Publié le Dimanche 23 juin 2019 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
L'Edito du dimanche
Anarchy in the Chaussures
Contrairement à d’innombrables abrutis qui continuent de vivre et d’emmerder les autres sans se rendre compte de leur propre imbécilité, j’ai moi, totalement conscience de mes failles et de mes perturbations psychologiques. Aussi minimes soient-elles (si, si).Et justement, moi, au moins, je me soigne. Enfin, j’essaie.
Sous l’impulsion de ma chère et tendre épouse, et un peu sur injonction de plusieurs juges à propos d’affaires sordides de violences physiques et amputations involontaires, j’ai décidé, donc, de suivre des programmes de gestion de la colère. Alors moi, j’ai gentiment répondu qu’on courait droit vers l’échec parce que quand je frappe des gens, je suis tout à fait calme et posé, jamais en colère, mais on m’a répondu que c’était un terme générique alors qu’il fallait quand même que je me soumette au programme.
Ce fut un échec sur toute la ligne. J’ai d’abord suivi une psychothérapie. Et si ma femme m’a expliqué que c’était encourageant, que j’ai au moins tenu trois séances, la praticienne a refusé de me recevoir une quatrième fois et a déménagé en Inde. Moi pourtant je trouvais ça marrant, parce qu’à chaque fois que je m’approchais d’elle, elle hurlait et quand je la regardais fixement, elle se mettait à pleurer.
J’ai même essayé les cours de Yoga. Vu mon élasticité naturelle et ma souplesse légendaire, j’ai directement intégré un groupe très expérimenté : les seniors, lors de leur journée « gym douce ». Je me suis fait lourder au bout de deux heures, après avoir déboité la hanche d’une mémé à qui j’essayais de montrer la Posture de la tortue.
Bref.
Finalement, je n’ai pas changé.
Non mais je préfère prévenir, parce que le beau temps est revenu et que de fortes chaleurs sont attendues ces prochains jours. Et justement, ces prochains jours, j’ai pas mal de rendez-vous, de déplacements, et que je vais emprunter les transports en commun. Et si vous ne voyez pas le rapport, essayez donc de croiser ma route alors que vous portez… des tongs.
Putain. Chaque année, hein. Chaque année je me dis que je vais prendre sur moi. Que je vais prendre une bonne bouffée d’air frais et « lâcher prise ». Que je vais passer outre. Mais non. C’est plus fort que vous. Vous continuez à porter des saloperies de tongs en ville. Dans les supermarchés. Dans les bus. Dans le métro. Vous continuez à exhiber vos pieds dégueulasses à la vue de tous. Vos oignons immondes. Vos ongles noirs de crasse. Vos crevasses et callosités abjectes. Vos mycoses. Et vous venez ramasser toute la merde qui traine dans les rues, dans les souterrains répugnants où se mélangent fientes de rats et crachats tuberculeux.
Chaque année, inlassablement, des abrutis congénitaux portent des tongs en ville et se rendent coupables de violation caractérisée des lois élémentaires de bienséance, d’hygiène et, surtout, de bon goût.
Mention particulière au gros con qui se curait les doigts de pieds dans le métro mercredi dernier, et jetait ensuite ses peaux mortes alentours.
Je hais les tongs.
Je hais les tongs. C’est plus fort que moi. Une haine viscérale. Irraisonnable. Implacable. Comme l’Athénien haïssait le Perse, comme les Romains détestaient les Carthaginois, je voue une haine incommensurable à la tong portée en ville. Et comme Caton l’Ancien, cette haine tourne à l’obsession. Tongus delenda est.
Ou plus précisément, devrais-je rajouter : Tongus civitatem delenda est. Car c’est la tong de ville qui m’insupporte et me dégoûte.
La tong de plage ou de piscine, elle, m’apparait totalement naturelle et dans son élément. C’est un peu comme la différence entre un ours blanc dans un bassin de zoo chauffé à 30°C et un ours blanc dans les vastes étendues neigeuses arctiques. Il y en a un qui n’est pas du tout à sa place. Pour la tong, c’est pareil. Sur la plage, elle protège le pied du sable brûlant et aère la voûte face aux chaleurs estivales, grâce au vent marin. En ville, dans le métro, elle vous agresse violemment les sens et vous crache à la gueule toute sa contagieuse saleté.
Chaque année, je me dis que je vais faire des efforts pour passer outre. Chaque année je me dis que je vais réussir à prendre sur moi. Chaque année, d’ailleurs, je me dis que c’est le tout dernier édito que je fais sur les tongs.
Chaque année j’échoue.
Chaque année je me retrouve à sauter à pieds joints sur les salopards, hommes ou femmes, qui exhibent leurs tongs en ville. Voilà pourquoi, chaque été, je ressors mes docs ou mes rangers coquées, anciennes témoins de mes années punks. Et si lors d’un de vos voyages, vous recevez sur les orteils un quintal de docs qui gueulent « No Future » ou « Anarchy in the Chaussures », vous saurez pourquoi. Et vous saurez qui c’est.
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