Publié le Dimanche 23 juin 2019 à 10:00:00 par Paf!
Les Estivants, un excellent film signé Valeria Bruni Tedeschi
C'est l'été !
Un actrice décoiffée, une cinéaste décoiffante !
How does it feel? How, how does it feel?
To be on your own, with no direction home, like a complete unknown,
Like a rolling stone”
Bob D.
Depuis une trentaine d’année, il est peu d’actrices aussi émouvante que Valeria Bruni Tedeschi, que ce soit sur scène ou à l’écran, chez Chéreau ou Chabrol, dans Fassbinder ou Tchekhov.
Que n’est-elle pas née au cinéma dans les années 50-70 pour nourrir les Risi, Commencini, Scola, voire Fellini, de sa présence lumineuse et tour à tour sensiblement torturée ou joliment clownesque. Cette femme est à part. Je l’ai pour ma part découverte déplorable chez Elie Chouraki dans les années 90 à Berlin. Mais elle m’a aussitôt été révélé bouleversante avant et après chez Chéreau ou Blier, Kassovitz, Barbosa, Bellochio…. Elle semble être ce qu’elle joue et restituer en actrice ce que les metteurs en scène lui instillent… Heureusement, elle choisit ceux-ci de mieux en meilleurs. Et les remplace.
D’où l’intérêt que cette belle personne soit également depuis une quinzaine d’années une excellente réalisatrice et directrice d’interprètes.
Ainsi que le prouve son dernier opus « Les estivants » devant sortir en dvd le 2 juillet prochain. C’est bien entendu, comme d’hab’ et encore une fois, de l’auto-fiction chiante et parigote.
Ou pas ?
Serait-ce que cette femme a quelque chose à dire, cette citoyenne un message à nous faire parvenir, cette cinéaste deux mondes à nous faire ressentir ?
Une extraordinaire comédie douce-amère à nous montrer par exemple, faisant autant de place aux riches - désœuvrés - qu’aux pauvres - démythifiés - dans le plus pur style du grand cinéma italien ou franco-italien des grandes années d’avant Sylvio, Nicolas et Donald?
Dans une grande villa entourée d’une immense pinède sise au bord de la Méditerranée (au bas mot 5 à 10 millions d’euros ; le générique nous apprendra qu’elle se trouve à Hyères), une vieille dame accueille ses deux filles, sa famille et des amis, grâce à l’aimable complicité de nombreux employés de maison.
Je rassure les petites gens haïssant l’auto-fiction bourgeoise d’entre mes lecteurs : une réunion est prévue très prochainement pour discuter des primes concernant les heures supplémentaires en général et le 14 juillet chômé ou payé plus cher en particulier.
Mais comme l’énonce le toujours excellent Bruno Raffaelli dans la bande-annonce : « Vous savez, chacun fait sa vie dans cette maison. Personne ne voit personne ».
Une personne. Quelle personne ? Et qu’est-ce qu’une personne ?
D’après les personnalistes des années 30 - Rougemont, Mounier,… - bientôt salement plagiés par Sartre et son existentialisme, l’être humain se définit par sa relation à l’autre. Mais l’Europe des personnes a péri si elle a jamais existée. Et l’individu règne.
Les invisibles ne sont pas forcément - ou bien plutôt, pas seulement - ceux qu’on croit…
A voir ces « Estivants », il est encore une fois dommage que VBT ne s’autorise pas plus de rôles de comédies déjantées tant elle possède un tempérament slapstick, pouvant nous faire passer en un instant des larmes aux rires.
Ici encore en effet et ce, dès le début du film pour elle-même et tout au long de celui-ci pour ses excellents acteurs (Valeria Golino, Bruno Raffaelli, Pierre Arditi, Yolande Moreau,…), elle prouve sa justesse à exprimer des fulgurances de passion qui, se trouvant sur le fil du ridicule dans leur expression, font soudain passer le spectateur d’un état de compassion extrême pour tel personnage, à commencer le plus souvent par le sien propre, à un regard amusé voire à un grand rire libératoire vis-à-vis de ce personnage s’avérant ridicule.
Il est dommage à mon goût que ces « estivants » n’aient pas accentué encore plus ces pans slapsticks et oniriques qui l’émaillent avec bonheur ici et là après la minute 45, si j’ai bien compté. Le film est en effet nourri de saynètes des plus plaisantes : Bruno Raffaelli chantant une opérette, Valéria Golino légèrement éméché caressant le sexe d’une statue, VBT et VG chantant en duo « Ma che fredo fa », Yolande Moreau l’employé disant son fait au faux cul de salopard de grand patron de droite joué par Pierre Arditi (le beau-frère donc, si vous suivez ma pensée, de V. Bruni T.),…
Tel quel, « Les estivants » se baladent certes entre « La règle du jeu » de Renoir et « La dolce vita / E la nave va / Intervista » de Fellini - chose formidable - mais le problème est qu’il flirte aussi allègrement avec le bon petit film d’auto-fiction parisiannisto-branchouille où l’on s’ennuie pendant deux heures à suivre l’inanité des problèmes de gens qui n’en ont pas et qui s’ennuient.
Depuis une vingtaine/trentaine/quarantaine d’années, l’autofiction bourgeoiso-parisianniste est une queue de comète de la soi-disant Nouvelle vague et elle m’ennuie plus que je ne saurai l’écrire sans devenir vulgaire…
Et M. Dylan, désormais Nobel…
Invisibles.
Pour ma part, je préfère Lucchino Visconti, Bertrand Tavernier, Marc Jolivet et Robert Guédiguian pour traiter de notre réalité sociale et des collectifs humains, et bien sûr Dumont, Chabrol, Bunuel, Vinterberg et von Trier pour dynamiter le charme discret de la bourgeoisie avec mélancholia dans une grande Festen!
Mais Valeria n’est jamais bien coiffée et accorde aux employés de maison de grands moments d’épopées : Yolande Moreau menaçant son mari épileptique de le laisser dans un Epad Roumain s’il continue à lécher les oreilles de Pierre Arditi ; l’intendant du domaine, aussi intelligent que fin bourré pour oublier sa condition d’employé, renversant sur Arditi le plat qu’il est sensé servir, Yolande Moreau encore baisant allègrement le garde de la sécurité du domaine sur un voilier qu’ils abîment,… et Valeria en prières.
Pour le peuple de gauche d’entre mes lecteurs, Noémie Lvovsky, co-scénariste du film comme souvent chez VBT, dit par hasard une chose très juste à Nicolas Sarkozy / Pierre Arditi sur ce que serait la gauche.
Et Laurent Stocker de la Comédie française venu là en voisin de se prendre une baffe.
Les riches sont gros et cons comme un caillou, les pauvres peuvent également se révéler cons, Front national, voleurs et hypocrites.
Et Valéria vitupère un « Je vous salue Marie » à toute vitesse en répondant à sa fille que Dieu effectivement n’existe pas ou si peu ou peut-être pas…
Un très beau film ! Tchekhov et Tourgueniev… Merci madame.
Version originale française avec sous-titres français, italiens et anglais et audio-description pour les mal/non-voyants
En bonus : Masterclass Valéria Bruni Tedeschi, interrogée à la cinémathèque française en février 2019 par Bernard Benoliel et Frédéric Bonnaud, 89 minutes.
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