Publié le Dimanche 24 mars 2024 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Tic, Toc, Tic, Toc...

On met souvent en avant la profusion de contenu pour expliquer ou plutôt pour justifier que les gens soient perdus sur Internet.
Tellement de choses à voir. Tellement d’informations. Tellement de contenu. Tellement de sites. Tellement de sujets. Tellement de vidéos. Tellement d’avis. Tout et son contraire. Il y a de quoi ne plus retrouver son chemin, tant il y a de petits cailloux blancs laissés çà et là…

Si l’on s’en tient à ce point de vue, c’est sûr. Le montagne semble infranchissable. La forêt impénétrable. L’océan insondable. Le haggis immangeable.

Mais c'est faux. Ce n'est pas un problème de quantité. Juste de choix. Parfaitement. De choix et… de discernement.
 
Je veux dire, je ne suis jamais entré dans une bibliothèque pour en ressortir terrorisé parce que trop de livres, trop de documents, trop de mots, trop d'images... trop d'informations.
Je ne suis jamais allé dans un magasin culturel à courir entre les rayons pour regarder toutes les BD, lire les premières pages de tous les livres, écouter toutes les chansons de tous les CD ou tester tous les matériels hi-tech proposés…

Non. Je jette un œil à ce qui m’intéresse. Je flâne. Je regarde les conseils des vendeurs. S’ils m’intéressent, je vais plus loin et je regarde le produit plus en détails. Si la couverture, le titre ou l’auteur d’un livre m’interpelle, je le parcours brièvement et, si le résultat est concluant, je me l’offre…

Et en fait, j’utilise Internet de la même manière. Je vais voir ce qui me plait. Certains sites m’entraînent sur d’autres. Mais je ne clique pas à outrance sur des choses qui ne m’intéressent pas. Pourtant, Dieu sait si je suis extrêmement curieux et avide de découvrir de nouvelles choses, même inutiles. Je pourrais vous en redire sur la reproduction du poulpe, le marché noir durant l’occupation, l’étymologie du mot Anathème, la vie de l’inventeur du Tramway, John Stephenson, ou même le créateur de la couleur la plus blanche au monde, Xiulin Ruan. Plein de trucs qui ne me serviront sans doute jamais à rien.
Mais la manière dont la jeune génération utilise Internet et l’accès à l’information, voire l’accès aux loisirs, m’interpelle vraiment.

Je me suis amusé cette semaine à jeter un œil par-dessus l'épaule de mes voisins dans les transports en commun pour voir ce qu'ils regardent sur leur smartphone. Ce qui est, nous en conviendront tous, leur occupation favorite.

Trois mecs qui courent. Filmé façon Parkinson, enchaînement frénétique de plans , durée 7 secondes. Il ne se passe rien d'autre. Vue 3 fois.

Un nageur qui fait des moulinets avec ses bras. Gros plan sur la marque de son bonnet. Il plonge. Il fait trois brassées. Gros plan sur sa tranche. Durée 5 secondes. Vue 4 fois.

Une fille mange des nouilles. Elle a l'air d'aimer ça. Durée 4 secondes. Vue 3 fois.

Un type marche dans la rue. Il glisse mais se rattrape à un lampadaire. Durée 7 secondes. Vue 6 fois.

Une fille se met du vernis incolore sur les ongles. Elle a l'air contente. Durée 6 secondes. Vue 1 fois.

La même fille que précédemment mange un ersatz de croissant. Elle a l'air d'aimer ça. Durée 6 secondes. Vue 7 fois.

Un pas en avant, demi-tour, déhanché, bras droit en l'air, demi-tour, un pas en arrière, déhanché, bras gauche en l'air, pas en avant, demi-tour... une fille fait une chorégraphie d'une qualité rarement vue autre part qu'à une kermesse d'école maternelle. Durée 18 secondes. Vue 4 fois.

Mais le mieux, quand même, le plus exceptionnel, le plus formidable… bref, le plus consternant et ridicule, ça reste ces vidéos dans lesquelles un message pseudo-philosophique, digne des discussions de comptoirs entre deux types bourrés dans un bar miteux d’une campagne paumée, est asséné à grands renforts de sérieux et de fautes d’orthographe.

Un ado se passe la main dans les cheveux, tandis que la caméra fait une contre-plongée. Le message s’affiche à l’écran : « Quand le soleil brille dehors, il brille aussi pour toi ». Vue 4 fois.

Une fille se filme dans ce qui semble être une nouvelle robe. Elle fait une bouche en bec de canard. Le message s’affiche à l’écran : « Les larme vienne de nos cœur, pas de nos serveaus ». Vue 5 fois.

Une fille se filme en gros plan. Des cœurs défilent sur l’écran. Le message : « Peu importe ou je suis allez je savez que mon chemin me ramenerez à toi tu es mon étoile boussolle ». Vue 3 fois.

Une vidéo de mer avec un coucher de soleil. Le message s’affiche à l’écran : « on es d’accord que se retenir de pleurer fai plus mal que pleurer ? » Vue 2 fois.

Un dessin d’un mec dans un lit. Le message s’affiche à l’écran : « As-tu déjà ressenti se sentiment lorsque t’es assis seul dans ta chambre ? Tu pense à ta vie, à tes erreur tu ne pleur pas tu sent juste un immense vide a l’intérieur de toi et tu te demande ce que t’a fait de mal… ». Vue 2 fois.

Les fautes d’orthographe sont authentiques. Les citations aussi.

Finalement, c’est un peu comme s’ils passaient le plus clair de leur temps libre devant un mélange de vidéo gag et de brèves de comptoir. Pas de quoi, à force d’y passer un temps dingue, en sortir grandi.
Et je me dis au final que les footballeurs ont peut-être été les grands philosophes de notre époque, en avance sur leur temps et les réseaux sociaux, et que leurs grandes citations qui nous faisaient tant rire ne seraient plus aussi ridicules si elles étaient lâchées aujourd’hui.  

Alors forcément, pour en avoir parlé avec ma gamine, la plus jeune, elle m’a expliqué qu’elle, elle « likait » des jolis paysages, des belles tenues, des actrices ou acteurs qu’elle aime bien… mais en farfouillant dans sa « story » (avec son accord, bien entendu), je suis quand même tombé sur des gens qui se filment en train manger des nouilles ou des beignets et quelques citations à la mords-moi-l’nœud. En très grande minorité, certes, mais quand même.

Pour la remettre à niveau question citations, j’lui ai filé un San Antonio à lire.