Publié le Dimanche 10 avril 2011 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
Une adorable pourriture
Je suis deux.
La plupart des gens sont un. Soit parce que leur deux est inexistant, soit parce qu’il est en sommeil. En chacun de nous vit un être bon, doux, aimant, compréhensible. Et il cohabite avec son double maléfique, méchant, orgueilleux, violent, salement individuel et égocentrique.
Mais chez la plupart des gens, c’est soit l’un, soit l’autre qui vit au grand jour. Si malheureusement on rencontre plus de pourritures que de bons samaritains, il est extrêmement rare de voir un type mettre un grand coup de pied à un handicapé pour ensuite aller filer de l’argent aux myopathes.
Alors vous allez me dire que même chez les gros méchants, il peut y avoir du bon. Même Marc Dutroux était tendre avec les petites filles avant de les enterrer dans son jardin. Très tendre. Très très tendre. Et il devait sans doute avoir des amis qui l’appréciaient, ignorant ses perversités cachées. Mais je vous répondrais que, d’une part, j’ai commencé mon texte par « la plupart des gens », ce qui signifie que cela ne s’applique pas forcément à tout le monde, et que d’autre part, les gros méchants, les psychopathes en puissance, ne sont gentils que pour masquer ou servir leur côté méchant. C’est donc une gentillesse feinte, fausse.
De la même manière, les gens gentils peuvent avoir un sale côté. De nos jours, par exemple, on va déjà sortir son téléphone pour filmer le mec qui vient de tomber sur le quai du métro en se demandant combien TF1 va acheter la vidéo, plutôt que de lui porter secours, un œil sur l’écran de l’appareil, un autre sur le panneau qui annonce l’arrivée de la rame dans moins de trente secondes… mais se retrouver dans ce genre de situation reste rare et les gens gentils n’ont donc que peu d’occasion de montrer leur côté sombre.
La plupart des gens sont un.
Moi, je suis deux.
Permettez que j’avoue aujourd’hui mon syndrome de double personnalité (que l’on appelle souvent, à tort, de la schizophrénie alors que celle-ci traite en réalité du désagrègement de la personnalité).
Je suis donc deux. Oh, je vous rassure, nous vivons très bien, moi et moi. Je n’ai pas de conflit interne ou d’angoisse morale. Mon côté salaud et mon côté doux vivent très bien l’un avec l’autre. Plus qu’ils ne s’opposent, ils se complètent et se transforment en une sorte de nouvelle entité alternative.
Cette réalité de comportement bipolaire m’est apparue clairement vendredi midi, alors que je faisais mes petites courses au supermarché, puisque nous recevions du monde le soir-même.
Armé de mon petit caddie, je parcourais les allées guilleret, souriant aux vendeurs et vendeuses, les remerciant chaleureusement pour un renseignement ou une pesée, aidant ici une grand-mère à attraper un produit inaccessible pour elle, laissant là passer une femme enceinte… bref, le gentil gars qui fait ses courses, dit bonjour sincèrement, engage la conversation avec plaisir et, finalement, partage sa joie de vivre avec les autres. Gentil, quoi.
Arrivé en caisse, la femme devant moi avait posé ses courses en deux groupes. Un premier avec tout un tas d’article et un autre, avec deux petits pots de fleur qu’elle comptait, supposais-je alors, payer séparément pour une raison qui n’appartenait qu’à elle.
C’est au moment où la caissière allait passer à ces deux articles qu’une autre femme est apparue avec un panier bien chargé, m’est passée devant et a expliqué qu’elle avait oublié deux-trois choses… Les deux pots étaient à elle, en fait. Et voilà dix minutes qu’elle était partie pour remplir son panier… Pour le coup, j’ai trouvé ça moyen. Passablement agaçant. Oublier un truc alors qu’on est en caisse, ça arrive. Soit. « Oublier » dix-quinze trucs, là, par contre, c’est un comportement de merde destiné à passer plus vite en caisse. Et pour couronner le tout, elle me lançait un hypocrite « oh je suis désolée, hein, je sais que c’est agaçant de croire que ça va être à son tour et de voir arriver quelqu’un comme ça avec un panier rempli ».
