Publié le Dimanche 24 octobre 2021 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
L'Edito du dimanche
TRAHISON !

Bon, ok, je suis capable de décrocher mon téléphone et appeler un prêtre pour qu’il me donne l’extrême-onction quand je me retourne un ongle ou que je m'entaille légèrement le doigt avec un épluche légumes. Mais pour les vrais trucs, bien douloureux, je brave la douleur tel John Rambo recousant son artère avec une aiguille de pin et un poil d’écureuil.
Seulement tout aussi résistant puis-je être, certaines douleurs sont tellement intenses, tellement puissantes, tellement profondes aussi, que même le plus endurci des hommes ne peut réprimer un hurlement. Un cri effroyable, presqu’inhumain, témoignage de l’horreur la plus terrible, la plus impensable, la plus terrassante aussi.
J’ai connu cette douleur.
Une douleur amplifiée par l’odeur fétide et révulsante de la trahison. Oui, j'ai été trahi au plus profond de mon être. Au plus profond de mon âme.

« Ah, je vais enfin l’avoir, cette turlute festive » ai-je pensé immédiatement. « A moins qu’elle n’ait invité une copine à dormir ce soir à la maison ». « Ou les deux ». « Ouais, c’est ça, ça doit être les deux ». « Ou alors une bonne bouteille de whisky, avec un bon cigare ». « Bon, je ne fume pas le cigare ». « Mais comme disait mon ami Bill Clinton, un cigare, si on ne le fume pas, on peut faire plein de trucs chouettes avec ». « Bon, sinon, hein, même une petite bouteille de whisky ça m’ira ». « Même une mignonette ».
Raté.
« Pour ton anniversaire, j’ai décidé de nous faire un cadeau pour moi » m’a-t-elle lancé. « Fais tes valises, on se fait un week-end au SPA ».
Alors j’ai répondu que perso, j’voulais pas de chien, ni de chat, et encore moins passer un week-end au milieu d'animaux de compagnie qui, à mon avis, n'allaient pas vraiment aimer la mienne.
Il lui a fallu un petit temps de réflexion pour comprendre.
« Non, pas S.P.A., mais SPA. Un centre de beauté et de remise en forme, quoi. La beauté, c’est pour moi, quant à la remise en forme, ça ne te ferait pas de mal, tu verras, ça te fera du bien, ton corps te dira merci ».

J'allais vraiment répondre ça, hein, mais en fait, j’ai fermé ma gueule et j’ai fait mes bagages. J'avoue, je suis faible. J’ai même promis d’être sage, de bien me tenir et de m’abstenir, surtout, de lui faire honte. Comme si j'avais déjà fait honte à qui que ce soit. Mais bon.
C’est comme ça que je me suis retrouvé dans un hôtel SPA cinq étoiles.
On est arrivé à l’heure du dîner. Comme la sagesse populaire le dit ; avant l'effort, le réconfort. Et je le dis souvent : il faut toujours écouter la sagesse populaire. Du moins, les fois où ça m'arrange.
Avant le SPA, nous sommes donc allés au restaurant, étoilé Michelin s'il vous plait, de l'hôtel. Il était complet mais le concierge a quand même réussi à nous trouver une table. Sans même que j'aie à le menacer. A peine ses enfants.
Nous nous sommes donc mis sur notre trente et un pour dîner. Ma chère, tendre et aimante épouse a enfilé la panoplie parfaite de la dame chic et sexy, très très sexy même, et j'avoue que je n'étais pas mal non plus, avec ma cravate. Bon. Comme elle n’allait pas trop avec mon t-shirt « Keep Calm and Helicobite », je l’ai mise dans ma poche. Mais j'avais une cravate sur moi quand même.

Je me targue d'ètre un fin gourmet. Et d'ailleurs, plein de trucs me tentaient grave. Sauf que ce soir-la, j'avais envie de frites. Des fois, faut pas chercher. Et comme dit la sagesse populaire, quand t'as envie, t'as envie. Enfin, ce n'est peut-être pas la sagesse populaire, mais plutôt mon pote urologue. Et ça ne change rien au fait que j'avais envie de frites.
Le serveur m'a répondu avec dedain que non, monsieur, on n'a pas ca chez nous et ma femme a rajouté que sil te plait, ce n'est pas le lieu ni le moment de faire un scandale. Moi j'ai répondu que bien entendu, je n'allais pas faire de scandale, que ce n'est pas mon genre, du tout, que jamais je ne fais de scandale, mais mettre le feu, par contre, je peux faire sans problème.
Finalement j'ai mangé des frites. Ils ont même réussi à me trouver du Ketchup.
Bref, tout allait bien dans le meilleur des mondes.

J'ai été catégorique : « Faire le guignol en peignoir dans les couloirs, pas de problème. Ressembler à tous ces petits vieux qui font une cure, si ça peut te faire plaisir. Je veux bien. J'accepte. C'est le jeu. MAIS JAMAIS JE FOUS CES PUTAINS DE TONGS POUR Y ALLER. JAMAIS TU M'ENTENDS ! MOI, METTRE DES TONGS ? PLUTÔT CREVER ! MOI VIVANT, JAMAIS TU NE ME METS DE PUTAIN DE SALOPERIE DE SA MÈRE LA PUTE DE TONGS. »
Ma chère, tendre et j'ai-comme-l'impression-qu'elle-me-déteste-vu-ce-qu'elle-m'a-fait-endurer épouse m'a regardé comme ça. Et quand elle me regarde comme ça, vaut mieux se taire et faire le truc qu'elle vous a demandé. Même si vous préfereriez vous arracher un testicule avec les dents. Parce que sur l'échelle du danger, le testicule, ça vient après les regards comme ça. Alors j'en filé ces putain de tongs.
J'ai. Porté. Des. Tongs. Il y a même une photo qui traîne quelque part et que vous ne verrez JAMAIS comme preuve de l'infamie commise envers ma personne.

Si jamais j'avais oublié pourquoi je déteste les tongs, cette expérience m'a rappelé toutes les raisons de haïr ces saloperies et ceux qui en portent.
Je suis arrivé au SPA. Et le traumatisme a été tel que je n'ai aucun souvenir de ce qui a bien pu se passer ensuite. Je crois que les plombs ont sauté dans ma caboche. La douleur et l'humiliation étaient trop intenses.
On m'a raconté que j'ai jeté les tongs par la baie vitrée. Elle sont allées s'écraser dans le parterre de fleurs devant l'hôtel. Ou plutôt, en pleine tête de la mariée qui prenait des photos au milieu du parterre de fleurs devant l'hôtel. J'ai couru vers la piscine et j'ai plongé avec panache. Ce qui est un synonyme de : j'ai sauté dedans comme un gros bourrin en faisant une bombe, en plein milieu du cours d'Aquabike, puis j'ai fait l'hélicobite pour jouer avec les jets d'eau avant de pisser du haut du plongeoir. Il a fallu 3 maîtres-nageurs et 4 types de la sécurité pour me faire sortir.
Je me suis réveillé à 4 heures du mat, dans la chambre d'hôtel, sans savoir comment j'ai atterri là. Tout ce que je savais, c'est que j'avais un petit creux. A
lors j'suis allé au resto demander des frites.
Bref, j'suis allé au SPA.
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