Publié le Dimanche 16 septembre 2018 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Vos quoque puellae

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme une angoisse, là. Genre une petite boule au creux de l’estomac. Avec un léger sentiment d’avoir une lame plantée dans le dos. Reste à savoir si c’est un couteau d’office, un couteau de Chef, voire un Santoku, avec les petites alvéoles pour mieux couper les légumes, ou carrément une feuille de boucher.

Trahi par ma propre famille. Par mon propre sang. Le coup de Grâce. Tu quoque mi fili, 30 pièces d’argent et tout le toutim.

Je vous explique la situation. Je vous en ai déjà parlé il y a quelque temps. Je donne des cours d’Apprentissage du jeu vidéo dans une école spécialisée. Parce que c’est la meilleure école, ils ont recruté les meilleurs. Et cette année, ils m’ont doublé mon nombre de cours. Les mauvaises langues diront que c’est en fait parce qu’ils n’avaient personne d’autre sous la main mais, héhéhé, moi en fait je connais la vraie raison. C’est simplement parce que je suis le meilleur des meilleurs. Ou alors… j’ai comme un doute… il faudra quand même que je vérifie si je suis autant payé que les autres, hein…

Enfin bref. Si on enlève les plaintes pour harcèlement sexuel et les élèves qui quittent mon cours en pleurant, sans oublier les quatre l’année dernière qui ont voulu sauter par la fenêtre, l’un des gros désavantages de cette activité est qu’elle m’éloigne de mon doux foyer. Ce foyer où je peux du matin au soir me promener les balloches à l’air et me les gratter négligemment avant d’aller siroter un Pure Malt 18 ans d’âge en vous rédigeant des news et des tests. Je le sais, j’ai déjà essayé de faire ça en cours, ça passe mal. A mon avis, ils doivent avoir un truc contre le whisky. Je ne vois pas d’autre explication.

L’école où je traumatise mon auditoire… pardon… où je dispense mon merveilleux enseignement, est en effet à l’autre bout de l’hexagone et chaque session implique donc de partir plusieurs jours. Ces prochaines semaines, je vais les passer loin des miens, ne revenant dormir dans le lit conjugal et faire le devoir du même nom que les week-ends.

Je m’attendais à des cris et des larmes de la part de mes gamines. Voire même l’œil humide et la lèvre tremblotante de la part de ma douce et tendre. Genre « ne me quitte pas moi je t’offrirai des perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut pas » sur fond de « Papaoutai papaoutai papaoutai », ce genre de trucs, quoi.

Sauf que non.

Elles s’en foutent.

J’ai eu droit à « chouette, on va se faire une soirée shopping lundi, et puis mardi on se fait un plateau télé, on va enfin pouvoir choisir le film, chic, mercredi on se fait une soirée manucure et si jeudi on se faisait un petit cinéma sans oublier vendredi, on peut se faire un resto vendredi, et…
« Euh… je reviens vendredi, moi…. »
« C’est bien, c’est bien… et puis les filles, on va en profiter pour refaire la déco, tiens. Les figurines Terry Pratchett, avec un peu de papier bulle, ça tiendra dans le grenier, moi je verrais bien des photos de poney à la place voire même un poster de licornes… »
« Maman, je pourrai prendre sa penderie ? »
« Ben oui, on mettra ses affaires dans une valise, comme ça il n’aura qu’à en changer chaque week-end, ça sera plus pratique pour tout le monde ».

Hier, je les ai même entendues parler d’une éventuelle reconversion de mon bureau en placard à chaussures.

Je me demande si les serrures seront les mêmes quand je reviendrai…

Quelqu’un peut m’héberger le week-end prochain ?