Publié le Lundi 20 février 2012 à 14:00:00 par Alexandre Combralier
Test Crusader Kings II (PC)
Le wargame a peut-être trouvé son roi
Il était temps ! Plus de sept ans après la sortie de Crusader Kings, et plus de cinq après la sortie de son extension, Deus Vult, Paradox s’est enfin décidé à réactualiser son wargame médiéval. Crusader Kings II, donc, occupe une place privilégiée dans la chronologie des jeux Paradox, derrière Europa Universalis (qui va de 1453 à 1789), Victoria (1836-1939) et bien sûr les Hearts of Iron (1939-1962). A chaque jeu, le studio suédois adapte en profondeur le gameplay général pour coller au mieux à l’époque. Ainsi, si les Hearts of Iron font par exemple la part belle aux manœuvres militaires, Crusader Kings II opte logiquement pour un système beaucoup plus orienté « jeu de rôle ».Le Moyen-Âge est une époque où le peuple n’a pas vraiment son mot à dire. Ce sont bien les quelques puissants, têtes couronnées en premier, qui font la pluie et le beau temps sur l’Europe ; les souverains jouent et se marient entre eux, complotent aussi mutuellement pour obtenir des successions territoriales conséquentes. Le principe général d’un wargame ne change pas (une carte du monde et un maximum de provinces à contrôler avec une foule de paramètres divers), mais Paradox sait aussi adapter sa formule. Et ce, de manière radicale : dans Crusader Kings II, vous n’incarnez pas un pays ou un Etat à proprement parler, mais bien le leader d'une dynastie ; si votre dynastie s’éteint ou si elle n'a plus de territoires à diriger, c’est le Game Over ; mais vous pouvez tout à fait continuer à jouer tout en étant le vassal de quelqu’un. Déroutant au début, génial à l’usure.
Car c’est là même l’incroyable richesse de Crusader Kings II : son gargantuesque système généalogique, fouillé, passionnant, mais parfois un peu casse-tête ou obscur, reconnaissons-le. L’Europe entière peut finir par former une grande et seule famille dans CKII. A vous de placer votre lignée au bon endroit au bon moment pour hériter, pourquoi pas, de royaumes entiers. Et quand je dis : « A vous de », j’entends qu’il faudra faire le nécessaire pour se débarrasser de prétendants un peu trop gênants : assassinats, emprisonnements ou même accusations de sodomie, tout est bon pour rajouter quelques titres à votre souverain. Il va sans dire qu’il est impossible ici de rendre compte de toute la richesse de ce système généalogique qui surpasse de très loin tout ce que l’on a pu voir dans un wargame. On précisera quand même que se marier avec la princesse ou le prince d’un suzerain permet aussi de nouer des alliances militaires bienvenues lorsque les fers seront tirés. Et qu’il est souvent bien plus recommandable de prendre des possessions par héritage plutôt que par la force. Qu’on se le dise donc, notre attention se portera presque plus sur les personnes que sur les royaumes. Crusader Kings II est presque autant un jeu de rôles qu’un wargame.
La succession dynastique n’est pas la seule grosse particularité de Crusader Kings II. Paradox s’est également employé à recréer dans toute sa complexité le système féodal. Chaque province est un comté ; le comté peut être englobé dans un duché, regroupant plusieurs comtés, donc. Le royaume (ou l’Empire) peut regrouper plusieurs duchés ou comtés. « Peut » seulement, car un comté ou un duché a la possibilité d’être indépendant ; mais bien souvent un suzerain (le roi, par exemple) impose sa loi aux comtes (le comte de Toulouse est soumis au roi de France). Ce système hiérarchique pose évidemment bien des problèmes au suzerain : il n’a pas un contrôle direct sur ses provinces (il perçoit alors moins d’impôts et peut lever moins de troupes). Mais il lui est improbable de se passer de vassaux : le suzerain ne peut contrôler qu’un nombre limité de comtés, au risque de voir surgir de multiples pénalités. Il faut donc prendre soin de ses vassaux (quand on en joue un) ; en France notamment, les ducs d’Anjou et de Bourgogne ont une fâcheuse tendance à provoquer la guerre civile, en particulier lorsque le voisin anglais est lui-même rentré en guerre contre son meilleur ennemi. A l’inverse, lorsqu’un joue un vassal, on peut tout à fait affronter d’autres vassaux (si l’autorité de la couronne royale le permet), voire carrément déclarer une guerre d’indépendance contre son suzerain. Contrôler directement chaque territoire de son territoire est donc illusoire (à moins d’en avoir un bien petit.)