Là, tout de suite, j’aurais éventuellement pu lui claquer la tête sur le tapis roulant, lui faire goûter son paquet de gâteaux bio par un endroit d’habitude plus « out » que « in » et finir par la traîner par les cheveux sur le parking pour l’enfermer dans son coffre avant d’aller balancer sa bagnole dans l’étang le plus proche.
Mais non. J’étais dans un bon jour. Je me suis contenté de rester impassible. Zen. Pas un sourire, pas un trait d’animosité. Une simple et salutaire ignorance. Il faut que je pense à mon ulcère, des fois, aussi. Bref, le côté gentil subsistait.
Et puis est arrivé le moment où il a fallu qu’elle paye ses courses. Elle a d’abord inséré la carte bleue trop tôt. Il a fallu qu’elle la retire tandis que la caissière lui expliquait d’attendre son signal avant de le faire. Bien entendu, elle l’a une nouvelle fois insérée trop tôt… rebelote. Puis a oublié son code. Une fois. Deux fois. Avant de s’exclamer « ah mais non, je me suis trompée de carte ». Bref, sans mentir, près de cinq minutes plus tard, elle n’avait toujours pas payé.
Et là, ce fut le drame. Elle a lancé un « il faut que je me dépêche parce que le monsieur va s’énerver sinon ». En souriant. Vas-y Germaine, prends-moi pour un con aussi.
Et, sans le remarquer vraiment, mon côté méchant s’est réveillé. D’un seul coup. Le côté gentil s’est enfui en hurlant.
Je l’ai regardée moi aussi en souriant et ai lancé un « vous savez, face à un comportement de trisomique, j’ai de la pitié, pas de la colère ». Hop, cadeau.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Elle aurait pu, outrée, prendre ses cliques et ses claques et s’en aller. Mais non. Elle a préféré faire face. Du genre pathos. Et m’a répondu, au bord des larmes « mais vous êtes un monstre. C’est horrible de dire des choses comme ça. Ma fille est trisomique… »
J’en ai donc rajouté une couche « Ben oui, ça ne m’étonne pas, c’est génétique ».
Elle a fui prestement. Et j’ai pu enfin payer mes courses sous le regard horrifié de la caissière.
Je me suis rendu compte de l’ignominie de mes paroles. Du goût amèrement dégueulasse de ma victoire. De l’énormité de ma saloperie intrinsèque. Mais je n’avais même pas honte.
C’est là que je me suis rendu compte de ma bipolarité. Je peux être un gros nounours doux comme un agneau. Une crème. Et à côté de ça, je peux être une vraie teigne. Une vraie saleté à la langue acérée comme un rasoir.
Je peux ramener un sac de fringues à un mendiant et, deux pas plus loin, frapper une roumaine qui secoue son gobelet sous mon nez pour avoir quelques piécettes. Je peux offrir un bonbon à mes gamines et certains de leurs amis, et déclarer à d’autres : « Ha ha, non, toi j’t’aime pas, t’en auras pas ». Je peux jouer avec un chien et lui faire des caresses tout en me demandant quel goût il pourrait bien avoir en terrine. Je peux militer pour la WWF et rêver d'aller à la chasse aux pandas. Je peux militer violemment pour la paix tout en soutenant pacifiquement la guerre. Je peux être un bon père et faire de la place dans le congélateur, juste au cas où...
Je suis deux.
Je vous rassure, je le vis bien. J’ai pris conscience de cette cohabitation et ai décidé de la laisser continuer son petit bonhomme de chemin.
Faites juste attention à ce que vous dites, quand vous me parlez…
Pour conclure tout à fait, je vous rappelle que
notre forum est ouvert. Vous y trouverez plein d’infos, de discussions passionnantes et même les tests en cours.
Je vous rappelle que nous sommes dimanche et que, par conséquent, vous avez peut-être mieux à faire que lire mes imbécilités, non ?