Publié le Jeudi 1 novembre 2012 à 11:00:00 par Laurent Benoit
Le financement participatif va-t-il trop vite ?
De Kickstarter à Kickstart-dead ?
C'est la question que l'on peut se poser aujourd'hui, alors que les premiers gros projets vidéoludiques (et d'autres plus modestes) ont été validés par les donateurs, et que l'on attent encore leur développement. Dans d'autres domaines, notamment la musique, le financement participatif a déjà donné naissance à quelques réalisations*.Si cette question pointe, c'est parce que dans une interview accordée à nos confrères de Games Industry, Chris Avellone, directeur créatif chez Obsidian, partage ses inquiétudes sur l'avenir de Kickstarter et plus généralement du financement participatif.
Alors que sa boîte a récolté plus de 4 millions de dollars pour Project Eternity, il s'inquiète de l'avenir de la plate-forme, et plus généralement du modèle économique du financement participatif (crowd funding). Que les projets réussissent ou pas, Avellone est persuadé que le système commence déjà à fatiguer.
Kickstarter est aujourd'hui ouvert aux projets anglais. Le crowd-funding explose, et l'on trouve de nombreuses autres plate-formes dédiées au financement collectif, que ce soit axé purement jeu vidéo comme Gamesplanet Lab ou Digital CoProduction, ou Gambitious, plate-forme d'investissement (avec retours sur les ventes) lancée par Scott Miller, ancienne figure clé de 3D Realms...« Je ne sais pas combien de temps tiendra Kickstarter. Notre principal souci avec Eternity, c'est que de très nombreuses sociétés arrivaient tout juste à atteindre leurs objectifs financiers. Double Fine et Wasteland 2 ont fait de gros scores. Shadowrun s'en est également très bien sorti mais dès lors, nous avons constaté une baisse sensible du montant moyen versé aux projets Kickstarter : les gens donnaient moins.
Je crains que Kickstarter ne s'essouffle. Il me semble qu'il y a toujours un nouveau projet qui se monte. C'était un des challenges auquel nous savions que nous devions faire face. Nous ne savions pas si nous allions atteindre notre objectif à cause de cette tendance générale. On se demandait si notre projet était assez excitant pour sortir du lot. Heureusement pour nous, c'était le cas.
Kickstarter va changer quand les premiers jeux sortiront, qu'ils soient des succès ou des échecs.
Et il y a ce problème : quand un projet Kickstarter validé sera un échec, je pense que les gens seront plus hésitants à participer sur cette plate-forme. On aura dépassé le seuil de l'épuisement : les gens auront des doutes sur chaque projet. »
Mais aussi dans tous un tas d'autres domaines divers et variés : Ulele est un autre site proposant jeux vidéo, musique, spectacles, mode... FriendsClear propose une relation investisseurs/entrepreneurs, BabelDoor se focalise sur les projets sociaux et humanitaires, Arizuka propose tout et n'importe quoi (love hotel, deuil périnatal, soutien à l'emploi des senors), KissKissBankBank est quant à lui plus axé livres, musique et photographie...
Quant à MyMajorCompany, buzzé en 2007 par les médias, le site est un peu retombé dans l'oubli collectif quand les gens ont récolté Grégoire comme premier artiste issu du truc.
Si j'en parle aujourd'hui, c'est qu'il est un peu l'exemple du déclin d'un site de crowd-funding lancé sur les chapeaux de roue, et qui a depuis été récupéré en partie par l'industrie du disque.
Même si énormément de musiciens continuent toujours de miser sur la plate-forme la plus connue des auditeurs radios (NRJ vient de lancer une radio dédiée au label) pour tenter de percer, ce sont M.Pokora, Jenifer et Grégoire qui trustent les charts musique, suivis de quantités d'albums de "néo-chanson/pop/variété" dans l'air du temps sur les ondes.
Le dernier coup de gueule en date, c'est l'utilisation du site pour financer la musique du protégé de Karl Lagerfeld, un bellâtre issu de la TV-réalité, qui reste quand même le mannequin le mieux payé au monde. Et ce n'est qu'un exemple pour illustrer les vives critiques émanent des artistes "alternatifs" sur l'orientation du site et le succès "mainstream" de ce dernier qui se voulait d'abord "éthique", et non pas destiné à être utilisé par des gens ayant les moyens de produire eux-mêmes leurs projets.
Pour ma part, je suis déprimé de n'avoir toujours pas vu un seul Interpol ou Joy Division français être financé sur le site. D'ailleurs, la plupart des groupes indépendants qui percent en ce moment le fond d'abord grâce à des tournées intensives pour se faire connaître du public, il semble finalement que la production musicale nécessite d'abord une confiance que n'ont pas les mécènes. Il suffit d'observer l'engouement du public puis des ventes pour des groupes comme 1995 ou Shakaponk.
Les chiffres sont d'ailleurs beaucoup moins glorieux si l'on compare euros et personnes : dans le domaine musical, facette la plus connue du site, MyMajorCompanyn'a finalement produit "que" une cinquantaine d'artistes en 5 ans d'existence. Quasi-tous dans le même domaine musical, et quasi-tous retombés dans l'oubli, si ce n'est Joyce Jonathan et Grégoire, récupérés par les NRJ Music Awards. Certains comme Arno Santamaria, ont même écumé différentes plates-formes pour y faire produire plusieurs disques via plusieurs sites. Irma, la chanteuse folk/soul révélée en 2011, a bénéficié d'une pub de la part du président de MyMajorCompanyqu'elle a rencontré, et est désormais une égérie pour Google.
