L'Edito du Dimanche

 

Publié le Dimanche 30 octobre 2022 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Tu quoque filia

imageEntre 2005 et 2008, je ne compte plus le nombre de couches que j’ai changées. J’étais même devenu un super-pro du changement de couche en un temps record, quel que soit le lieu, quelle que soit l’heure. Sur un bout de banc, sur un capot de voiture, sur un morceau de table, voire en temps de pénurie de support, sur mes genoux. A essuyer des substances parfois incroyables, aux senteurs parfois insoutenables, à grands renforts de lingettes. Sans moufter. Tout en faisant des gouzigouzis sur les cuisses ou des prouts sur le bidon.

Depuis 2005, je ne compte plus les nuits à veiller. A bercer, à nourrir, à nettoyer le vomi, à faire tourner les pipettes de Doliprane pour faire tomber la température, à me ruiner le dos en portant depuis la voiture jusqu’au lit… Mes journées à soigner les bobos, à mettre le petit sparadrap sur le genou abîmé, à faire le bisou magique qui soigne tous les maux et même si ça ne marche pas à tous les coups, et ben, au moins ça fait un peu de bien quand même, à sécher les larmes avec ma manche de pull, à me ruiner le dos en portant parce que « j’ai mal aux jambes » ou parce que « je suis fatiguée », à fermer les yeux sur des chambres mal rangées, sur des notes scolaires insuffisantes ou sur des petits copains mal choisis.

En soi, rien d’incroyable, hein. Juste le fait d’être père. Je ne demande ni médaille ni applaudissements. A la limite, un petit mouvement de la tête pour signifier « t’as assuré, mec ». Mais rien de plus.

Ma fille aînée insistait depuis longtemps pour écrire un édito. Et la semaine dernière, c’est pliant sous le poids d’un emploi du temps trop rempli que je cédai. Pour mon plus grand déshonneur. La chair de ma chair. Le sang de mon sang. Celle pour qui j’ai tant fait. Tant donné. Tu quoque filia. Ô rage, Ô désespoir, ô vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? Raillé en public par ma propre fille. Et le pire, dans tout ça, c’est que le Code Civil, articles 912 à 917 concernant la réserve héréditaire stipule que non, on ne peut pas déshériter un enfant. Je le sais, j’ai regardé.

imageTrahi, bafoué par ma fille. Ma propre fille. Et alors que j’étais au sol, agonisant sous le poids de l’infamie, espérant un geste, un soutien, une aide de mes proches, je n’ai reçu qu’un « Bah. Les chats ne font pas les chiens, hein ».
Dicton à la con. Qu’est-ce que l’hérédité a à voir là-dedans, je vous le demande. Les filles de Paul McCartney n’ont pas embrassé une carrière musicale. La fille de George Lucas n’a pas couché avec des Ewoks et la fille de Schumacher est meilleure que son père sur des skis.
Alors non, ma fille n’a pas besoin de devenir un être cynique, méchant, violent, diabolique, malveillant, cruel, provocant, démoniaque, fourbe, sournois, perfide, détestable, atroce, affreux, terrible, effrayant, odieux, vil, mauvais, exécrable, horrible, abominable, vilain, ignoble, turpide, antipathique, acariâtre, hargneux, scélérat, bourru, insupportable, venimeux, teigneux, implacable, revêche et irascible comme son père.
Le monde ne peut supporter deux personnes de la sorte en un même endroit sous peine de rompre le continuum espace-temps. Et rompre le continuum espace-temps, ça pourrait bien foutre la merde. Qui aurait envie de voir Hitler débarquer pour ouvrir un magasin de glaces ou Gengis Khan intégrer le groupe BTS ?

imageBon, j’avoue. Si prendre trois boules « Café-Vanille-Zyklon » me tente moyen, Gengis sur scène, ça peut le faire, surtout s’il arrive armé. M’enfin vous avez saisi l’idée, quoi. Il n’y a qu’un monstre dans la famille et ça doit être moi. Et le jour où je passerai le flambeau n’est pas encore arrivé. Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. Et la citation n’est pas choisie au hasard, puisqu’elle vient de la Bible, chapitre « ça va péter » ou, si vous préférez le titre officiel, « Apocalypse ».

Sur ce, je m’en vais noyer ma peine, mon chagrin, ma déception, voire ma résignation, dans l’alcool. Oui, tous les prétextes sont bons. Mais l’avantage, cette semaine, c’est que j’ai commencé plus tôt en feignant ne pas m’être souvenu du changement d’heure.

 

 
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Commentaires

Ecrit par Citan le 02/11/2022 à 23:59

 

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Alors non, ma fille n’a pas besoin de devenir un être cynique, méchant, violent, diabolique, malveillant, cruel, provocant, démoniaque, fourbe, sournois, perfide, détestable, atroce, affreux, terrible, effrayant, odieux, vil, mauvais, exécrable, horrible, abominable, vilain, ignoble, turpide, antipathique, acariâtre, hargneux, scélérat, bourru, insupportable, venimeux, teigneux, implacable, revêche et irascible comme son père.

Tu as oublié "modeste" dans le tas. ;)

Sinon merci Cédric pour cette chouette liste de qualificatifs dans laquelle je me permettrai de piocher sans scrupules à l'occasion au fil de mes interactions sociales. smiley 13

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