Publié le Dimanche 16 août 2020 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Petite grenouille

Ça me rappelle l’histoire de la petite grenouille et du scorpion.
Moi, à la base, vous me commencez à me connaître, je ne suis qu’amour et bonté, calme et sérénité. Le genre de type à qui l’on confierait les yeux fermés ses enfants, son chien, sa femme voire même, pourquoi pas, sa petite grenouille.

C’est justement à cause de ce trop plein d’amour et de bonté que ma femme, avant de partir en vacances en bord de mer, m’a fait signer ce qui ressemble à 10 commandements. Elle s’est présentée à moi comme une sorte de Moïse de notre couple, m’expliquant que sa traversée du désert à elle dure depuis 20 ans à mes côtés et que c’est peut-être moitié moins que l’exode biblique mais vu que c’est deux fois plus difficile, ça se vaut, et surtout que je suis à moi seul pire que les 10 plaies d’Egypte réunies vu que parfois elle préfèrerait se taper une pluie de grenouilles plutôt que de supporter mes conneries.
Moi j’ai répondu que ça commençait à suffire cette histoire de petite grenouille à la fin, mais que bon, je voulais bien lire ses 10 commandements, surtout qu’elle venait de me menacer d’abstinence pendant 6 mois et, bien pire encore, de prendre toutes mes bouteilles de whisky et de les mélanger.

Voici donc le décalogue, les 10 commandements de madame ma femme :
1-    Je suis ta femme ! Tu arrêteras de draguer tout ce qui porte un bikini, voire un monokini, surtout que « c’est joli tout ça, je peux toucher vos seins ? » ce n’est pas subtil comme approche et ça met tout le monde mal à l’aise. Oui, d’accord, pas toi, mais tout le reste du monde.
2-    Apprendre à ses filles à faire des ricochets, ça se fait sur un lac désert, pas dans la mer bondée et surtout pas avec un caillou gros comme deux fois la paume de la main, parce qu’il risque effectivement d’y avoir une tête sur le chemin du caillou. Oui, même si la tête appartient à un enfant qui vient de courir près de ta serviette et d’y mettre plein de sable.
3-    Jouer au volley dans l’eau, c’est acceptable. Pas smacher comme un bourrin, parce qu’il risque effectivement d’y avoir une tête sur le chemin de la balle. Oui, même si la tête appartient à un enfant qui vient de courir près de ta serviette et d’y mettre plein de sable.
4-    Demander poliment à son voisin sur la plage d’éteindre sa cigarette, ça se fait avec le sourire, pas avec une pelle pleine de sable dans la tête. Surtout quand « ah mince, t’as raison, en fait y’avait pas de sable dans la pelle ».
5-    Même si tu penses que ça devrait l’être, le lancer dans la mer d’enceinte Bluetooth de bande de jeunes qui écoutent du Maître Gims n’est pas un sport olympique. Leur demander gentiment d’éteindre leur musique, ça fonctionne aussi. Oui, d’accord, c’est moins drôle, mais ça fonctionne.
6-    Le placage violent n’est pas autorisé au beach volley. Même quand on joue avec le jeune type qui tourne autour de ta fille aînée.
7-    On ne fait pas l’hélicobite pour se détendre le matin sur la plage. Ni pour faire de l’air parce qu’il fait chaud, toujours sur la plage. Ni même dans l’eau pour « faire comme une hélice pour faire avancer le matelas gonflable ».
8-    Même pour déconner, même pour faire une bonne blague, on ne saute pas sur les matelas gonflables des gens qui, sous la violence du saut et ton poids, ont tendance à littéralement exploser.
9-    Le vendeur de beignets n’a pas fait exprès de stationner son chariot juste devant ta serviette, il ne t’en veut pas personnellement. Tu n’es pas un preux chevalier, la crevette gonflable n’est pas ton fidèle destrier, le pied de parasol n’est pas ta lance sacrée et son chariot n’est pas un immonde dragon venu terroriser les paysans. On n’embroche donc pas le chariot de beignets avec un parasol en hurlant « poussez-vous les gueux ». Et « Montjoie les putes de Saint-Denis ! » n’est pas une devise de chevalier que l’on crie sur la plage.
10-    Les grenouilles sont utiles contre les moustiques et font une jolie musique nocturne. Courir sur les pelouses de la résidence estivale en se marrant quand on vient de sauter sur une par mégarde (vraiment par mégarde ?), c’est mal, et ça en met plein les chaussures.
Alors moi, j’ai répondu que j’en avais vraiment marre de ces histoires de petites grenouilles. Mais pour la paix des ménages, pour la survie de ma sexualité et, surtout, pour la sauvegarde historique des effluves Pure Malt, j’ai signé.

Je suis resté bien sage. Pas d’esclandre. Des sourires. Farniente et baignades dans la plus pure tradition estivale façon pépère et mémère.

…

…

…

Et puis hier j’ai craqué.

Je ne sais pas si c’est une énième bouffée de fumée dans la gueule, la petite fille qui a décidé de shooter dans le sable volontairement pour en mettre sur ma serviette alors que je lui avais juste fait un sourire, Bella Ciao massacrée par Maître Gims ou le rouquemoute qui a posé la main sur la hanche de ma fille aînée. Mais j’ai craqué.

En une fraction de seconde, la plage s’est transformée en chaos. Un ballon dans la gueule, un pied de parasol enfoncé dans une enceinte, une pelletée de sable en pleine face d’une enfant et un caillou dans les gencives…

« Mais… mais… pourquoi ? Tu avais signé ! » m’a demandé ma femme.

Et ça m’a rappelé l’histoire de la petite grenouille et du scorpion. « Petite grenouille, petite grenouille » demande le scorpion, « je dois traverser la rivière. Porte-moi sur ton dos s’il te plait ». « Mais non » répond la petite grenouille, « tu es un scorpion, une fois sur mon dos, tu vas me piquer et je vais mourir ». « Réfléchis » dit le scorpion. « Si je te pique, je coulerai et je mourrai. Tu n’as rien à craindre de moi ». La petite grenouille réfléchit et accepte. Mais au milieu de la rivière, le scorpion pique la petite grenouille. Avant de mourir, la petite grenouille se tourne vers le scorpion et lui demande « mais pourquoi ? Je vais mourir et toi, tu vas couler et mourir aussi… ». Alors, le scorpion répond « Je sais. Mais on ne peut pas aller contre sa nature ».

Reste que contrairement au scorpion, j’aurais dû m’échauffer. Le dernier lancer de caillou a été de trop. Résultat, entorse acromio-claviculaire. Décidément, je cumule les blessures.