Hearts of Iron II. Sorti en février 2005 en France, le wargame de Paradox s’est imposé comme le jeu de référence du genre traitant de la Seconde Guerre mondiale. Plus de six ans plus tard, HoI 2, pour les intimes, continue de réjouir le petit monde du wargame-grand stratégie. Dans le cadre du "Projet Europa", l’éditeur Paradox a signé avec plusieurs équipes de développeurs des contrats d'exploitation du moteur de jeu Europa (celui de Hearts of Iron II) et s'est engagé à éditer les jeux qui en seraient issus. Mais il s'agit bien de stand-alone qui modifient à la fois le moteur du jeu et les scripts externes. Arsenal of Democracy, sorti l’année dernière et vendu 20€, offrait un sérieux ravalement de façade à HoI 2. Darkest Hour, vendu quant à lui 10€, est venu reprendre le flambeau le 29 mars dernier – mais un patch conséquent est venu renforcer le tout mi-mai 2011 : question simple, vaut-il l’investissement qu’il nécessite (en termes d’argent mais surtout de temps) ?
Darkest Hour se fondant dessus, il convient tout d’abord de faire un point sur la stratégie telle que nous le propose la série des Hearts of Iron. Comme dans tout bon wargame pur, dur et bien velu qui se respecte, on joue sur une carte du monde vue de dessus. Le monde est divisé en provinces, plus ou moins grandes, plus ou moins généreuses surtout en termes de production de matières premières, finies (acier, matières précieuses et énergie, indispensables moteurs de guerre) et bien évidemment en termes de points de production. Ce sont ces « PP » qui fixent le potentiel industriel du pays choisi, et donc tout simplement sa puissance générale – combien de divisions pourra-t-il entraîner en même temps tout en assurant sa production de biens de consommation et de ravitaillement ? La guerre déclarée, on déplace ses gars sur la carte, la bataille se résout automatiquement, on prend des provinces, et puis on annexe la nation ennemie. Simple en apparence, non ?
Comme HoI II, Darkest Hour ne change donc pas le but ultime de chaque partie : il s’agit, sinon de conquérir le monde, du moins d’obtenir le plus de « points de victoire » à la fin de la partie (seulement quelques provinces, les plus importantes bien sûr, valent des points de victoire). Tous les pays du monde sont jouables, même si évidemment jouer le Panama conduira à des endormissements chroniques et l’Allemagne à des insomnies. Et pour conquérir le monde, un seul moyen s’impose (ou pas, comme on le verra plus tard) : la guerre. Ainsi, si Darkest Hour propose de gérer l’économie, la diplomatie, les recherches technologiques et la politique d’un pays, tout cela n’est qu’orienté qu’en vue de la chose militaire. On ne joue donc pas exactement dans la même catégorie qu’un Europa Universalis ou un Victoria, plus centrés sur les aspects économiques et sociaux.
Ce qui n’enlève cependant rien à la complexité du jeu. De même que pour les recherches technologiques, il s’agit de planifier sa production plusieurs années à l’avance. Il faut surtout se sentir petit caporal dans l’âme au moment de gérer d’immenses fronts, d’assurer le ravitaillement de ses troupes tout en essayant de réussir de destructeurs mouvements de percée et d’encerclement. Les combats, autant terrestres qu’aériens (toutes les options les plus importantes, comme la supériorité aérienne ou le bombardement stratégique, deux exemples parmi tant d’autres, sont présentes) et maritimes, font donc jouer une multitude de facteurs qu’il serait ici vain de détailler. Résumons : Hearts of Iron II, et plus récemment Arsenal of Democracy, concurrent direct à Darkest Hour, proposent la quintessence du wargame de la Seconde Guerre mondiale. La question devient alors : qu’est-ce que Darkest Hour propose de plus ?
La réponse vient d’emblée : une Guerre mondiale de plus. En effet, la plus grande originalité, sûrement, de Darkest Hour est de proposer un nouveau scénario commençant à la veille de la Première Guerre mondiale. Oui mais. Oui mais l’on sent que le tout est loin d’être aussi soigné que pour le scénario classique commençant en 1936. Tout d’abord, ce scénario de 1914 s’arrête au plus tard en 1942 et il ne sera donc pas question de parler de continuité scrupuleuse entre les deux guerres – à moins de modifier la date de fin du scénario, mais c’est là une autre histoire. Les « Décisions » (on y reviendra) sont bien présentes au début du scénario, mais tendent à s’effacer par la suite ; l’intelligence artificielle laisse parfois à désirer (l’Allemagne a par exemple le fâcheux vice de ne laisser qu’une petite cinquantaine de divisions sur le front Ouest, ce qui permet une victoire trop facile de la France avant 1917 dans bien des cas) ; l’enchaînement historique des entrées en guerre laisse une marge de manœuvre très restreinte (par exemple, la France ne peut pas ne pas accéder à la demande allemande de neutralité). On pourrait continuer longtemps à pointer les défauts de se scénario. Il est certes rafraîchissant, certes intéressant à jouer en ses premiers mois, mais vite redondant et moins jouissif du côté de la gestion militaire (dites adieu aux porte-avions et aux bombardements stratégiques massifs) ; ne fondons donc pas notre achat là-dessus, mais prenons ce scénario plutôt comme une sorte de « partie rapide » bonus.
Car c’est bien la Seconde Guerre mondiale et son unique scénario disponible (les développeurs en ont déjà promis d’autres commençant en 1939 ou 1944), courant jusqu’en 1962 maximum (le jeu peut donc aussi couvrir les débuts de la Guerre froide), qui constituent toujours le nerf de la guerre. Que propose Darkest Hour de plus sur ce plan-là ? On pourra dénombrer trois grandes nouveautés.
