Publié le Dimanche 27 juin 2021 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Anticonstitutionnellement

Je n’irai pas voter aujourd’hui. Je ne l’ai d’ailleurs pas fait la semaine dernière.

Alors j’entends certains d’entre vous fustiger mon désintérêt politique régional et départemental. Je vous rassure, j’ai déjà eu cette discussion et entendu toutes vos remarques. Inutile de me retracer l’Histoire de France, les révolutions successives et partir dans de grands monologues rappelant tout le sang versé pour avoir eu le droit, un jour, de voter et toi, toi, toi, tu trahis tous ceux qui ont donné leur vie pour cette liberté, pour ce pouvoir, pour avoir le droit de faire entendre ta voix, tous ceux qui sont montés sur des barricades, fusil à la main et torse au clair pour se dresser contre la tyrannie, franchement, tu devrais avoir honte, tu n’es pas un vrai citoyen, tu mériterais qu’on te retire tes droits, on devrait d’ailleurs rendre le vote obligatoire, plus que le vaccin, parce que parce que parce que voter, c’est être la Nation, c’est être la France, c’est être la…

Oh, ça va, ta gueule un peu.

Moi aussi, à une époque, j’étais plein de convictions sur la démocratie, sur la nécessité de faire entendre sa voix, et je serai le premier debout sur une barricade, fusil dans une main, whisky dans l’autre (on ne se refait pas) et torse au clair pour me dresser contre la tyrannie si jamais, aux prochaines présidentielles, plane à nouveau le spectre des chemises brunes et des bras tendus.
Mais aujourd’hui, j’avoue, je suis comme beaucoup, atteint d’une lassitude – voire d’un profond dégoût – politique.

Je n’irai pas voter parce que ça m’emmerde.
Je n’irai pas voter parce qu’aucune figure ne trouve, aujourd’hui, grâce à mes yeux dans celles proposées pour ces élections. Et comme voter blanc, c’est un peu comme pisser dans la mer dans l’espoir qu’elle ne déborde, eh bien je vais gentiment rester chez moi et laisser se déchirer les Grandes Personnes dont les dents rayent le parquet. On oublie juste que ce ne sont jamais eux qui le réparent, le parquet, et qu’à un moment, bah il ne sera plus réparable.

De la même manière, je ne voterais pas si on me demandait de le faire pour les prochains Victoire de la Musique. Bon, il n’y a aucune raison que je sois un jour introduit dans le collège des votants de l’industrie musicale, mais c’est juste histoire d’apporter une comparaison.
Aller voter aujourd’hui pour les régionales et départementales, ce serait finalement comme me filer une feuille sur laquelle il me faudrait cocher le nom de l’Artiste de l’année, avec comme choix Vitaa et Slimane, Ninho, Jul ou Aya Nakamura. Mon premier réflexe, ce serait de m’en servir comme du papier hygiénique. Mon second, aller sniffer un Bescherelle pour me laver l’esprit.

Et puis soyons honnête, hein. Pour rester dans la comparaison musicale, voter aujourd’hui en pensant que les élus vont vraiment s’occuper des régions et des départements et que leur souci principal n’est pas leur bien-être personnel et le salaire qui va avec la fonction, c’est un peu comme se dire qu’on va soutenir le féminisme en achetant les albums de Moha la Squale, Retro X, Jorrdee ou Roméo Elvis…

Bref.

Je n’irai pas voter aujourd’hui.

Et qu’on ne me sorte pas non plus « ah ben alors faudra pas venir te plaindre après ». Ce n’est pas parce que je n’ai ni envie de choper la Peste, ni le Choléra, que je ne peux pas râler contre les conditions sanitaires.

Je ne suis pas là non plus pour lancer un grand débat sur l’inutilité politique, sur le côté terriblement suranné des principales institutions politiques et de leurs principaux acteurs. Je n’ai tout simplement pas envie de leur offrir ma voix. Je suis aphone. Alors je vais rester bien au chaud chez moi, à mater une énième rediffusion des Mystères de l’amour ou de Maison à vendre, ou encore à regarder le nouveau sport de contact sur les routes du Tour de France qui consiste à maraver la gueule des coureurs à coups de pancartes.