Publié le Dimanche 17 décembre 2017 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

100% spoils

Nous vivons une ère de merde, dans une bonne grosse société de débiles. Voilà. Ras-le-bol. Chier à la fin. Allez tous vous faire foutre. Bande de connards. Vous me les briser sévère. Grave. Je vous souhaite tous d’aller mourir dans d’atroces souffrances et de vous faire émasculer à la petite cuillère. Ou exciser à la fourchette en plastique pour mon public féminin.

Raaaaaaaaah. Ça fait du bien de se lâcher un peu. Non mais essayez de temps en temps. Allez-y. Vous verrez, vous vous sentirez bien mieux après. Envoyez péter votre voisin, insultez votre patron, crachez à la gueule de vos enfants, faites des doigts d’honneur à vos parents. Allez-y.
Bon, après, certes, question popularité, ça craint un peu du boudin. Et puis vous risquez de passer les fêtes seul. Au chômage aussi. Mais bon sang, des fois, on se demande si ça ne vaut pas le coup quand même.

Ben moi je saute le pas. Je vous emmerde dans les grandes largeurs. Et dans les grandes profondeurs. Voilà.

J’ai reçu bon nombre de mails d’insultes suite à la critique du dernier film Star Wars.

Oh, je passerai sur les messages dans lesquels quelques petits merdeux tentent de s’ériger en maîtres-étalons du bon goût en m’expliquant à grands renforts de formules pour me rabaisser et dénigrer l’intégralité de mon existence, voire de toute mon ascendance et, forcément, ma descendance également, à quel point cet épisode de Star Wars est mauvais. Que je ne suis pas un « vrai ». Un « pur ». Il n’y a rien à répondre à ça. Si ce n’est regretter ce bon vieux temps où l’on pouvait balancer son gant à la face d’un sombre crétin pour réparer l’injure, et lui perforer son claque-merde avec une bille de plomb.

Je m’arrêterai par contre, et c’est là le vrai sujet de l’édito, sur les messages d’insultes et, pour certains, de menaces, parce que ma critique était, je cite, « remplie de spoils ».
Je hais ce mot. « Spoil ». Comme je hais ceux qui l’emploient.
Bon. Alors déjà, que ce soit clair. J’ai bien fait attention, justement, dans ma critique, de ne rien révéler du tout. Non pas par peur des représailles de quelques mous du bulbe, mais simplement à la demande expresse de Disney. Oui, bon, ma réputation n’est plus à faire, du coup, j’ai reçu un petit message tout gentil me demandant de bien faire attention, parce qu’après tout, ce serait dommage de « gâcher » (la traduction du mot « spoil », je tiens à l’apprendre à tous les petits cons qui l’utilisent à tort et à travers sans en connaître le sens) l’histoire à ceux qui ne l’ont pas encore vu.
Alors bon. Parce que c’était, comme je vous l’ai dit précédemment, demandé gentiment, et uniquement pour cette raison, j’ai accepté de faire attention.
Du coup, ma critique est garantie sans « révélation ». J’ai juste parlé vaguement d’un ou deux passages… sans réel intérêt pour l’histoire ou pour le suspens, et certains ont donc deviné par eux-mêmes ce qui allait se passer… ce qu’ils me reprochent, du coup.

Mais là n’est même pas le problème. Le problème est que vous êtes devenus une génération fast-food. Et oui, le mot est justement employé. Avec tout ce que cela englobe : le fast-food, ça reste de la bouffe à bas prix, de mauvaise qualité, avalée rapidement et tout aussi rapidement chiée. Vous avez une vie fast-food. Avec ce que cela englobe : à bas prix, de mauvaise qualité et… rapidement chiée aussi.

Que vous explique la chose plus posément. A une époque pas si lointaine où les gens ne se précipitaient pas pour aller voir en streaming un épisode de série sorti la veille aux USA, nous prenions le temps de vivre. D’attendre. Moi, j’ai su tout des scénarii de L’Empire Contre-Attaque et du Retour du Jedi avant même de les avoir vus. J’ai su que Vador était le père de Luke. Que ce dernier allait perdre sa main. Que Vador devenait quand même gentil à la fin. Que Leïa était la sœur de Luke. Et que Han Solo allait finir avec la princesse. J’ai tout su de la cryogénisation de Han. De la trahison de Lando. Et même qu’à mon époque, les ewoks étaient quand même vachement cools.
Et bien ça ne m’a pas empêché d’adorer les films. D’avoir des étoiles plein les yeux. De rêver. De devenir un gamin de la génération Star Wars.

Le mot « spoil » n’existait pas. Parce qu’on savourait. Parce que, comme un lecteur va lire la fin de son livre alors qu’il vient de le commencer, juste pour voir comment ça se termine (et ils sont très nombreux à le faire, croyez-moi), peu importe la fin. C’est le déroulement qui prime. C’est la construction. C’est l’ensemble. C’est l’ambiance. Et ça, rien ne peut venir le gâcher.
D’ailleurs, rappelez-moi juste un truc… quand vous revoyez un film… vous ne vous souvenez plus de la fin ? Vous ne prenez plus aucun plaisir ?

Personnellement, je connais par cœur – ou presque – la tirade, à la fin du premier Blade Runner. Mais chaque fois que je l’entends, j’ai à nouveau des frissons.
Je connais par cœur – oui, là, par contre, c’est vrai – les répliques du Dernier Samaritain. Ça ne m’empêche pas de me marrer à chaque fois que je les entends.

Alors attention. Je ne dis pas que je suis « supérieur » à vous, petits insectes insignifiants devant ma magnificence. Je ne le pense même pas un seul instant (bon, un petit peu quand même, mais pas tout à fait sérieusement non plus). Je dis simplement que vous devriez prendre le temps de vivre. De vous détendre. Du slip. Et d’arrêter de me les briser avec vos réactions démesurées face à un quelconque « spoil ». Ça vous permettra peut-être d’apprécier tout ce qu’il y a autour. De ne plus avoir des goûts Fast-Food. Et surtout, de remettre à niveau vos critères d’intérêt et d’importance des choses.

Lao-Tseu, qui avait oublié d’être con puisqu’il a repiqué bon nombre de citations un peu partout et qu’il chevauchait un buffle, parce que c’est quand même cool, un buffle, disait : « Il n'y a point de chemin vers le bonheur. Le bonheur, c'est le chemin. »
Je vais traduire parce que vous m’avez l’air un peu limités quand même. Ça veut, grosso modo, dire : « Qu’importe le but. L’important, c’est la route ».

Voilà. Sur ce, Luke meurt à la fin de l'Episode VIII. Parfaitement.
Et si vous croyez ça, c'est que vous n'avez rien compris à Star Wars. Luke est éternel. Il ne meurt pas. Il rejoint la Force. Et c’est beau.

Et Joyeux Noël quand même.