Publié le Dimanche 4 février 2024 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Chandeleur

Cette semaine, quelqu’un m’a dit qu’il m’admirait. Moi, ma personnalité, ma culture, mes savoir-faire, ce dosage – pas toujours équilibré – de déconnade et de sérieux, d’astuce et d’espièglerie bien mieux que dans la vie de Candy, parce que dans mon pays aussi, on s’amuse et on rit.
Cette déclaration d’admiration m’a un peu pris de cours et j’ai bafouillé quelques excuses inappropriées doublées d’un « faut pas » emprunt de gêne et de modestie.

Sur le chemin du retour, ça m’a fait un peu gamberger. Non pas façon « melon » à me dire que oui, j’étais formidable, exceptionnel et que je devrais être un exemple pour tous. Non, ça, je le sais déjà. Mais en me disant que la vie des gens, en fait, est souvent terne et triste. Et, finalement, ils admirent ceux qui sont plus enjoués. Ils les admirent quand ils ne les détestent pas au point de les fustiger, soit dit en passant.

Enfin bref. Ce petit coup de flatterie a quand même permis à mon égo de se sentir revigoré pour un temps – un temps seulement – à tel point qu’une fois revenu chez moi, j’ai décidé de faire des crêpes. Un excès de confiance, sans doute.

Oui, parce que si vous suivez depuis longtemps ces innombrables éditos dominicaux (plus de 800 à l’heure actuelle), vous devez savoir que mes sessions de « crêpes party » se terminent toujours mal, à tel point que même si elles aiment ça, ma chère, tendre et aimante épouse ainsi que mes filles m’interdisent désormais d’en faire.

Non pas que les crêpes sont mon talon d’Achille culinaire, mais comme c’est long faire… très long… très très long… très très très long… comme cette phrase, et qu’avec une seule poêle à crêpes, impossible de cuisiner à plusieurs pour plus de fun et de partage, je me retrouve tout seul devant la cuisinière à enquiller les sautages de pâte pendant longtemps… très longtemps… très très longtemps… très très très longtemps… comme cette phrase, et pour noyer mon impatience, je me serre un petit verre de whisky, puis un deuxième, puis un troisième… et les dernières crêpes ne ressemblent plus à rien, sans oublier la cuisine qui se transforme en champ de bataille. Mais c’est surtout le fait que je termine à poil en train de faire l’hélicobite en chantant du Aya Nakamura debout sur la table qui semble déranger ces dames. Après, ce n’est pas de ma faute, j’avais oublié qu’on avait du monde à la maison ce jour-là.

Enfin bref. Revigoré par les compliments et la confiance gonflée à bloc, j’ai décidé de me lancer dans une autre plâtrée de crêpes mais, cette fois-ci, sans boire la moindre goutte, promis, juré.

J’ai préparé mon saladier – bien plein – de pâte. J’ai fait chauffer la poêle. J’ai fait une première crêpe. J’ai fait une deuxième crêpe. J’ai fait une troisième crêpe. J’ai fait une quatrième crêpe. J’ai fait une cinquième crêpe. J’ai fait une sixième crêpe. J’ai fait une septième crêpe. J’ai fait une huitième crêpe. J’ai fait une neuvième crêpe. J’ai fait une dixième crêpe. J’ai fait une onzième crêpe. J’ai fait une douzième crêpe. J’ai fait une treizième crêpe. J’ai fait une quatorzième crêpe. J’ai fait une quinzième crêpe… c’est chiant, hein ?
C’est aussi ce que je me suis dit, alors j’ai commencé à faire une crêpe en forme de bite. Puis une deuxième. Puis une troisième. Je me suis dit que j’avais assez de bites pour une partouze de crêpes et je suis revenu à du classique. J’ai fait une seizième crêpe. J’ai fait une dix-septième crêpe. J’ai fait une dix-huitième crêpe. J’ai fait une dix-neuvième crêpe… A la vingtième, je me suis dit que je pouvais quand même me servir un verre parce que bon, il faisait chaud et de toute façon, d’accord j’avais juré, mais j’avais croisé les doigts. J’ai donc ouvert une bouteille toute neuve de Whisky qui traînait… euh… pas loin… mais de toute manière, y’a toujours une bouteille de Whisky qui traîne pas loin chez moi.

De fil en aiguille, de crêpe en gorgée, de crêpe en verre – allez encore un petit mais c’est le dernier -, j’ai réussi à finir le saladier sur une bonne cinquantaine de crêpes, plus trois bites et un pancake parce que la dernière, ça me gonflait donc j’ai versé la fin du saladier dans la poêle.

Et puis pour fêter ça, je me suis servi un verre et comme ça, hop, on finit la bouteille histoire d’aller la jeter dans la poubelle de verre et ainsi personne ne saura que j’ai bu un petit coup pendant que je faisais les crêpes, ni vu ni connu j’t’embrouille.

En fait, je me suis réveillé le lendemain matin les jambes sur la table, la tête sur la chaise le cul à l’air – mais avec mon t-shirt ! -, deux crêpes qui pendouillaient sur le lustre, une autre collée sur la télé, de la confiture étalée sur le mur du salon, tous les paquets de sucre en poudre répandus sur le sol (à mon avis, j’ai eu une envie de plage) et le chat des voisins dans le four. Bien vivant, mais enfermé dans le four. Et à moitié épilé à la cire (je le sais, il lui en restait des bouts).
Je pense que ma chère, tendre et aimante épouse a dû rentrer et, n’adhérant pas avec mon dosage de déconnade et de sérieux – je vous ai prévenu qu’il n’était pas toujours équilibré – ni avec mon astuce et mon espièglerie, est partie se coucher en me laissant terminer ma soirée crêpes tout seul. Oui mais bon, hein, c’est sa faute aussi, si elle buvait un peu plus, elle aurait pu répandre tous les paquets de farine sur la table et les étagères pour faire la neige. Comme ça on aurait eu la plage et la montagne dans notre salon.

En tout cas, je ne vous raconte pas l’ambiance à la maison. J’ai tout nettoyé, libéré le chat, remis tout le salon et la cuisine nickel d’aplomb, mais tout le monde me fait la gueule.

Pour me faire pardonner, demain, je leur ferai des pancakes à la banane. Un plein saladier de pâte à pancakes.