Publié le Dimanche 18 décembre 2022 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

J'aurais fait un fabuleux Père-Noël

Hier, j’ai fait pleurer une petite fille au supermarché. N’allez pas vous imaginer que je suis un monstre qui se délecte des larmes des enfants des autres. Je n’ai rien fait pour qu’elle se mette à crier et à pleurer. C’est justement pour ça, d’ailleurs, qu’elle l’a fait. J’attendais patiemment dans la queue d’une caisse de supermarché et cette petite fille, assise sur le caddie, me regardait. Donc je l’ai regardée aussi. Et c’est fou, mais quand on regarde un enfant sans sourire, fixement, au bout d’un moment, le malaise s’installe chez lui et il se met à pleurer. Ça marche à chaque fois. Enfin, avec moi tout du moins. Un regard fixe, les yeux dans les yeux, pas de sourire, et paf, ça chiale direct.

Bon. Quand je dis que je n’ai rien fait pour qu’elle se mette à crier et à pleurer, en fait, à bien y réfléchir, la regarder fixement sans rien faire… c’est déjà faire quelque chose. Mais attention ! Je ne me suis pas délecté de ses pleurs !

Enfin… euh…

Sur le coup, j’ai eu un peu de remords. Mais le père de la môme, que j’avais déjà croisé au rayon fromage à la coupe, avait traité avec un flagrant mépris la vendeuse et remettait ça avec la caissière. Donc j’en ai eu un peu moins, de remords. Forcément. Et j’en ai profité pour lancer un regard d’immonde salopard. Mais si, vous le connaissez, ce regard. Ce regard qui signifie « si ta fille pleure, c’est que tu ne sais pas t’en occuper, t’es un mauvais père, tu devrais avoir honte » que les abrutis vous lancent systématiquement quand votre gamin pousse une beuglante dans un train, un avion ou, ici, dans un supermarché. Et comme j’étais avec la mienne, de fille, qui n’est heureusement plus en âge de pleurer, j’ai ajouté un « nous, on a eu de la chance, ta sœur et toi vous n’avez jamais, mais alors jamais pleuré dans un supermarché. » Ce qui n’est pas vrai, bien entendu, mais quand on décide d’incarner un immonde salopard, soit on y va à fond, soit ce n’est pas la peine de jouer.

Bon, en fait, vous avez raison. Je suis un monstre.

Je me souviens de cette anecdote, d’ailleurs, en cette période de fêtes… Dans un moment de perdition ultime, une amie m’avait expliqué que pour le Noël des enfants du village, ils n’avaient pas de Père-Noël. Et de me demander si je voulais enfiler le costume.

Honnêtement, moi j’étais chaud. Quand je peux rendre service, vous me connaissez, je n’hésite pas une seconde.

C’est ma chère, tendre et aimante épouse qui est venue à la rescousse de notre amie et qui, par-là, a sans doute sauvé la santé mentale de toute une génération de bambins :
« C’est à Cedric que tu demandes ça ? Vraiment ? Tu as bien réfléchi ? A Cedric ? Celui qui, dans les supermarchés, s’amuse à faire brailler les enfants pour, je cite, savoir si ça marche toujours (ndr : je vous assure que c’est un don) ? Celui qui a menacé à une fête d’école un gamin turbulent de lui ouvrir le ventre avec un ongle et de lui manger les intestins ? Celui qui, dans une soirée organisée par des amis et qu’il avait très largement arrosée depuis des heures, a demandé à une gamine si elle avait été adoptée parce qu’elle était moche alors que sa mère, il lui aurait bien mis une cartouche ? Tu es vraiment sûre que c’est à lui que tu veux demander ? »

Et c’est ainsi que ma carrière de Père-Noël est morte dans l’œuf.

Moi j’suis certain que j’aurais fait un Père-Noël du tonnerre. J’aurais promis des poneys et des licornes, des tas de bonbons, j’aurais promis des consoles, les derniers smartphones, j’aurais promis des litres de peinture, des garages entiers de petites voitures, j’aurais promis tout ce que les gamins auraient demandé.

Et j’aurais ajouté « si tu l’as pas à Noël, mets le feu au tapis du salon. »