Publié le Mardi 14 juin 2011 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
Mes couilles sur ton nez, t'auras l'air d'un dindon
Pour bien comprendre ce test de Duke Nukem Forever, il faut remonter 15 ans en arrière.
Nous sommes en 1996. La France procède à ses derniers essais nucléaires dans le Pacifique. Brad Pitt s’illustre dans Se7en, Robert de Niro dans Casino et Tom Cruise redonne vie à Mission : Impossible. Noir Désir entonne « L’homme pressé », tandis que Los Del Rio cartonnent avec la « Macarena », Gala avec « Freed from Desire », les Spice Girls avec « Wannabe » et Khaled s’enrhume avec « Aicha ». Ajoutez Carrapicho et son « Tic Tic Tac » et l’année 1996 aura été plutôt navrante musicalement parlant.
J’ai 22 piges et je débute comme pigiste chez Generation 4, le plus grand magazine de jeux PC en France. Mais si. Le meilleur. Ne me parlez pas du frère ennemi Joystick. Je vous dis que Gen4 était le meilleur, c’est tout.
Bref. Durant des après-midi entiers, et des nuits, je vais squatter la rédaction en compagnie de mes collègues pour de longues parties de Duke Nukem 3D. Le fait de bosser dans ce genre d’endroit permettait, effectivement, d’avoir un réseau nickel et de s’enquiller des parties à tire-larigot.
En ce temps, les ordinateurs tournaient sous Pentium 166 Mhz dans le meilleur des cas. Duke Nukem 3D nécessitait simplement un MS-Dos, un processeur 486DX2 à 66 Mhz, 8Mo de RAM et une carte vidéo VGA.
Tout ça pour dire que je suis né professionnellement dans le jeu vidéo en même temps que Duke Nukem 3D. J’en ai gardé une certaine tendresse pour ce personnage bourru, vulgaire, sorte de Stallone croisé Schwarzenegger avec le cerveau de Van Damme.
Je ne suis pas le seul. Le succès phénoménal de ce jeu a fait que toute une génération aujourd’hui trentenaire (et plus si affinité), a passé des heures et des heures sur ce qui fut une merveille de jeu solo doublé d’un délire de jeu multi. Ce n’était pas le plus beau de l’année, ni le mieux fait, mais assurément le plus fun.
15 ans plus tard. Nous sommes en 2011. Nous attendions depuis 1997, date de son annonce, une suite. Duke Nukem Forever a longtemps été l’Arlésienne. Le jeu toujours en développement, maintes et maintes fois recommencé sous le joug implacable de développeurs trop exigeants, qui ont trop voulu, qui ont trop raté. Annulé à la fermeture de son studio, 3D Realms, puis repris par des potes, Gearbox Software, alors tout auréolés du succès de leur jeu Borderlands, Duke Nukem Forever débarque aujourd’hui enfin dans les boutiques. Enfin.
Il faut toutefois se rendre à l’évidence que de l’eau a coulé sous les ponts. Dans un premier temps, en 15 ans, certains ont idéalisé Duke Nukem 3D. Et placé de grands espoirs dans sa suite. Oubliant que les Call of Duty, Battlefield, ou même les STALKER et autres cadors du genre, sont passé par là, relevant le niveau d’exigences techniques, de gameplay et de réalisme du FPS.
Dans un second temps, Gearbox Software a repris un projet qui a débuté en 1997… à l’époque où l’on attendait autre chose du jeu vidéo. Où les règles, désidératas des joueurs ou définition d’un bon FPS n’étaient pas les mêmes.
Il faut vraiment garder ça en mémoire.
Parce que Duke Nukem Forever est graphiquement dépassé. Doté d’un gameplay vieillot. D’un level design suranné. Et d’une IA antédiluvienne. Duke Nukem Forever est un jeu archaïque.
Mais putain ce qu’il est bon.
Explications…
Duke est penché sur les toilettes. Une simple touche à presser et hop, le voilà en train d’uriner. Bienvenue dans l’univers de Duke Nukem : tripes, vannes à deux balle, scatologie, sexe… rien ne vous sera épargné. Et dès le début du jeu, on sent que les développeurs se sont amusés à coller tout un tas de trucs et machins totalement inutiles… mais marrants. On peut donc se soulager dans les toilettes, allumer la douche, effacer le tableau blanc et écrire dessus… tout le jeu sera d’ailleurs ponctué par ces petits détails débiles mais qui rajoutent à l’ambiance et au fun. Parce que faire exploser un rat dans un micro-ondes, ça n’a pas de prix. Casser des miroirs, des fenêtres, détruire des planches, des palissades, tirer sur des bouteilles de whisky, exploser des bouteilles de sauce, flinguer des nanas à moitié nues prises dans le humus alien… il y a une multitude de petits trucs à faire, en marge du jeu lui-même, à découvrir au fil des niveaux. Ça ne fait pas un jeu, certes, mais ça rajoute une petite touche d’amusement.