Artistes vampirisant tremplins régionaux, concours d'enseignes et sites participatifs et réussissant tant bien que mal (quand ils ne se plantent pas carrément) sont aussi, pour contrebalancer, représentatifs d'un marché en pleine crise, les maisons de disques cherchant désormais du consommable immédiat à jeter le plus vite possible en cas de pertes financières, mais ne bénéficiant plus de leur aura de maîtres de la production musicale, qu'elles ont conservé toutes-puissantes jusqu'à l'arrivée de l'internet haut-débit et populaire.
Mais de manière plus globale, les reproches faits au crowd-funding commencent à poindre de toutes parts sur un point bien précis : les projets sont avant tout vendus par une communication séductrice ou efficace, sans avoir de véritables garanties sur le fond. Pour certains, c'est la prophétie d'Andy Warhol qui dégénère.
Dans la section Technologeek de MyMajorCompany, on trouve d'ailleurs plus de petits projets débiles comme fleurissent sur l'AppStore ou le Google Play que de vrais projets de softs, jeux vidéo ou hardware. Signalons quand même aux fans d'e-sport que Chips et Noi, les deux "shoutcasters" qui font du commentaire de match e-sport, ont décroché un financement ayant dépassé aujourd'hui les 105 000 euros pour organiser prochainement un tournoi de League of Legends à Paris.
Il faut maintenant imaginer les éditeurs comme EA ou Activision essayer de placer leurs pions dans le site pour alimenter leurs projets en économisant sur leurs trésoreries personnelles. Ah, on me dit que c'est déjà le cas.
Ne concluez pas que cet article déchire le crowd-funding, personnellement, je trouve le système toujours aussi génial, et je suis enthousiaste, au point d'avoir claqué pas mal de fric dans des projets dédiés dans plusieurs domaines. Mais si beaucoup de professionnels s'enthousiasment pour ce nouveau système, ils craignent tous l'appât du gain facile, une montée ne puissance trop rapide et un essoufflement du mécanisme, et on ne peut pas leur donner tort.
Certains sites comme Ulele ont déjà ouvert leurs portes à des partenariats avec de grandes marques : Dailymotion, Glamour, RFI ou Evian, promeuvent ou financent directement des projets portés par le site, en échange d'un sponsoring sur les salons et évènements organisés par l'entreprise.
Tout cela finalement au grand damne des associations caritatives, qui se plaignent actuellement d'un effondrement des dons publics en temps de crise (Cedric vous invite d'ailleurs à aller pécho pleins de chouettes goodies pour la bonne cause).
Pour Vincent Ricordeau, le fondateur et président de KissKissBankBank, c'est évident qu'avec la crise, "les donateurs se recentrent sur des projets plus proches de chez eux, dont ils peuvent suivre l'évolution". Et préfèrent claquer des sous dans la prochaine tuerie d'Obsidian que dans des chocolats chauds pour les sans-abris.
Notez enfin que si l'on a beaucoup parlé d'Obsidian et de Double Fine, le plus gros fond jamais soulevé par Kickstarter concerne une "smart-watch" ou une "i-watch", appelez ça comme vous voulez, une montre tactile quoi. Sauf que là, vous pouvez la synchroniser avec votre téléphone, personnaliser le cadran...
Pour aller plus loin, Wikipedia vous propose par ailleurs un recensement des sites existants par catégories de projets.
*NdCedric : On s'en serait passé, pour certains, non ? Pas toi ? Plus moi ? Plus tous ceux qui le veulent ? Plus lui ? Plus elle ? Et tous ceux qui sont seuls ?
Commentaires
Inscrit le 27/04/2009
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Je ne suis jamais allé sur ces sites de crowd-funding, le principe ne me tente pas trop personnellement. Mais les premières dérives constatées ne m'étonnent pas plus que ça. Dès qu'un projet original fonctionne, il faut toujours que les rapaces du pognon viennent y mettre leur nez et corrompre le truc pour se faire toujours plus d'argent.
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Inscrit le 08/11/2012
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Merci tout d'abord pour votre article, qui aborde un point clé du financement participatif : la gestion du succès ou de l'échec des projets financés, et le suivi de ces derniers par la plateforme.
Je me présente rapidement : je suis le co-fondateur d'Arizuka.
Pour rebondir sur votre remarque concernant notre site, nous sélectionnons des projets innovants et / ou solidaires, au sens large du terme : innovation sociale, environnementale, culturelle. Nos porteurs de projets sont principalement des micro-entrepreneurs, des associations et des ONG. La plateforme n'a pas, sauf cas exceptionnel, vocation à présenter des projets culturels ou musicaux, par exemple.
C'est, je pense, cette ligne éditoriale, qui donne cette impression de "tout et n'importe quoi" mentionné dans votre article. Ces critères de sélection ne sont aujourd'hui pas assez externalisés sur la page d'accueil du site.
Mais le principal dans votre post est effectivement la problématique de gestion des projets après la campagne de collecte en elle-même. Les plateformes travaillent à mettre en oeuvre des systèmes de suivi de projets. Je pense que le crowdfunding est encore assez jeune et que, malgré son succès, il devra apprendre de certaines de ses erreurs. Kickstarter a d'ailleurs décidé de recentrer ses activités sur les projets culturels récemment.
Au plaisir d'échanger avec vous sur ces sujets,
Fabrice
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