On aura ainsi noté la complexité de Crusader Kings II. L’onglet « Personnages » est ahurissant de son ampleur. Et que dire d’un jeu où l’on peut incarner le Kaiser du Saint-Empire romain germanique (par ailleurs pratiquement invincible en début de partie) comme le comte de Bourg-en-Bresse ! Dans ses mécanismes réalistes, le jeu en perdra sûrement plus d’un. C’est là son principal défaut, sûrement. D’autant plus qu’il y a aussi une part d’arbitraire à tout cela : on hérite parfois à la surprise générale de grands territoires entiers ; heureusement, impossible de ne pas être mis au courant quand la survie même de la succession dynastique du joueur est menacée. Au final, l’on a toujours quelque chose à faire : un énième complot à déjouer, une succession à peaufiner, des vassaux à cajoler… la vie d’un souverain est épuisante.
En attendant, Crusader Kings II n’oublie pas pour autant son aspect purement wargame. Evidemment, la puissance d’un souverain se mesure à la quantité de provinces qu’il contrôle directement ou indirectement par ses vassaux. Chaque province rapporte autant d’impôts par mois et permet de lever un nombre donné de troupes (le tout pouvant varier selon l’autorité que vous voulez imposer à vos vassaux, ou selon la culture et la religion propres à chaque province, qui peuvent cependant évoluer sur le long terme). Il est possible d’améliorer les caractéristiques de chaque province en construisant des bâtiments, mais uniquement sur celles directement contrôlées.
A la mort de chaque souverain, ses scores de piété et de prestige sont additionnés pour s'ajouter au score final. Mais comme dans tout wargame, on cherchera surtout à augmenter le nombre de provinces que l’on possède. Pour cela donc, on peut passer, comme on l’a dit, par les jeux de succession. Mais si ceux-ci vous échappent, la guerre s’impose alors. Pour guerroyer contre des non-chrétiens (païens ou musulmans), point besoin de casus belli (on pourra même recevoir l’aide « d’ordres sacrés » surpuissants) ; mais contre un territoire chrétien, il faudra envoyer votre chancelier-diplomate créer de fausses revendications sur le territoire convoité, ce qui prend parfois plus de deux années, ou bien inviter un prétendant au titre convoité à la cour.
La guerre dans Crusader Kings II peut paraître brouillonne. Elle est surtout le reflet de l’époque. Il n’y a pas de « production » de soldats dans le jeu. On appuie sur deux boutons pour lever les troupes personnelles du souverain que l’on incarne ainsi que celles de ses vassaux, et les armées apparaissent instantanément. Il n’est ainsi pas possible de déclarer une guerre si des troupes sont déjà levées. Chaque armée est divisée en trois flancs. Quand deux armées hostiles se rencontrent, la résolution automatique de la bataille se lance. La différence se fait plus à la quantité qu’à la qualité, mais bénéficier de piquiers, par exemple, peut octroyer des bonus peut-être décisifs. Les sièges, eux, ne sont pas vraiment beaucoup plus profonds : au lieu de livrer bataille, on affame. On regrette enfin l’absence totale de batailles navales.