Mais revenons au jeu. Duke, donc, est dans un vestiaire. Lorsqu’il va sur le terrain de foot américain, il est opposé à un énorme monstre. Grâce au double lance-roquettes, vous en venez à bout assez facilement et terminez l’affrontement en shootant dans l’œil du monstre expulsé de son orbite, pour l’envoyer entre les poteaux…
Game Over.
Déjà ? Oui, parce qu’en guise de préambule, il s’agit d’un jeu vidéo dans le jeu vidéo… comprenez par-là que Duke est lui-même en train de jouer cette partie. Pendant ce temps-là, deux adorables jumelles habillées en écolière lui font une gâterie…
Puis c’est l’heure du show télévisé. Duke est la vedette. Il doit donc se rendre sur le plateau. Là encore, quelques éléments « fun » sont à effectuer (ou non, c’est selon son bon vouloir) comme signer un autographe à un môme, éclater des rats, frapper un employé mal embouché…
Finalement, le show n’aura pas lieu : les aliens ont débarqué à nouveau et ils ont des intentions pacifistes, vous explique le président. Il vous donne l’ordre, d’ailleurs, de rester à l’écart. Sauf que, pour le coup, ces salopards d’E.T. à face de porc viennent vous chercher des noises et envahissent votre repère secret. Il va donc falloir retourner au charbon. Et quand vous apprenez qu’en plus, ils enlèvent les nanas les plus sexy, vous voyez rouge et décidez de leur botter le cul.
Et c’est reparti pour un tour. De la ville au désert, en passant par des souterrains, des repères alien, chantiers de construction et j’en passe, vous allez parcourir 23 niveaux sur une dizaine, voire une douzaine d’heures si vous prenez votre temps et profitez des petits trucs proposés à côté, des petits détails amusants dont je vous parlais précédemment.
Certains niveaux sont très courts (du genre 5 minutes) et on peut s’étonner, franchement, du découpage… mais les temps de chargements sont tellement courts qu’on n’en tiendra pas vraiment rigueur.
Et on va retrouver quelques anciennes connaissances. Technologiques, d’abord. Avec le célèbre flingue, le non moins célèbre fusil à pompe, mais aussi le Shrinker qui rétrécit les ennemis et permet de les écrabouiller au pied, la mitrailleuse, le Devastator (double lance-roquettes), le lance-missile, le freezer pour geler les avdversaires… et j’en passe et j’en oublie. Sans parler des mines et autres explosifs, de l’holoduke qui crée une image de vous-même, ou encore de la bière qui permet d’être bien plus résistant aux balles et d’exploser les ennemis en un seul coup de poing, mais qui a tendance à vous faire chanceler (petite nature, ce Duke)…
Côté ennemis, on se frittera des hordes de phacochères, des Octobrain, des Enforcer, commandants d’assaut ou autres Battlelord.
Bref, on est en terrain connu. Et on retrouve les mêmes armes, toujours aussi bien balancées, avec nos préférées (fusil à pompe) et celles que l’on aime moins…
Alors ok, ce Duke Nukem Forever souffre de trois gros défauts principaux. Graphiquement, déjà. Il n’est pas moche, certes, mais entre les textures souvent grossières et le manque de détails, ou encore les objets taillés à la serpe, il est loin, très loin de rivaliser avec les dernières sorties. On aurait tendance à dire qu’il pourrait rivaliser avec les jeux d’il y a 4-5 ans… Bref, pas hideux, mais loin d’être à tomber.
Pour autant, même si je reconnais là un défaut majeur, j’avoue ne pas avoir été gêné plus que ça. Sans doute en raison de la multitude de petits détails que l’on trouve dans les niveaux, les petits objets, bref, les décors ne sont pas vides. Ça fait quand même bien « vivant » et c’est là le principal. Notez que la version PC est bien plus agréable que les versions consoles à ce niveau. Le portage, notamment sur Xbox, est à la limite de l’acceptable.
Deuxième gros défaut, le level design. Autrement dit, l’agencement des niveaux. On progresse dans des couloirs. De simples couloirs. Parfois larges, parfois débouchant sur de grosses places ou aires de combat, mais couloirs quand même.
