Publié le Dimanche 17 juin 2018 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

L'éducation par la violence

Tout le monde – ou presque – vous le dit : « les ados, c’est l’enfer », « les gamins, ça vous pourrit la vie dès que ça peut », « Vous n’avez pas fini d’en baver » et j’en passe et j’en oublie.
Ma fille aînée étant déjà entrée dans l’adolescence et ayant très rapidement obtenu son diplôme de « casse-couilles », preuve que l’hérédité féminine est une réalité, j’ai décidé de riposter.

La guerre est déclarée et j’ai des armes d’emmerdement massif que leur imagination limitée ne peut ne serait-ce qu’un instant envisager, alors que mon imagination débordante – et sadique – a toutes les cartes en mains. Les cartes de plusieurs jeux, qui plus est.

Bref, c’est sous le cri intérieur de « Vengeaaaaaaaance ! » que je me suis lancé dans une opération d’éducation par l’emmerdement maximum. Toujours avec le sourire, bien entendu. C’est important, de garder le sourire.

En fait, mon plan machiavélique est né des cendres d’une bataille musicale mercredi dernier. Je vous explique. J’ai cédé à l’appel de la technologie. Ou du moins, j’ai hisse mon niveau de « grosse feignasse » à un niveau supérieur, en achetant un Amazon Echo pour la maison. Cette solution à commande vocale, du même genre que le Google Home, est finalement très pratique pour tout un tas de choses : ma fille cadette qui tous les matins me harcèle pour que je lui lise la météo du jour afin qu’elle choisisse les fringues les mieux adaptées, par exemple.
« Nuageux avec des risques d’orages dans l’après-midi »
« Oui mais combien de nuages ? Beaucoup ? Et les orages, à quelle heure précisément ? Y’aura de la grêle ? Et de la pluie, y’en aura beaucoup ou pas ? Beaucoup comment ? Et tu peux me dire combien il va faire pendant la récréation de ce matin ? Et celle de cet après-midi ? »
« … »
Là, au moins, elle sait que la discussion avec la machine est limitée et se contente de la prévision basique sans horaire ni épaisseur de la couverture nuageuse ou la taille et le poids des gouttes de pluie.

L’autre avantage de l’Amazon Echo (qui répond au nom d’Alexa), c’est de pouvoir écouter sa musique en pilotant tout à la voix. Et c’est là que la guerre a commencé. Cette saloperie de machine ayant décidé d’avoir plusieurs maîtres, elle reconnait son nom, Alexa, quelle que soit la personne qui le prononce. Impossible de lui imposer « His Master Voice », en l’occurrence moi, comme Numéro 1 des ordres vocaux dans la hiérarchie familiale.
Et du coup, il suffit que j’aille répondre à la porte ou que j’aille chercher un verre d’eau dans la cuisine pour qu’Enjoy the Silence de Depeche Mode se transforme en Dadju ou Maître Gims. Que La Grange de ZZ Top devienne du Damso ou, pire, que Hells Bells d’AC DC prenne des airs de Rihanna.

Cette saloperie de machine obéit à n’importe qui.

Malheureusement, contrairement à un clébard, on ne peut pas lui foutre de coups de pieds pour qu’elle comprenne qui est le patron. Et ma dernière crise d’autorité s’est soldée par un clash familial, avec « On peut jamais écouter ce qu’on veut, c’est toujours toi qui choisit la musique et on n’aime pas ta musique » de la part de mes filles, contestation à laquelle ma femme a osé apporter sa voix en lançant un « c’est vrai que t’es vraiment chiant avec ta musique, laisse un peu les filles écouter ce qu’elles veulent ». Putain. 17 ans de mariage pour terminer avec un couteau de variétés françaises de merde dans le dos.

Je me suis tu (du verbe se taire, pour ceux qui ont un Bescherelle de retard) et ai ruminé ma vengeance avec des boules Quilès. Et j’ai lancé l’opération « Father Revenge ». Parce que ça sonne mieux en anglais. Alors qu’en allemand, ça donne « Vater Rache », et ça sonne un peu comme un type coincé dans les chiottes à cause d’une constipation.

Comme chaque vendredi depuis le début de l’année, ma fille m’a demandé d’aller la chercher à l’école à 14h, parce qu’elle ne veut pas attendre le bus qui ne passe que 40 minutes plus tard. J’ai un peu râlé, comme d’habitude, pour ne pas éveiller les soupçons. Elle a insisté, comme d’habitude, à grands renforts d’arguments ridicules pour me faire chier. Et je suis donc allé la chercher. En t-shirt troué, jean relevé au-dessus des chevilles, petite chaussures avec chaussettes basses, fenêtres de la bagnole ouvertes et auto-radio qui joue à fond l’espèce de grosse merde qui est numéro 1 en France actuellement, Dosseh avec « Habitué ». Et bien entendu, je dansais à côté de la voiture.

Elle m’a fait promettre de ne plus jamais venir la chercher. Papa 1 – Enfants 0

Quant à Alexa, je lui ai programmé tout un tas de routines. Quand les filles demandent du Damso, ça lance du AC/DC. Quand elles veulent écouter du Dadju, ça joue du New Order. Quand elles réclament du Maître Gims, ça joue du ZZ Top. Et si elles veulent du Lartiste, c’est Billy Idol qu’elles obtiennent.
J’ai même poussé le vice pour qu’Alexa raconte des blagues ou souhaite bonne nuit quand on lui demande du Vald ou du Niska.

Papa 2 - Enfants 0

Et encore, j’ai été déçu de voir qu’on ne pouvait pas lui imposer certaines réponses comme « Non, je refuse de jouer cette merde » ou « C’est nul, ça, je vais plutôt vous mettre un bon vieux rock ». Mais je ne désespère pas que ce devienne possible lors d’une prochaine mise à jour.

L’opération Vater Rache est lancée. Rien ne pourra l’arrêter. Même pas un laxatif.