Publié le Dimanche 16 octobre 2022 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Bilan de compétences

Jeudi dernier, je fêtais mon anniversaire. Enfin, je fêtais… le mot « fête » est un brin exagéré. Pas un gâteau, pas une bougie, pas un cadeau… Et si je m’en réfère au nombre de personnes qui me l’ont souhaité, je me rends compte que plus les années passent, moins j’ai d’amis.

C’est peut-être l’heure d’une remise en question. Après tout, il n’est jamais trop tard. Et je dois avouer qu’aux vues de cette journée loin d’être faste et lumineuse, un changement est sans doute nécessaire. Tenez, par exemple, mon facteur. Hier, il me livrait un colis. Aujourd’hui, j’apprends qu’il a donné sa démission pour partir élever des moutons en Ardèche. Radical. Alors ma chère, tendre et aimante épouse me dit que ça a peut-être à voir avec les travaux que j’étais en train de faire au moment où il a sonné. Je lui ai ouvert, la perceuse à la main et la poudre de brique dégoulinant rougeâtre sur mon front en sueur. Moi j’étais content de recevoir mon colis. Je l’ai même remercié d’un ton enjoué : « Chouette, ce sont les bâches en plastique que j’ai commandées ! ». En plus, elles sont tellement résistantes qu’on pourrait torturer un type dessus sans les percer. Ça aussi je lui ai dit. Enfin bref. Moi je crois surtout que mon facteur, c’est un type qui est allé au bout de ses rêves et puis c’est tout. Et s’il rêvait d’élever des moutons en Ardèche, qui sommes-nous pour juger ?

C’est peut-être la crise de la quarantaine, allez savoir. Mais je me dis qu’il est peut-être temps aussi, pour moi, de changer d’air. De changer de destination. De suivre enfin mes rêves. De suivre ce à quoi j’aspire depuis toujours. Ce pour quoi j’étais destiné depuis le début, que je sens au plus profond de mon être.

Sauf que je n’en sais foutre rien, moi, de ce à quoi j’étais destiné depuis le début.

Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais cloué un chien sur une planche, je lui aurais taggé différents métiers sur les poils et j’aurais tiré aux fléchettes pour que le hasard m’indique quelle voie suivre. Le problème, c’est que le dernier chien du voisinage a été renversé par un chauffard pas plus tard que la semaine dernière. Et je n’avais même pas fait exprès, en plus.

Finalement, pour trouver ma voie, et sur les conseils de ma chère, tendre et aimante épouse, je me suis décidé à faire… tadaaaaaam…. Un Bilan de Compétences… tadaaaaaaaaaaam !

Je mets des « tadaaaaam » pour que ça fasse « gros truc important », notez bien. Même si perso, j’y suis allé décontracté. J’ai mis mon beau t-shirt licorne rose et je me suis rendu à l’entretien dans un célèbre cabinet de ressources humaines.

On m’a présenté « ma coach », une jeune femme d’une trentaine d’années, habillée au carré, rien qui ne dépassait, pas même une mèche de cheveux. Ça a commencé par un entretien avec questions.
« Êtes-vous satisfait de votre emploi actuel ? »
-    Quel emploi ?
« Avez-vous envie de changer de métier ? »
-    Ben sinon, je ne me serais pas fait chier à faire 50 bornes en bagnole, en pleine pénurie d’essence…
« Avez-vous besoin de nouveaux challenges ? »
-    Oui, c’est bien, ça, des nouveaux challenges.
« Seriez-vous partant pour suivre une formation ? »
-    Je me forme quand vous voulez, pas de souci. J’aime bien ça, moi, les formations.
« Avez-vous confiance en vos capacités ? »
-    Ben ça dépend. SI vous me demandez de découper un poulet, un canard, un bébé ou même un lapin, j’sais faire, pas de problème. Par contre, en ménage, j’suis nul. Jamais foutu de passer l’aspirateur correctement. Pareil, je peux vous abattre un arbre sans souci, à la batte de baseball, mais plier mon linge, j’suis une vraie quiche. Je peux tenir une conversation en ukrainien, pas de souci, mais par contre, en portugais, pas possible. Notez, je n’ai appris aucune des deux langues. Mais je préfère la vodka à la sangria, ça explique. J’suis imbattable pour dégommer un chat ou un voisin au lance-pierres, par contre, jamais réussi à faire une putain de natte dans les cheveux de mes filles. Faut dire, niveau cheveux, j’ai pas de quoi m’entraîner. Pendant qu’on parle coiffure, je sais très bien tatouer, surtout avec des clous, mais jamais réussi une bonne sauce de salade. Alors que niveau cuisine, je touche ma bille, surtout en maçonnerie. Le ciment, le plâtre, le mortier, pas de souci tandis que les créneaux, ça m’emmerde, mais à un point… j’suis bon conducteur, hein, mais les créneaux, je déteste.

J’ai vu à un moment que je l’avais perdue. Elle a continué à poser des questions, mais j’ai bien senti qu’elle ne savait plus quelle case cocher sur son papier :

« Avez-vous envie de consolider vos compétences ? »
-    Faut voir. Là, par exemple, en venant en voiture, y’avait un faisan sur le bord de la route. Il a traversé au moment où je déboulais. Je n’allais pas trop vite, donc j’ai donné un petit coup de volant, tranquille, juste ce qu’il faut.
« Vous l’avez évité ? »
-    Ah ben non, justement. J’lai chopé avec maestria. Juste la tête. Comme ça, le corps est intact. Y’a plus qu’à plumer. Il est dans mon coffre, si vous voulez voir. Et puis juste après, y’avait deux cyclistes au bord de la route, qui ont décidé de traverser au moment où je déboulais… Je n’allais pas trop vite, donc j’ai donné un petit coup de volant, tranquille, juste ce qu’il faut. Je me suis dit « c’est la journée »… Enfin bref, consolider mes compétences, ce serait quoi ? Ajouter un pare-buffles sur ma voiture ?

J’ai eu le droit à plein de questions. Sur ma créativité, sur mon rapport aux autres, sur l’importance de donner du sens à mon travail, ou sur l’importance du dialogue pour désamorcer les conflits, par exemple.

Au bout d’un moment, c’est un coach masculin qui a pris le relais, sous prétexte que sa collègue ne se sentait pas bien. Et puis en plein milieu du questionnaire, il est parti vomir, et j’en ai eu un autre. Bref, j’veux pas dire du mal, mais à mon avis, y’a une contamination COVID là-dessous.

Au final, ils ont dit qu’ils me rappelleraient, s’ils trouvaient un métier qui puisse mettre en avant les compétences « lance-pierres, batte de baseball, découpe, violence gratuite, mortier, maltraitance animale ». Sachant que j’ai dépassé l’âge légal pour faire flic ou CRS et que de toute manière, je n’ai pas le profil : plutôt m’arracher les testicules avec du fil barbelé que d’embrasser l’idéologie nauséabonde du RN.

En tout cas, j’vous tiendrai au courant à propos mon futur nouveau métier.