Là encore, si c’est vraiment très « old-school », ça n’est pas forcément très dérangeant. Un peu pénible éventuellement quand on veut grimper un caillou alors que ce n’est pas prévu, mais pas grave non plus. La raison est que le jeu va vite, la progression est rapide et le rythme est soutenu. On avance sans réfléchir plus que ça au chemin que l’on aurait dû ou pu choisir : tout est guidé, en douceur. Résultat, ça passe très bien.
Enfin, le gameplay. C’est très, là encore, vieux jeu. A base de « straff » et de « shoot ». Autrement dit, de pas sur le côté et de tirs. On ne se penche pas, on ne fait pas des bonds de 10 mètres, on ne se met pas à plat ventre pour sniper… C’est Duke, bordel. Il ne se couche pas la boue. Il reste debout, accroupi éventuellement pour se gratter le pied ou refaire son lacet, mais jamais couché. Et il cogne, tire, éviscère… C’est très « old school » là encore… on aime ou on n’aime pas. Moi ça m’a rappelé avec bonheur mes jeunes années, mes vieux FPS, mes Doom, Wolfenstein 3D et j’en passe. Et j’ai pris autant de plaisir qu’avec un jeu dans lequel on a bien plus de possibilités. Ici, on va à l’essentiel au niveau du nombre de touches à utiliser et aux possibilités de mouvements. Et finalement, c’en est assez rafraichissant.
Et le fait de n’avoir que « deux armes » ne m’a vraiment pas gêné. Quoi de plus normal de ne pas se promener avec 10 armes et 2000 munitions sur soi ? Là, on est obligé de faire des choix, tout en sachant que vous trouverez suffisamment d’armes abandonnées sur le chemin ou de munitions pour faire à face à tout danger, et changer au gré de vos envies.
Bref, ces trois défauts n’en étaient pas vraiment pour moi. Mais je comprends qu’ils puissent gêner et décevoir l’amateur de gros FPS pointus et autres guerres modernes de l’appel du devoir du champ de bataille.
Mais la grande, l’immense force de ce Duke Nukem Forever est son ambiance. Le jeu ne se prend pas au sérieux et démonte les principes du genre.
On humilie les adversaires en les achevant parfois, en faisant du punching-ball sur les parties génitales des Battlelord…
Les vannes pleuvent. Les clins d’œil aussi. Ici une armure de Halo et un bon mot de Duke qui s’en moque. Là des posters et affiches amusantes… là encore la chevauchée des Walkyries résonne alors que Duke est en hélico…
Pour rajouter à l’ambiance, Duke n’est pas avare de petites phrases à la con lorsqu’il tue ses ennemis. Il ne cesse d’en débiter par dizaines, à tel point que vous guetterez la remarque hilarante, le bon mot débile…
Au choix, voilà un florilège de ses nouvelles citations…
« Belle journée pour une éviscération. » ou « Dans les bijoux de famille ! » ou encore « Crève dans ta merde. », « Prends ça dans ton cul. », le très direct mais efficace « Couine, salope ! », voire « On dirait que la chance te pisse à la raie. », « Repose en pièces. », « J’vais te faire danser, fils de pute. », « J’adore ça, moi, botter des culs. », « Tourne ton cul que je marque un but. », « Couine plus fort la prochaine fois. » ou mes préférés, « Va te faire voir les tentacules au Japon, connard. », « Arrête de saigner, connasse. » ou, le must du must : « Mes couilles sur ton nez, t’auras l’air d’un dindon. ».
C’est gras, vulgaire, très très con, mais honnêtement, dans le feu de l’action, c’est à se pisser dessus (évitez juste de hurler de rire quand il est 2h du mat’ et que votre femme dort à côté sous peine de vous prendre une avoinée carabinée). D’autant plus que c’est Daniel Beretta qui assure la voix française de Duke… cette même voix avec laquelle il double habituellement… Arnold Schwarzenegger. Autant dire que ça sent la testostérone à plein nez.
Misogyne, vulgaire, faisant l’apologie de la violence, de l’humiliation, de la femme-objet, des couilles sur la table lors d’un dîner de gala chez l’ambassadeur, Duke Nukem Forever est une bouffée d’air frais dans le carcan du politiquement correct. A prendre au second degré, indéniablement. Qui serait assez stupide pour prendre ce jeu pour argent comptant ? Et honnêtement, parfois, foutre le bordel dans le « bien-pensant », ça fait un bien fou. Ça donne limite la pêche pour aller crier « ça sent le sapin ici » dans une maison de retraire, « mort aux vaches » dans un poulailler plein de képis ou « les femmes au ménage » à une réunion du MLF. C’est de la déconne. Tout simplement.
