Publié le Dimanche 18 mai 2014 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Rencontre du 3ème type

Chacun ses petits plaisirs coupables. Personnellement, même si je suis loin d’y être assidu, j’aime bien regarder « L’amour est dans le pré ». Comme des millions de français, c’est mon petit côté voyeur qui s’exprime alors. Amusé, intéressé par les comportements humains, touchés par la maladresse ou la gentillesse de certains, effaré par le cadre de vie ou le comportement d’autres, j’aime ce tableau particulier de nos campagnes peint par la télé-réalité. Et puis, hein, la reproduction des bouseux, c’est limite un docu animalier. Enfin bref.
Il y a quelques mois, Vincent nous a quittés. Ou plutôt, il a quitté la Capitale. S’il collabore encore occasionnellement et toujours avec le même plaisir partagé, il s’est exilé en province. Il faut dire que des années de misère sexuelle l’ont poussé à aller chasser sur des terres plus vastes et, surtout, moins regardantes.
« Puisque la parisienne me snobe et qu’elle ne me trouve pas assez bien pour elle, je vais aller lever de la bonne grosse paysanne rougeaude que je culbuterai dans le foin entre deux traites ! » nous lançait-il alors.
Son choix fut judicieux. Depuis, il a trouvé l’amour. Une bonne grosse paysanne rougeaude, comme il le souhaitait. Il a jeté son dévolu sur une bergère, plutôt jeune malgré ses quatre enfants (dans les régions sous-développées, il n’est pas rare que les femmes soient mères pour la première fois vers leurs 12 ans), et récemment veuve. Désormais, donc, il laboure entre deux traites ou deux pelletées de fromages de chèvre, tout comme il l’avait prédit. Il est heureux. Il s’est découvert et totalement épanoui dans ce paysage rural qui sent bon l’animal.

Vendredi soir, nous organisions notre dîner annuel de la rédaction. Comprenez par-là que pour une fois, j’avais invité toute l’équipe à manger. Chez moi. Au moins, là, pas de tentation de me lever de table pour soi-disant aller demander l’addition ou aller aux toilettes et me barrer en fait en douce pour leur laisser la note à payer. Hein ? Non, rien à voir avec une éventuelle pingrerie. Juste que je suis un enfoiré, je vous rappelle. Et j’ai une réputation à tenir, d’autant plus si je leur ai fait croire au début du repas que c’est moi qui régalais et qu’on pouvait donc se lâcher et s’offrir cette petite bouteille de vin à 400 €.
Enfin bref. Je vous passe le menu à base de Vin d’exception, de magret de canard, foie gras, rillettes de canard et d’oie, et cou farci. Le fait est que toute l’équipe était là, que l’ambiance et la discussion n’était pas au boulot et que nous avons passé une excellente soirée.
Sylvain est arrivé en voiture. Enfin, en poussant sa voiture. « Cedric m’a demandé de venir en voiture pour ramener Alex et Walid sur Paris après, mais je n’ai plus d’essence depuis trois semaines alors je suis venu en la poussant ». Walid est arrivé en train. On lui interdit de venir en avion depuis qu’il nous a demandé quelle était la taille de la Tour Eiffel et si un Airbus A380 pouvait passer sous l’Arc de Triomphe. Alexandre est arrivé en retard après avoir pris un RER qui allait dans la direction opposée et s’en être rendu compte au terminus. Enfin, Vincent est venu normalement, sans souci, dans sa voiture dont l’état et la paille souillée accumulée sur les sièges font qu’elle n’a jamais aussi bien porté le nom de « charrette ».