Répétons-le encore une fois : Crusader Kings II est complexe à appréhender, peut-être plus encore que les autres jeux Paradox. Il est à la fois sans pitié et particulièrement stimulant. La fourberie y est nécessaire. Il y a énormément à dire sur ce mécanisme de jeu, trop pour ces colonnes. Contentons-nous alors de préciser que, oui, Crusader Kings II est peut-être le jeu à la fois le plus fun et le plus cérébral de l’histoire du studio suédois. Et il se permet même le luxe d’être marrant (mon duc d’Anjou avait par exemple la particularité d’être nain, homosexuel, fourbe, cynique, timide et était surnommé « demi-main » ; oui, ça fait beaucoup). De surcroît, CKII bénéficie d’une finition remarquable (un seul plantage nous a affecté au cours du test), d’une optimisation au poil et d’une jolie carte 3D. Quant à la traduction française, elle réalise tout simplement un sans faute. Cerise sur le gâteau, je n’ai tout simplement pas désactivé une fois les musiques, pour la première fois dans un wargame. Paradox a tout corrigé d'un coup, et de belle manière s'il vous plaît. Les miracles existent.
Au risque de paraître un peu tatillon, on ne nous enlèvera pas de l’esprit que Crusader Kings II aurait clairement pu être encore meilleur. La complexité, on l’a dit, est peut-être le principal reproche que l’on peut lui adresser ; malheureusement, le didacticiel et le manuel sont beaucoup trop succincts. On aurait également souhaité des événements historiques plus nombreux, et non pas se contenter de liens vers des fiches Wikipedia sur les personnages réels. Les combats ensuite pourront certainement paraître rustiques à qui s’est déjà frotté à un Hearts of Iron (mais ici, tout est à réapprendre). Toujours à propos des batailles, une gestion de la météo aurait tout de même été bienvenue (où est la boue d’Azincourt ?!). Les croisades elles mêmes, contrairement à ce que le titre du jeu laisse penser, sont presque anecdotiques. L’onglet technologique, lui, sera facilement délaissé. Enfin et surtout, il est impossible de commencer avec un personnage païen ou musulman. On comprend que les rapports avec le Pape sont de fait rendus caduques, mais, tout de même, cela manque un peu. Des mods sont cependant d'ores et déjà disponibles pour combler ce vide. De toute manière, il y aura des mods pour à peu près tout. A la base, la durée de vie et le gameplay du jeu étaient pantagruéliques ; on n'ose imaginer ce qu'il en sera dans une ou deux années. Et si jouer tout seul vous lasse, le mode multijoueur (jusqu'à 32 dynasties jouables) est bien entendu de la partie. Une chose est sûre : vous en aurez amplement pour votre argent.
Crusader Kings II est-il donc le meilleur jeu que Paradox ait jamais développé ? A cette question, l'enthousiasme général tendrait à répondre : "oui". Honnêtement, il nous paraît à peu près impossible de répondre à cette question : les jeux sont si différents entre eux que l’on aurait bien du mal à les hiérarchiser. On est au moins certain qu'il paraît maintenant à peu près impensable de revenir à Crusader Kings premier du nom. Crusader Kings II, s’il peut parfois être frustrant, et s’il n’est bien entendu pas parfait, est une belle claque à tous ceux qui pensaient déjà avoir tout vu en matière de wargame. Le jeu peut bien sûr dérouter au départ (je me souviendrai toujours, jouant le roi de France, de ma cordiale humiliation par Edward Ier d’Angleterre). Mais il est passionnant comme jamais ; sa richesse et son potentiel sont tels, que l’on pourrait facilement y passer des centaines d’heures sans jamais se lasser. On tient là sans nul doute le meilleur système qu'il était possible de concevoir pour simuler la période. Et quand on voit en plus que Paradox a corrigé à peu près tous les défauts originels de ses wargames (finition, musiques...), on ne peut qu'applaudir des deux mains. Dieu que c’est bon.
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Crusader Kings II (PC)
Plateformes : PC
Editeur : Paradox Interactive
Développeur : Paradox Interactive
PEGI : 12+
Prix : 40 €
Images du jeu Crusader Kings II (PC) :
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