Publié le Dimanche 26 juillet 2020 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
L'Edito du dimanche
On n'ira pas tous au paradis
C’est décidé, je n’irai pas au Paradis.Je m’en fous de Polnareff, je m’en fous de la rédemption, du pardon, du jugement dernier. Hors de question que je foute un pied là-bas.
Vous allez me dire, c’est l’été, il fait beau, chaud, en plus, y’a plein de gens qui en font crever d’autre juste parce qu’ils sont trop cons pour comprendre qu’un masque, ça se porte sur la bouche ET sur le nez et non pas sous le menton, alors qu’est-ce qu’il nous emmerde avec ses histoires de paradis, l’autre con, au lieu de profiter des ses vacances comme tout le monde ?
Et bien tout a commencé au supermarché. Terreau fertile d’aventures extraordinaires. Une petite vieille, armée en tout et pour tout d’une vieille canne en bois fendu, essayait d’attraper le dernier bocal de soupe malheureusement trop haut et trop au fond du rayon pour ses courts bras décharnés par le temps. Tentant malgré tout de le saisir, elle perdit l’équilibre et aurait très certainement fini sa journée aux urgences pour une fracture du bassin si je n’avais pas, au mépris des gestes barrières, stoppé sa chute en la rattrapant avant qu’elle ne heurte le sol.
Oui, je sais, ça ne me ressemble pas, mais que voulez-vous, nos réflexes ne sont pas à l’abri d’un geste d’une bonté malheureuse.
Pire : j’attrapais le bocal de soupe dont le contenu ressemblait plus à ce que j’ai vu au fond de la cuvette, penché au-dessus de mes toilettes, lors de ma dernière grosse cuite. J’aurais pu, pour rire, le mettre dans mon caddie et repartir guilleret, juste pour la farce, mais dans un élan de bonté, je le tendais à la vieille dame.
« Vous êtes un Saint », me dit-elle comme si je venais de lui abandonner une relique. « Vous irez au paradis ».
Surpris par la remarque, je murmurais un « surtout pas » qu’elle n’entendit pas et repartait finir mes courses, le cœur lourd par cette bonne action qui ne manquerait pas de nuire à ma réputation si quelqu’un l’apprenait.
L’après-midi même, tandis que je terminais de fabriquer un piège à souris maison à base de barbelés et lames de rasoirs, piège qui ne manquerait pas de fonctionner aussi pour les chats (parce que j’ai décidé de rester neutre dans la guerre qui oppose les deux clans), la sonnerie retentit. Deux énergumènes aux sourires plastiques (comprenez qu’ils étaient aussi naturels qu’un bol Tupperware), me tendirent un fascicule en récitant leur litanie : « Le royaume des cieux vous appartient, avez-vous pensé à votre vie après la mort, le paradis vous tend les bras ».
Sur le coup, l’image d’un bon coup de pied en hurlant « This is Sparta » au moment où un quinze tonnes passait, m’a traversé l’esprit. Seulement voilà, je n’étais pas en toge, je n’avais pas de sandales et un « This is Sparta » en chausson, ça manque quand même de gueule. J’ai simplement maugréé un « surtout pas » puis ai quand même pris leur fascicule avant de refermer la porte en expliquant que pas le temps, pas le bon moment, mais je lirai ça un de ces jours.
Je repartais alors à mes occupations le cœur lourd en repensant à cette rencontre qui ne manquerait pas de nuire à ma réputation si quelqu’un l’apprenait.
Enfin, le soir-même, des amis qui nous avaient invités à dîner en compagnie d’autres personnes, avaient trouvé amusant de me placer face au curé qui les avait mariés quelques quinze ans auparavant et avec qui ils étaient restés en bons termes. Que ce soit le goût du rire, du risque ou le vain espoir de m’offrir une quelconque rédemption, je me suis donc retrouvé à écouter les sermons et bonnes paroles d’un homme pieu qui, je dois dire, était fort sympathique au demeurant.
Seulement voilà. Quand il m’a expliqué que nous étions tous des enfants du Seigneur et que le Royaume des cieux nous était ouvert à tous, j’avoue que j’ai vu rouge. Une sorte de trop plein de paradis pour la journée, en quelque sorte.
Non, curé, je n’en veux pas de ton paradis.
Parce que s’il est ouvert à tous, je vais me retrouver au beau milieu de perpignanais, de moissagais, de bruaysiens, d’héninois, de fréjusiens, voire même de biterrois, dont la majorité a la nostalgie des du pas de l’oie et des douches collectives. Que partagent, si on remonte à 2017, quelques 34% de la population française.
Je n’y peux rien, mais je préfère prendre ma douche tout seul. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, je préfère encore le bruit des tongs que celui des bottes. Et, pour te montrer, curé, à quel point mes aspirations et mon mode de vie sont incompatibles avec les idées qui viennent du bas du front, moi, quand je voyage en train, je prends des billets en première. Pas en wagon à bestiaux.
Alors curé, tu peux bien le garder pour toi, ton paradis.
Surtout, si à la haine raciale, j’y croise aussi l’intolérance crasse des amours différentes.
Parce que si « heureux sont ceux qui ont l’esprit simple car le royaume des cieux leur appartient », ça veut aussi dire que je vais me retrouver avec des gens cons comme des glands. Du genre de ceux qui croient en une religion dont j’ai toujours cru que le leitmotiv était l’amour et la tolérance, mais qui n’hésitent pas à déverser leur haine dans la rue ou sur les réseaux sociaux juste parce qu’un homme aime un homme ou une femme aime une femme.
Cette recrudescence alarmante et consternante de la haine des amours singulières me remplit de dégoût, me met le rouge de la honte aux joues et les larmes de la tristesse aux yeux. Oh, elle n’est pas liée uniquement à ta religion, curé. Mais avoue que celle-ci constitue un terreau fertile pour la haine et le clivage.
Alors tant pis si je rate les petits angelots qui jouent de la trompette, les petits nuages blancs et la toge qui va avec. Tant pis si je rate le soleil, le chant des oiseaux, voire même le jardin d’Eden où j’aurais pourtant, j’en suis sûr, pris un immense plaisir à déambuler la bite à l’air au milieu des hautes herbes, pourvu que là-haut, il n’y ait pas de tiques.
Je te laisse ton paradis, curé. Et si tu y croises le fils de Dieu, demande-lui, à tout hasard, si avec ses 13 potes (car oui, ils étaient treize et non pas douze, vérifiez), ils ne se réchauffaient pas tous de temps en temps, corps contre corps, durant les froides nuits de Jérusalem. Dans ce cas-là, ça te calmerait un bon paquet de crétins intégristes.
Et si jamais mon existence n’a pas convaincu le Big Boss que ma place post-mortem est au sous-sol, peut-être que le précédent paragraphe m’ouvrira tout grand les limbes infernaux où mon purgatoire m’attend. J’y serai torturé pendant des siècles, obligé à porter des tongs avec des chaussettes tout en écoutant du Jul, du PNL et du Maître Gims. Ce sera toujours plus supportable que les sourires carnassiers des extrémistes raciaux et sociaux.
Et puis, comme on disait quand on était mômes, Satan m’habite.
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