Publié le Dimanche 23 janvier 2011 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

La vie, c'est vraiment de la merde

Je me souviens. Je me souviens de son sourire. Je me souviens de sa gentillesse. Je me souviens de sa tendresse. Je me souviens de sa générosité. Je me souviens de sa douceur. Je me souviens de son amour. Le souvenir le plus précis, je crois, reste toutefois son parfum. Je me souviens aussi de l'odeur de la laque qu'elle s'appliquait chaque jour sur les cheveux.

Je me souviens de sa voix. Je me souviens de son rire. Je me souviens de ses protestations quand on la prenait en photo parce que "ça fait moche avec les lunettes". Je me souviens de ses mots de patois, qu'elle sortait parfois dans la conversation. 

Nous arrivions souvent à une heure de repas. Et comme elle se faisait un sang d'encre parce que nous prenions la route, nous ne lui donnions jamais d'heure d'arrivée, même approximative. Elle savait juste que nous arrivions "pour le déjeuner" ou "pour le dîner". Du coup, pour le repas, elle nous servait du poisson froid, des tomates du jardin, des crudités, de la salade... le tout servi en vinaigrette. Un régal. Son riz était toujours très amidonné, très collant, et très parfumé. Un délice. 

Je me souviens de ses tabliers qu'elle revêtait la journée pour les taches ménagères, afin de ne pas salir ses vêtements. Je me souviens même, et c'est un souvenir plus ancien encore, lorsqu'elle enfourchait son vélo - elle n'avait jamais appris à conduire - pour aller faire les courses au village. 

Je me souviens des senteurs du jardin, de la douceur de l'herbe, du bruit des volets qu'elle ouvrait, du chant du coq au petit matin, du petit chenil au bout de la rue, du bruit des branches de noisetiers qui dépassaient sur le chemin et que nous frôlions en courant. Je me souviens du parfum de la salle de bain, du bruit du chauffe-eau qui s'allume, des couleurs des papiers peints, du moëlleux des fauteuils en cuir. Je me souviens de ses expressions, je me souviens de ses sentiments, je me souviens de ses inquiétudes, de ses joies, de ses peines. Je me souviens du son de sa voix, de sa nostalgie quand elle nous racontait sa jeunesse. Je me souviens de ses protestations quand nous recevions une correction paternelle, je me souviens même de ses rêves de voyage ou d'animal qu'elles ne concrétisa jamais.

Je me souviens d'un millier de ces petits détails, de ces petites choses qui font une existence.

Ma grand-mère s'est éteinte mercredi dernier. 

La vie, c'est vraiment de la merde, y'a aucun respawn, même pour les gens qui mériteraient mille fois une nouvelle partie gratuite.