La première est d’abord une carte du monde redessinée. Dans l’ensemble, si elle n’empêche pas quelques désagréments (comme près des pays Baltes où la province de Klaipeda est minuscule et sa présence hors de propos) ou incohérences historiques (en France, les provinces de Verdun et Vichy valent un point de victoire bien qu’elles ne soient pas d’importance stratégique majeure comparées à d’autres), elle reste dans l’ensemble plus réussie et offre surtout plus de possibilités stratégiques.
La seconde est une intelligence artificielle améliorée, et plus encore avec les tous derniers patchs – quasi-indispensables – sortis récemment. Contrairement à ce que l’on regrettait dans Arsenal of Democracy, l’I.A. s’autorisera enfin à des débarquements massifs et ambitieux – les États-Unis feront ainsi autre chose que de se livrer à des bombardements stratégiques et visiteront, un Coca dans la main, un chewing-gum dans la bouche, la Sardaigne et le sud de l’Italie. L’I.A. sait aussi mieux manier les concepts de percée ou d’encerclement, même si des progrès notables restent encore à faire pour le front de l’Est où l’Allemagne avance à pas de tortue en début de conflit ou dans l’exploitation de ces mouvements.
La troisième grande nouveauté réside en les « Décisions », nouvel onglet qui fait son apparition. A des moments-clés du jeu (faut-il intervenir dans la guerre civile espagnole ? Faut-il signer le pacte germano-soviétique ?) ou lorsque certaines conditions sont réunies (le manque de main d’œuvre peut mener à une réforme de la loi sur la conscription, ou bien encore un trop plein d’argent vous incitera à les investir dans la recherche nationale ou l’amélioration des infrastructures de votre pays), le joueur est sollicité pour prendre une bien-nommée décision. Certaines peuvent octroyer des bonus salutaires ; toutes influent sur le cours de votre partie. Ces décisions sont fréquentes et prennent leurs fondements sur de véritables événements historiques, conférant par là un jeu un réalisme et une crédibilité à nul autre pareil (un sentiment également renforcé par la présence de toutes les personnalités importantes des pays, militaires comme politiques de tout bord). Autant dire que l’on a du mal à revenir à un simili-HoI2 qui n’emporterait pas avec lui ce système plus que divertissant.
On aurait pu aussi citer le système de revendications de territoires. Désormais, il est en effet possible de revendiquer n’importe quel autre territoire de n’importe quel autre pays. Problème, même avec les récents patchs, ce système peut jusqu’à venir gâcher toute une partie. L’I.A. est tout simplement catastrophique sur ce point : ainsi, sans livrer bataille, avec l’Allemagne, le Royaume-Uni m’a cédé, sur simple demande diplomatique… son île principale ; et les États-Unis ont fait de même avec le quart nord-est de leur pays. Sérieux problème donc, que les développeurs jurent à grands renforts de blasphèmes régler dans les patchs à venir. On l’espère, ce système se révélant tout de même intéressant pour quiconque répugnerait à tuer d’honnêtes pères de famille – ce qui, dans un wargame, est tout de même burlesque…
D’autres améliorations viennent renforcer l’intérêt à porter au titre. Le jeu est tout d’abord beaucoup mieux optimisé, plus rapide, même lorsque la planète est ravagée de toute part par d’intenses combats ; l’intelligence artificielle de commerce est à ce point si excellemment rôdée que le joueur n’a tout simplement plus à intervenir ; le nouveau système d’espionnage se révèle beaucoup plus pratique à l’usage. La liste des améliorations, palpables ou non, est assez impressionnante et témoigne d’un travail de plusieurs années. De surcroît le suivi du jeu semble pour le moment à la hauteur de l’ensemble proposé et l’on veut bien croire les développeurs quand ils annoncent des nouveautés sensibles à venir (augmentation de 20% encore de l’optimisation, nouveaux scénarii, correction de divers bugs, statistiques précises de pertes au combat…).
Alors bien sûr, l’on n’est pas à l’abri, dans un jeu comme celui-ci se fondant sur l’Histoire, de quelques incohérences qui viennent perturber le tout. S’il reste bien entendu possible de ne pas choisir de respecter le cours des événements telle que Clio l’a décidé, l’on doit abandonner un grand nombre de « Décisions » de ce fait. De même, le jeu ne gère pas encore très bien les changements idéologiques des régimes (possibles sur quatre ou cinq années) : un simple appui sur la touche « Droite » dans l’idéologie du régime (avec un facteur d’ « Autoritarisme » ne bougeant pas) peut ainsi faire passer un régime « léninien » en « fasciste ». Discutable. On citera enfin quelques absurdités sinistres, comme un régime nommé la « France libre », à croix gaulliste, acceptant un régime autoritaire placé sous la tutelle de l’Allemagne (on verra une capture d’écran à ce sujet). Erreurs de jeunesse ?
Ce serait se montrer injuste que de s’arrêter devant ces défauts. Mis devant le fait accompli, l’on constate trois choses : d’abord, que jamais l’Intelligence Artificielle, facteur décisif, n’aura été aussi réussie (en tenant compte des patchs, donc) ; ensuite, que le jeu dispose de nouveautés que l’on aura du mal à abandonner ; enfin, qu’il dispose d’un suivi conséquent et qu’il n’est vendu, rappelons-le, qu’une dizaine d’euros. Pour la meilleure déclinaison du meilleur wargame de la meilleure période historique possible, à dix euros de surcroît, ce serait folie, ce serait blasphème, ce serait affront pour tout amateur de se priver. Pour dix euros, Darkest Hour offre des centaines et des centaines d’heures de jeu qui réduiront votre vie sociale à néant ; est-il nécessaire de rajouter un mot ?