Publié le Dimanche 10 novembre 2013 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Souvenirs d'Halloween

Hier, c’était Halloween.
Non, c’est bon, je n’ai pas un problème de calendrier. Ni d’alcool. Enfin pas si tôt dans la journée. Je sais bien que c’est le 31 octobre et que, aujourd’hui nous sommes le 10 novembre. Du coup, hier, ça n’était pas « vraiment » Halloween. Mais ça l’était quand même. Du moins dans mon village. Le Comité des Fêtes organisait la tournée des maisons afin de permettre aux dentistes de mieux travailler en cette fin d’année, puisque les gamins sont revenus chacun avec un ou deux kilos de bonbons.

En qualité de bon père de famille, j’ai fait avec mes filles la tournée des bonbons.
Ma fille cadette n’a pas encore l’âge de se grimer en gothique ou de s’affubler de fausses dents sanguinolentes. Elle avait donc opté pour une robe de princesse Disney, Rebelle en l’occurrence. Mais sans l’arc que leur mère a confisqué depuis que j’ai tué le chien du voisin.
L’aînée, elle, s’était déguisée en… chauve-souris. Oui moi aussi, je n’ai pas bien compris. Mais dans le doute, j’ai laissé faire. Elle est à un âge où il faut éviter de trop la perturber. Je lui ai juste demandé de fermer la bouche si elle avait envie d’aller aux toilettes. Elle a donc enfilé un grand poncho gris et agitait les bras comme s’il s’agissait d’ailes, tout en faisant « houhou ». A bien y réfléchir, finalement, je me dis qu’un croisement de hibou et de chauve-souris, ça doit effectivement faire peur.

Parce qu’il n’y a pas de raison, moi aussi j’avais décidé de me déguiser. J’avais donc enfilé un long manteau, mis un masque de gardien de hockey sur glace, et pris ma batte de baseball sous le bras. Au moins, l’avantage, c’est partout où l’on passait, on n’avait pas de concurrence. Dès que les autres gamins m’apercevaient, ils partaient en courant et en hurlant.

C’est ma femme qui m’a fait remarquer, en fait, qu’à Halloween, on sonne chez les gens en disant « Des bonbons ou un sort ».
« Ah », j’ai répondu.
« Oui », elle m’a dit. « Parce que quand tu leur dis "La bourse ou la vie", tu leur fais peur ».
« Ah », j’ai répondu. « C’est pour ça qu’en fait, à la place des bonbons, j’ai six portefeuilles, trois colliers de perles et deux dents en or ».
« Oui », elle m’a dit. « Mais ne fais pas l’innocent, je t’ai vu, les dents en or ne sont pas tombées toutes seules ».
« Ah », j’ai répondu. « J’fais quoi alors, j’vais leur rendre ? ».
« Non », elle m’a dit. « En plus, remettre une dent, parfois, ça fait plus mal que de l’arracher ».
« Justement », j’ai répondu.
« Non », elle a dit. « Maintenant, tu arrêtes et tu demandes des bonbons toi aussi sinon on va encore se faire mal voir dans le voisinage ».

Finalement, la récolte a été bonne. Mes filles sont revenues avec un gros sachet d’environ un kilo de bonbons chacune. Que nous distribuerons avec parcimonie pendant les six prochains mois.
Moi, j’ai eu un peu plus de chance. J’ai ramené 6 kilos. Mais j’ai un peu triché, j’ai demandé gentiment à quelques gamins que l’on a croisé sur la route de m’en donner un peu, au son de « des bonbons ou un coup de batte de baseball dans ta tête ».
De toute manière, hein, ce n’est qu’un avant-goût de leur avenir. Au collège, ils se feront racketter autrement plus durement, et piquer leurs téléphones, leurs baskets et leur argent de poche. Alors autant les habituer dès maintenant. Même s’ils ne sont qu’en maternelle.

Alors je sais, vous allez me dire que c’est mal de menacer de frapper les tout-petits. Que je suis un monstre. Que je n’ai pas de morale. Mais déjà, c’est quand même moins stupide que de tenter de racketter les gros balèzes, hein. Des Robins des Bois qui sont plein de condescendance envers les faibles et ne s’attaquent qu’aux puissants, y’en a plein les cimetières.
Ensuite, c’est plus facile de récupérer les sachets des gamins une fois qu’ils ont fait tout le boulot. Parce qu’on ne sait jamais sur qui on peut tomber.
Tenez, Stéphanie (je vous ai déjà parlé d’elle ?), si je sonnais chez elle déguisé de la sorte, avec un masque de hockey et une batte de baseball, elle me sauterait dessus en hurlant « oh oui grand fou, viens, entre, oh oui, entre tout en moi, je vais t’apprendre d’autres jeux bien plus amusants avec ta batte de baseball, vas-y, je suis ta chose, sois mon Jason, je serai ta toison d’or, oh oui oh oui oh oui ».
Faut toujours se méfier des mères de famille délaissées chez qui l’on sonne pour un caramel et qui vous mettent sous le nez un petit berlingot.

Sur ce, je vous laisse. J’ai de la cuisine à faire. Ce midi, c’est spaghetti bolognaises maison. Et non, ce n’est pas une recette traditionnelle familiale. Ce n’est pas parce que l’on s’appelle Gasperini qu’on mange des pâtes et des pizzas à chaque repas. En plus, moi, ce que je préfère, c’est une bonne blanquette de veau. Ou alors un poulet « à ma façon ». C’est-à-dire qu’une fois que tu as plumé le poulet, tu le fourres avec un mélange de biscottes ou pain rassis, de lardons, d’herbes, de crème fraîche et d’oignons.
Et seulement après, tu le tues.