout droit dans la haie d’aubépines. Le ballon ayant véritablement changé sa trajectoire à 90° à cause du vent, le père a bien vu que c’était totalement indépendant de ma volonté. Mais le gamin, devant son ballon planté dans la haie et qui commençait à faire « pschiiiii », s’est mis à hurler et à appeler son père parce que le « méchant monsieur a cassé mon ballon ».

Et non, je n’ai pas non plus torturé à mort n’importe quel crétin congénital que je croise chaque jour, qu’il s’agisse d’un conducteur qui slalome entre les files, sans clignotant, à fond, ou qui vous engueule parce que vous avez osé prendre votre priorité qu’il ne comptait pas respecter… qu’il s’agisse des abrutis qui se massent devant les portes du métro et vous poussent pour y entrer alors que vous, vous aimeriez bien en descendre… qu’il s’agisse de la maîtresse qui a expliqué à ma fille aîné que dans les ampoules que l’on se fait au pied, c’est de l’eau, ou que dans la bosse des chameaux, il y a de l’eau aussi. Allant même dire à ma gamine venue le lendemain lui corriger son erreur que « non, ta maman se trompe, ce n’est pas de la graisse, c’est de l’eau dans la bosse du chameau ». (Pour ceux qui se demandent, dans les ampoules, c’est de la lymphe, sorte de sang sans globule rouge, et dans la bosse du chameau, c’est effectivement de la graisse). Je ne sais pas ce qu’elle a comme problème avec l’eau pour vouloir coller de la flotte partout… Elle doit être hydrofan. Ou simplement hydroconne. En tout cas, c’est bien, pour une instit’, d’apprendre des trucs faux aux gamins. Allez, demain, cours d’histoire les enfants. Je vais vous raconter comment Napoléon a arrêté les arabes à Marignan, en 1789.

Bref, tout ça pour dire si Je découpe, je scie, je défonce à coups de marteau, je ponce au papier de verre, je cloue, je visse, j’éponge, aussi, parfois, je nettoie entre deux opérations parce que cela fait pas mal de saletés, et je recommence. Je perce, je burine, j’arrache… c’est simplement parce que je refais ma cuisine. Et ce n’est pas une mince affaire. C’est un sacré chantier. Du coup, je ne vais pas m’éterniser plus que ça.

Mais bon. D’un autre côté, manier la scie, le marteau, la ponceuse ou la perceuse… ça m’entraîne aussi pour ma prochaine séance de torture, c’est sûr…

Allez, bon dimanche à tous.

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