Publié le Dimanche 23 octobre 2022 à 12:00:00 par Zoé Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Fille de...

Chers amis, chers fidèles, chère jeunesse fleurissante et chères veilles âmes décrépies…
Bien-sûr, vous pourriez penser que ce ton hautain et supérieur ne peut venir que de ce bon vieux Cedric. Mais pour votre plus grand bonheur ; non, il ne s’agit pas de lui, mais bien de moi.

Je suppose que vous vous demandez certainement qui est ce « moi » si mystérieux et si intriguant. Ce n’est ni plus ni moins que le plus grand génie de ces dernières décennies, quelqu’un qui n’est là que pour vos yeux et votre sourire : la progéniture de ce bon vieux cinquantenaire (enfin -1 mais on ne va pas chipoter, il est vieux). Oui. Je suis sa fille. Aînée, qui plus est.

Soirée entre amis oblige, Monsieur est bien trop pris par ses ballons à gonfler, et j’ai donc décidé de soulager son emploi du temps en me chargeant de votre divertissement dominical. Et j’ai l’immense joie de vous annoncer que, vu la vitesse à laquelle son souffle se régénère, je vais tenir ce rôle tout le long de cet édito. La preuve, un seul pauvre ballon lui a valu de transpirer et de devenir tout rouge, puis d’enlever son tee-shirt « parce qu’il a chaud ». L’alcool, c’est moche… Il a beau penser être le mâle alpha de la maison, et certes il a pissé partout autour du salon et de son bureau, mais voyons la réalité en face : il n’a même plus la force de préparer son Ricard tout seul.

Cet air de gros baraqué qu’il se donne à la Dwayne Johnson avec ses tee-shirts licornes et princesses ; eh bien il n’en a que le ridicule et aucunement le côté badass. Mais ne lui répétez pas, sinon je peux tirer un trait sur les sorties avec mon petit copain.

Néanmoins, je souligne son courage pour vous écrire tous les dimanches. Je ne pensais pas qu’il se passait autant de choses dans sa vie qui méritaient d’être partagé. Enfin… à part gueuler parce qu’il doit m’emmener le samedi matin en cours à cause des bus qui ne passent pas, râler parce qu’il doit aller au marché, pester parce qu’il doit préparer à manger, et, au final, réclamer en braillant pour avoir son café, il faut bien avouer qu’il ne se passe pas grand-chose dans sa triste existence.

Je me demande pourquoi ce n’est pas moi qui écris l’édito toutes les semaines, d’ailleurs. Ma vie est bien plus intéressante. Tenez, rien qu’hier, le chauffeur m’a demandé de sortir du bus scolaire car je n’étais pas assise. Bien-sûr, ce n’était pas de mon plein gré que mes jeunes jambes fatiguées restaient debout. D vieux ploucs en fin de vie, avec leur air abruti avaient leurs gros fessiers mous sur les sièges qui me revenaient de droit. Sans aucune place de libre, je n’ai pas pu m’asseoir. Logique et assez simple à comprendre pour n’importe quel cerveau humain. Mais apparemment pas pour le chauffeur qui a profité de mon jeune âge et ma frêle condition féminine pour crier « Ohaaaaaaaaai ! On ne reste pas debout, vous sortez ! ». Nul doute que si j’avais pesé 100 kilos et porté un t-shirt licorne, il ne se serait pas adressé à moi ainsi.

Ça a été la goutte d’eau qui fait déborder la fontaine. Après une journée tout ce qu’il y a de plus merdique, ce type se permettait de vriller le dernier de mes nerfs intacts. Oh oui parce qu’il faut savoir que ma journée avait déjà été ravagée par des profs qui me parlaient très près du visage avec une haleine à avoir mangé un cadavre, des gens qui parlaient fort au téléphone dans les couloirs du Lycée, les surveillants qui nous demandaient de ne pas nous asseoir par terre « parce que c’est interdit et même si on ne gêne personne, c’est interdit », les « amis » qui ne m’attendaient pas quand ils ont fini de manger et les parfaits petits élèves qui comptaient et recomptaient leurs bonnes notes avec fierté pour bien me faire comprendre qu’ils étaient meilleurs que moi.

Enfin bon, pour en revenir à ce conna… ce gentil chauffeur, je suis cordialement allé le voir en lui expliquant, toujours cordialement, qu’on payait cordialement un forfait pour pouvoir prendre cordialement ses bus qui n’étaient même pas cordialement à l’heure. Et j’ai rajouté, toujours cordialement, que si un jour je ratais ma vie, je finirais chauffeuse de bus pour pouvoir évacuer toute ma frustration en faisant chier les usagers.

Je suis sortie sous les applaudissements de la foule en délire qui me félicitait de la verve dont j’avais fait preuve.

Cet évènement des plus choquants pour une personne aussi importante que moi, a engendré une grève de ma part et une volonté de ne plus prendre le bus. J’étais bien décidée à leur mettre la pression : perdre leur meilleur usager, ils seraient obligés de réagir et me présenter leurs excuses. Voire me dépêcher un bus rien que pour moi !

Malheureusement pour ma fierté, mes parents n’ont pas du tout été d’accord avec ma décision et ma grève n’aura duré que trente minutes. Obligée de reprendre le bus, je me vis aussi contrainte de reprendre l’école.

Vous entendez souvent parler de la vie apparemment misérable de mon paternel, mais voudriez-vous que je vous raconte la vie d’une lycéenne en dernière année ? De toute façon, même si vous ne voulez pas, vous n’avez pas le choix, c’est mon édito.

Déjà on nous parle du bac. C’est évident. Mais on ne nous parle pas du bac de manière normale : on nous en parle comme si nous allions recevoir un ballon d’or ou un prix olympique. La seule différence, c’est que le ballon d’or, si on l’a, on est pété de thune, et le bac, même si on l’a, on a toujours le risque de finir sous un pont…
Enfin bref, je me lève à 6h le matin et je rentre chez moi à 18h, tout ça pour sourire gentiment en levant la main et dire « moi je sais madame ». Des journées abrutissantes qui nous apprennent juste à être de bons petits soldats. Oh oui je sais, on dirait une petite complotiste. Mais vous pensez vraiment que savoir que la technique CMR ça veut dire capture marquage recapture, que les atomes y’en a beaucoup dans notre corps ou qu’on est composés à 72% d’eau ça va être des infos absolument primordiales dans ma vie future ? Le lycée n’est qu’un endroit où l’on regroupe des gens qui n’ont que leur âge en commun pour les abreuver de notes démoralisantes et de pression constante.

Alors je n’aurais qu’une chose à vous dire, n’éduquez pas vos enfants. Laissez-les libres.

J’espère vous avoir été utile. Au plaisir de se revoir bientôt,