Publié le Dimanche 13 mai 2018 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Un caillou dans la gueule

Hier, en fin de matinée, nous profitions d’un dernier rayon de soleil avant l’orage pour faire une petite promenade le long des canaux d’un marais.
Ma femme en profitait pour prendre des photos, ma fille cadette en profitait pour courir partout et monter dans les arbres, ma fille aînée en profitait pour faire la gueule parce qu’elle n’avait pas de réseau et moi, j’en profitais pour jeter des cailloux sur les canards et les grenouilles. 1 point dans le corps du canard, 2 dans celui de la grenouille, 5 points dans la tête du canard et 10 points dans la tête de la grenouille. Sans oublier le bonus +10 si l’un ou l’autre coule à pic.

J’en étais à un score de 787 (je lance très très bien les cailloux) quand j’entendis ma chère et tendre lancer un « chut, ne faites pas de bruit, il y a des pêcheurs ».
Je me mis à ricaner doucettement.
« ça va déranger les poissons ».
Je me mis à ricaner encore.
« Alors taisez-vous ».
Je ricanais de plus belle.
« Venez, on va… »
Je ricanais encore.
« …voir ce qu’ils ont… »
Je ricanais.
« …attrapé… »
Je ricanais.
« …dans leur… »
Je ricanais toujours
« …filetmaistaspasfinidericanercommeuncontufaischieràlafinquestcequilyaputaindemerde »

Soucieux d’instruire ma moitié et ma progéniture, et pour me la péter aussi un peu au passage, parce que ça fait toujours du bien à l’égo, je leur livrais un secret vieux de plus de mille ans mais que personne n’a jamais osé révéler. Et que, donc, je vais vous livrer aussi, à vous, la plèbe, quitte à trahir la fraternité des pêcheurs et risquer de me faire attaquer à la mouche ou à l’hameçon de 10 la prochaine fois que je longerais un cours d’eau…

Faire du bruit près d’un pêcheur n’a jamais fait fuir le poisson. Certes, si l’eau est claire, peu profonde et que vous faites le guignol en bord de rive, vous risquez d’effrayer ceux qui sont près des berges. Mais c’est bien tout. Vous avez déjà fait l’expérience d’être sous l’eau pendant que quelqu’un vous parle ? Moi, perso, à force de plonger la tête dans la flotte quand ma femme m’engueule et que je suis dans le bain ou sur une plage, j’ai développé des talents d’apnéiste incroyables.
Mais ce n’est pas tout… vous me direz aussi où vous voyez des oreilles sur les poissons et, si vous pensez en trouver, à quoi ça peut bien leur servir.
Alors à moins de débarquer avec une sono dont les basses pourront, effectivement, générer des vibrations, vous avez donc peu de risques de faire fuir les poissons. D’autant plus que le pêcheur ne lance généralement pas sa ligne à 10 cm du rivage…

Alors pourquoi cette légende ? Parce que la pêche en rivière n’est pas un sport, mais un loisir où la tranquillité est le maître mot d’une partie réussie. Un mélange de repos, de calme et de relaxation. Un instant de silence où la pensée divague, où l’on peut aussi faire le point sur soi, sur sa vie, sur ses soucis, sur des joies et ses peines… bref, un pêcheur n’a certainement pas envie de voir débarquer des brailleurs l’emmerder. Un peu comme si vous débarquiez en pleine séance de yoga en gueulant du rap. Ce serait inconvenant. Et tout aussi zen sont-ils censés être, vous risqueriez de manger un salut au soleil dans la gueule ou une posture du lotus dans les glaouis.

Bref. Pour finir, j’ai quand même lancé un caillou dans la tête du pêcheur, j’ai aussi chopé un teckel qui passait par là, sa maîtresse qui gueulait et mon dernier caillou a été pour la devanture d’un coiffeur qui s’appelait « Chez Pierre ». Je lui ai jeté ma dernière pierre, quoi… ha ha ha…

Hem…

Mes promenades bucoliques sont plus belles que les vôtres…