L'Edito du Dimanche

 

Publié le Dimanche 18 février 2024 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Héroïque !

imageJe me suis éclaté la jambe au ski. Je ne peux plus marcher et ça fait trois jours que la douleur m’empêche de dormir. Demain, je dois prendre la voiture pour 3h de route…

J’aurais dû me méfier. Quand le destin te vomis dessus, complètement bourré, et que l’odeur s’imprègne dans tes vêtements, tu sais qu’il faut lever le pied et te faire discret face aux événements de la vie. Parce que la semaine avait très mal commencé. Des bouchons irréels sur la route. 14h de trajet au lieu de 6h, et une arrivée sur station sous la neige. Ça roulait encore. Le temps de décharger les bagages, ça ne roulait plus, ça glissait. Et il fallait mettre la voiture en sécurité sur une place de parking dans une station qui, bien entendu, n’en a pas assez. Heureusement, j’avais amené des chaînes. Impossible à mettre parce que pas la bonne taille. Quand on est con…
Heureusement, j’avais amené des chaussettes à neige. Impossible à mettre parce que pas la bonne taille. Quand on est vraiment con…

Ça s’est terminé à une heure du mat’ avec une dépanneuse.

Cela dit, on a eu beau temps. Il n’avait pas neigé depuis 3 semaines et donc cet épisode qui fut tragi-comique pour moi a quand même permis de déposer sur les pistes une fine pellicule fraîche idéale pour le ski. Un régal.

Jusqu’à jeudi.

imageJeudi matin, alors que je slalomais avec brio et élégance entre les bosses, cheveux au vent, ou du moins, cheveux au vent si j’en avais eu, avec un style certes inhabituel mais non dénué d’éclat, j’avisais en contrebas les prémices d’un drame : une jeune enfant de 3-4 ans dont la mère venait de chuter, continuait sa descente sans faire attention et passait sous les filins de sécurité pour se diriger vers un précipice rocheux dont la jeunette n’en sortirait à coup sûr pas indemne. Voire n’en sortirait pas du tout.
N'écoutant que mon courage, ma bravoure et mon héroïsme exacerbé par des années de jeu vidéo, je me lançais à sa poursuite, me couchant en arrière pour passer moi aussi sous le filet de sécurité, dérapant sur la crête avec fureur et splendeur, dans l’espoir de sauver cette pauvrette promise à un triste sort. Dans un mauvais film, je me serais vautré comme une merde, j’aurais raté la gamine et nous aurions basculé tous deux dans l’abîme pour terminer, elle comme viande pour chat, moi comme sosie de Michael Schumacher.
Mais la vie, parfois, est un bon film. Je l’ai rattrapée par le pied au moment même où elle tombait dans le vide et l’ai jetée, littéralement, sur un tas de neige fraîche, en sécurité. Tout aurait pu s’arrêter là et j’aurais continué mon chemin sous les vivas de la foule et l’admiration renouvelée et sans borne de ma chère, tendre et aimante épouse qui avait assisté à toute la scène.

imageDans ma glissade, mon ski gauche s’est emmêlé dans un filet et ma course a été brutalement stoppée, nette, violemment, disloquant ma jambe dans un bruit qui ne fut pas sans rappeler la satisfaction de la cuisinière qui vient de trancher un os pour son pot-au-feu.

J’ai tout de même terminé la descente, sur un pied, avant de m’écrouler, arrivé au bas des pistes, pour ne plus pouvoir me relever.

Saison de ski terminée. Avec héroïsme, certes, parce que j’ai sauvé la vie d’un enfant. Mais saison de ski terminée quand même.

Vous allez me dire que c’est un moindre mal face à la fierté d’avoir sauvé une vie. Vous allez peut-être même me regarder différemment maintenant. Mais je n’ai jamais voulu aucun honneur, aucune récompense, aucun panégyrique et n’en veut pas plus aujourd’hui. J’ai fait ce que n’importe qui aurait fait. Ou aurait dû faire, en tout cas.









imageC’est à ce moment-là que ma chère, tendre et aimante épouse, qui lit pour une fois mon édito par-dessus mon épaule, me demande d’arrêter mes conneries et de dire la vérité, à savoir que j’ai simplement trop forcé comme un con sur ma jambe gauche parce que je skie comme une grosse patate. Et c’est à tel point que le muscle est parti en vrille et me cisaille de douleur depuis 3 jours, m’empêchant de dormir, de marcher, de porter ma carcasse vieillissante.

Oui mais franchement, le coup de la petite fille, c’était plus classe, non ?

En tout cas, je vous l’ai dit, quand le destin a trop picolé, il vous garde une gueule de bois en réserve. Et en attendant, je me traîne comme une limace gluante, incapable d’enfiler un falzar ou d’aller pisser tout seul. Une sorte d’avant-goût de ma future sénilité.

Là, tout de suite, j'ai envie de mourir de honte.

 

 
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