C’est lors du repas, justement, que nous avons remarqué un petit détail inattendu et inhabituel sur Vincent…
« - Moi : Mais c’est une alliance…
- Vincent : Euh… non…
- Moi : Si, si. Une bague, sur l’annulaire de la main gauche et avec cette gueule-là, on appelle ça une alliance.
- Vincent : Euh…
- Moi : Vas-y, t’es obligé de raconter. Tu t’es marié ou quoi ? Tu nous as même pas invités ? Ou alors t’es fiancé ? Reste pas silencieux, bordel ! Raconte !
- Vincent : Euh… en fait… Voilà… On s’entend tellement bien… J’adore ses enfants… J’adore ses chèvres… Enfin bref… Je compte la demander en mariage prochainement. Peut-être cet été, lors de nos vacances qu’on passera chez ses parents à l’autre bout du hameau. Du coup… pour moi on est déjà marié. Alors quand je sors, je mets une alliance. Par contre, je l’enlève quand je rentre à la maison, hein…
- Moi : Euh… en fait, tu agis comme un mari adultère, mais à l’envers…
- Vincent : Oui, mais tu comprends, j’ai peur. Je ne sais pas comment elle réagirait si je lui demandais de m’épouser. Alors j’attends et je m’entraîne à l’extérieur. Et puis bon… là où on vit, c’est mieux de faire croire qu’on est marié. Vivre sous le même toit sans être marié, on pourrait avoir des problèmes. Le curé pourrait nous excommunier. Tu sais, la campagne, c’est pas comme la ville, hein…
- Walid : Franchement, je trouve ça complètement con.
- Moi : Oui, moi aussi. Mais je comprends.
- Walid : Moi je ne comprends pas. Mais alors pas du tout. Je ne comprends pas l’intérêt.
- Moi : L’intérêt de quoi ?
- Walid : L’intérêt d’épouser une seule femme quand, comme moi, tu peux en avoir trois ou quatre.
- Moi : Ah oui, c’est vrai que tu as quatre épouses toi. Quand est-ce que tu nous les présentes ?
- Walid : Dès qu’elles seront majeures, elles auront le droit de sortir une heure par jour pour aller faire les courses et pourront servir les invités quand j’en recevrai. Je vous inviterai.
- Vincent : Quand ça ?
- Walid : Dès qu’elles seront majeures, je te dis. Dans 5 ou 6 ans, quoi.
- Sylvain : Moi non plus je ne comprends pas.
- Walid : Tu ne comprends pas quoi ?
- Sylvain : Tout ce que vous racontez. Parce que déjà, j’aimerais qu’on m’explique une bonne fois pour toutes.
- Moi : Qu’on t’explique quoi ?
- Sylvain : Mais putain, j’entends tout le monde en parler depuis des années, mais je n’ai jamais compris : c’est quoi, au juste, une femme ? »
Du coup, c’est l’intello du groupe, Alex, qui s’est chargé de lui expliquer. Il a commencé par Rousseau (non Sylvain, pas la chanson de la Compagnie Créole), puis Socrate (non Sylvain, pas le footballeur), Platon (non Sylvain, pas le film), et terminé par Freud (non Sylvain, pas le copain d'Omar). Un mauvais choix, soit dit en passant, puisqu’Alex nous a certifié que selon ses propres conclusions qui sont forcément justes parce que « merde c’est qui la tête ici hein bordel moi j’ai été accepté à HEC et à Polytechnique alors quand je parle j’ai forcément raison », Sylvain serait attiré par sa sœur mais aimerait coucher avec sa mère et se faire tripoter par son père, c’est obligé.

Finalement, une fois le dîner terminé et une fois expliqué au baby-sitter que ma femme et moi l’avions fait venir pour garder nos filles et qu’il était hors de question qu’il vienne avec nous même si on a l’air de drôlement s’amuser, nous sommes allés dans un bar de Versailles pour rencontrer quelques lecteurs qui ont bravé la nuit pour venir nous rencontrer.
L’occasion de boire un coup jusqu’au bout de la nuit, de faire la fermeture du bar et de rentrer pour trouver le baby-sitter étalé sur le canapé en train de dormir pendant qu’un film de poneys tournait en boucle à la télé. Il est bien, ce petit jeune.
En tout cas, cette sympathique rencontre avec les lecteurs fut une jolie rencontre. Elle n’appartient désormais qu’à nous. Hé oui. Il fallait être là pour entendre les différentes anecdotes que l’équipe a pu leur raconter, les verres qui s’entrechoquent pour trinquer, et savoir si oui ou non, Stéphanie existe bel et bien…