Publié le Dimanche 15 janvier 2017 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Mon père, ce psychopathe

« …et ils me regardent en rigolant ».
Je n’avais capté que la fin de la phrase et n’avais pas assisté au début de la conversation entre ma fille aînée et ma femme, mais toujours soucieux d’apporter à ma progéniture de bons conseils basés sur mon expérience et sur l’éducation stricte mais juste que je leur prodigue, je ne manquais pas de me mêler de leur échange :
« Tu les chopes par les couilles, ces petits cons et tu serres très fort »

« Non mais papa, on discute sérieusement, là, avec maman »
« Mais moi aussi, je suis sérieux. Si y’a des garçons qui se moquent de toi, rappelle-leur qu’un Gasperini, c’est tout en haut de la chaîne alimentaire, avec une batte de baseball et des dents acérées. Bouffe-leur les noix et rappelle-leur qui est ton père et la réputation qu’il a dans le village. »
« Non mais y’a personne qui se moque de moi ».
« Alors qui te regarde en rigolant ? »
Ma femme, dotée de forts principes sur le couple et le soutien entre époux devant les enfants, pour ne parler que d’une seule voix afin de leur envoyer un signal clair, volait à mon secours.
« Non mais oublie, on discute entre filles, de toute manière, toi t’es trop con, tu vas encore t’énerver et raconter n’importe quoi, alors fous-nous la paix et casse-toi ».
Elle m’adore.

Reculant pour mieux frapper, je partais donc soudoyer ma fille cadette qui, sous la menace d’être privée de tablette et de télé pendant toute la semaine, ne tardait pas à me cracher le morceau.

« C’est Nicolas et Côme, dans sa classe, qui sont amoureux d’elle ».
(par respect pour les sentiments d’ados prépubères, les noms ont été modifiés)

Calme. Du calme, Cedric. Respire. Zen.

Bon. Les principes de « lâcher prise » et de zénitude sont en plein boum actuellement et sont des notions qu’on vous sert à tout bout de champ, mais j’avoue qu’une bonne rasade de whisky pure malt, ça aide quand même un peu. J’optais pour un BenRiach triple distillation de 1998, 17 ans d’âge et 57° d’alcool. Généralement, après ça, la zénitude, c’est vachement plus facile.

Ma femme et ma fille aînée ayant terminé leur discussion, je profitais que cette dernière soit dans le bain pour débarquer et la cuisiner. Au moins, là, elle ne pourrait pas s’enfuir.
« Alors. Ils te veulent quoi Petitmerdeux et Jevaistellementlefrapperfortquonvadevoirluiamputerlesdeuxjambes ? »
(par respect pour les sentiments d’un père, les noms ont été modifés)
« Mais non papa, rien, je ne veux pas t’en parler parce que tu vas encore le raconter dans un de tes éditos »
« Pas mon genre, voyons, ma fille. Tu connais bien mal ton père ».
« Ouais, genre… »

Nous sommes très proches, avec ma fille. Elle ne résistait donc pas bien longtemps avant de me raconter toute l’histoire. Surtout que j’avais commencé à descendre son matelas dans la cave inondée pour qu’elle y passe la nuit si elle ne le faisait pas.

« Non mais c’est Nicolas et Côme. Ils me regardent bizarrement. Ils me font des sourires. Et parfois, ils me regardent de loin en rigolant. Mais pas en rigolant pour se moquer. C’est… différent. »
« Oui mais ça ne veut rien dire »
« Au sport, on faisait de la balle aux prisonniers et j’allais perdre, mais y’a Nicolas qui s’est jeté devant moi pour me sauver et se faire éliminer à ma place. Alors le coup d’après, Côme il a voulu faire pareil ».
« Ah ouais. Là, forcément, s’ils sont prêts à prendre une balle pour toi, y’a mammouth sous gravier »
« Y’a quoi ? »
« Mammouth sous gravier. C’est comme une anguille sous roche, mais en plus gros, quoi. Bref, il est temps d’agir ».
« Non mais papa, promets que tu ne dis rien »
« D’accord. Promis. Mais toi, alors, en retour, tu vas me promettre quelque chose : si y’a un jour un garçon qui te demande si tu veux être sa petite copine, ou son amoureuse, ou sa biatch, je ne sais pas comment vous appelez ça aujourd’hui, même s’il te plaît beaucoup, même s’il est super craquant, tu lui réponds que tu dois réfléchir d’abord et tu viens m’en parler. Juste pour qu’on discute tous les deux. Y’a des choses très très importantes que tu dois savoir sur les garçons et que je te raconterai plus tard. Promis ? »
« Oui papa, promis. Mais tu dis ça, ce n’est pas pour que tu ailles les voir ensuite ? »
« Non, non. Du tout. Pas mon genre, ça. Oh lala, pas mon genre d’interférer dans les histoires d’amour de ma fille ».
« C’est gentil papa, je t’aime fort. »
« Fais en sorte que je sois le seul. Moi aussi je t’aime ».
« Ah papa, j’ai oublié. Y’a Côme, aussi, la dernière fois, quand il me parlait, il ne me regardait pas dans les yeux. »
« Bah. Il est timide. »
« Il n’a pas arrêté de me regarder les seins ».

C’est ma femme qui m’a ensuite expliqué à quel point j’étais ridicule. Surtout en caleçon, un samedi soir, par -5°C, dehors, avec une batte de baseball dans la main. Et qui m’a promis que si je rentrais sans faire d’histoire, elle me ferait des petits toasts de saumon fumé pour aller avec le whisky. Du saumon d’Ecosse, en plus.

Il est passé à « ça », Côme, de devoir acheter un chien d’aveugle. Et « ça », c’est de la taille d’un toast au saumon fumé. D’Ecosse. Quand on vous dit que le poisson, c'est la santé.