Ça se joue comme on regarde un bon vieux Stallone, Van Damme ou Seagal à la télé : en laissant son cerveau sur « off » et en étant conscient qu’on va passer un moment de grand n’importe quoi.
Côté multijoueur, là aussi on est dans le simpliste. La base.
Personnellement, j’ai aimé, à l’heure où on vous colle des cartes immenses à 32 joueurs dans tous les jeux, retrouver cette petite ambiance intimiste du 8 potes entre eux. Des petites cartes, mais bien foutue, très bien pensée, et un rythme d’enfer. On meurt, on revit immédiatement, on se relance à l’assaut, on flingue, on meurt à nouveau, on repart au combat… Deathmatch, Team Deatchmatch, Capture the babe, King of the hill… avec 10 cartes… On est loin des multitudes de modes de jeux que l’on peut trouver dans certains gros titres. Certes. Mais honnêtement, ça le fait sans problème. On retrouve le plaisir des anciennes parties furieuses de Duke Nukem 3D, d’autant plus que la carte du premier niveau de cet ancien hit, Hollywood Holocaust (rebaptisée Hollywood tout court) a été incluse dans le tas.
Voilà donc tout ce qu’est Duke Nukem Forever. Et voilà tout ce qu’il n’est pas.
Un dernier petit paragraphe, sur le côté Nvidia de la Force. Le développement du jeu a été accompagné par NVidia pour qu'il profite pleinement de la 3D Vision. Autrement dit, si vous avez le kit 3D Vision sur PC (et nous vous conseillons de l'avoir, soit dit en passant) et un écran compatible, vous pourrez profiter du jeu en 3D. La flotte et les éclaboussures qui vous collent aux yeux ne sont que les exemples des effets particulièrement réussis dans le jeu, via cette technologie. Et puis bon... la boite de strip-tease... ce serait une honte de ne pas se la faire en 3D, non ? En tout cas, c'est un jeu à essayer, vraiment, avec les lunettes noires sur le nez. De quoi vous donner envie d'acheter un tee-shirt rouge sans manche en plus...
En conclusion, vous avez deux options : aimer ou détester ce Duke Nukem Forever. Vous détesterez ou du moins serez déçus si vous vous attendez à un jeu moderne qui respecte les règles du FPS actuel.
Ce Duke Nukem Forever est un retour en arrière, un coup de pied nostalgique, une ballade d’un autre temps. Parce qu’il n’avait plus les armes pour concurrencer les cadors actuels, il a parié sur le fun, sur l’ambiance, sur le n’importe quoi, sur la connerie. Duke Nukem Forever est un jeu de crétin, fait par des crétins, pour les crétins. Si vous vous prenez au sérieux, n’espérez pas en tirer le moindre plaisir. C’est un second degré. Une grosse bouffonnade. A vous de voir si vous voulez participer à la fête et endosser le rôle du clown, dans une industrie qui, justement, a tendance parfois à avoir la grosse tête.
Alors bien entendu, si on nous ressert la même chose pour une suite, la pilule aura forcément plus de mal à passer. Mais là, honnêtement, c’est du bon gros n’importe quoi vraiment con et plaisant.
Maintenant, si vous n’aimez pas, si vous n’accrochez pas, cela ne signifiera pas pour autant que vous ayez tort, que vous êtes un gros prétentieux sans humour, ou je ne sais quoi d’autre. Le jeu est tel qu’effectivement, on peut tout à fait détester ou être profondément déçu. On peut être hermétique à l’ambiance, à ce côté
old-school, à son côté simpliste, aux vannes graveleuses.
Et puis c’est peut-être aussi, que vous avez un peu perdu le son de cette petite voix qui, il n’y a pas si longtemps, vous murmurait qu’un bon jeu, c’est avant tout un jeu fun et fait pour s’amuser sans se prendre au sérieux, sans débauche ou surenchère technologique… et je suis certain qu’en creusant un peu, vous pourriez la réentendre.
Bref, pour moi, pour toutes ces raisons, pour cette nostalgie, pour cette bouffée de vieux souvenirs, pour cette ambiance débile et débilitante qui ne se prend pas au sérieux, pour les bases mêmes du FPS retrouvées, j’ai plongé sans retenue dans ce jeu. J’ai pris mon pied en solo comme en multi. En souvenir du bon temps, et parce que je ne m’en était fait ni montagnes, ni rêves humides, c’est une excellente surprise. Duke Nukem Forever est un putain de jeu. Tout simplement.