L'Edito du dimanche

 

Publié le Dimanche 12 juillet 2020 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Cheville cassée

« Et c’est ainsi que j’ai passé tout ma journée aux urgences. »
Le silence qui suivit cette déclaration et le regard incrédule des amis avec qui nous dinions me fit comprendre que j’en avais soit trop dit, soit pas assez. Dans le doute, pour bien faire comprendre que l’histoire s’arrêtait là, je rajoutais, un peu comme une excuse :
« Mais ça va. Ça ne fait presque plus mal. Je ne dis pas que dans une semaine, je courrai comme un lapin, mais bon. Ça va aller »

Bien. Je sens que je vous ai perdu vous aussi. Il vaut mieux, peut-être, que je recommence le récit au début, pour que tout le monde se fasse une meilleure idée de la situation et que chacun y tire ses propres conclusions.

Bref. Hier soir, nous étions invités à dîner chez des amis du village. Barbecue, chamallows à griller sur le feu, alcool à volonté surtout pour moi, quelques salades pour ces dames (parce que la salade, c’est bien connu, c’est uniquement pour les dames)… Moi qui suis d’ordinaire si preste à courir dans le jardin ; qui pour jouer avec mes filles ; qui pour montrer aux petits garçons qu’à notre époque, jouer au foot, ça voulait aussi dire faire des tacles au niveau des genoux ; qui pour montrer mon adresse au lance-pierres sur les chats du quartier ; qui pour montrer que même un arc à ventouses pour enfant, quand tu retires la ventouse et que tu tailles la flèche en pointe, tu peux tuer un pigeon avec ; suis arrivé clopin-clopant avec une jambe en vrac. Je me suis affalé sur une chaise et n’ai pas bougé de la soirée.

Me voyant si diminué (quoi que j’avais encore mes bras pour lancer des cailloux), le pied tendu et les béquilles à portée, les autres invités et nos hôtes se sont étonnés de me voir si vulnérable. Bon. Je crois avoir entendu un « au moins, il ne terminera pas la soirée en faisant l’hélicobite sur la table ». Ce qui d’une part est injuste, parce que je ne fais pas systématiquement l’hélicobite sur la table en fin de soirée, vu que des fois, il n’y a pas de table, et d’autre part, qui est une méprise parce qu’avoir une cheville cassée n’empêche en rien de faire le ventilateur avec sa queue.
Mais rapidement, les questions ont fusé : « comment tu t’es fait ça ? » « qu’est-ce qui t’es arrivé ? » « comment tu t’es cassé la cheville ? » ou encore « qui est-ce que tu as frappé à coups de pied ? »
Bon. Dans le lot des interrogations, j’ai quand même eu droit, heureusement, à un « tu veux boire quelque chose ? ». J’ai eu aussi un « ça fait mal si j’appuie là ? » lancée par un enfant à qui j’ai répondu « et toi, ça fait mal si je te tape là avec mes béquilles ? » (la réponse fut oui).
Finalement, donc, j’ai expliqué les événements qui m’ont conduit à être dans cet état. Et ai terminé mon récit par « Et c’est ainsi que j’ai passé tout ma journée aux urgences. »

Voilà.

Bon. Je vois qu’une fois encore, tout n’est pas forcément très clair. Mieux vaut, donc, que je raconte depuis le début, dans le détail, ce qui a bien pu m’arriver pour finir avec un bout d’os qui balade dans la cheville, alors qu’il aurait dû y être rattaché…

Le confinement couplé à la chaleur de l’été semble avoir grandement agité les hormones des ados. Depuis l’autorisation de vaquer à nouveau à nos occupations, il semblerait que certains aient oublié les principes mêmes de précautions face à ma gamine. Et je ne parle pas seulement des gestes barrières, mais aussi de son père, tout autant barrière, voire plus, en fait, parce que la barrière, vous risquez de la prendre dans la gueule.

Ça a commencé avec un ami de classe de ma gamine qui a décidé d’inviter plusieurs amis pour un après-midi piscine. Malgré ma légère désapprobation quant à la participation de ma fille aînée, une réticence exprimée tout en subtilité et en contenance, comme je sais l’être aux moments opportuns (« Putain, qui c’est ce suicidaire qui invite ma gamine à une partouze aquatique, bordel, que je lui pète les deux genoux à coups de batte de baseball ? »), j’ai finalement accepté qu’elle y aille. Surtout parce que ma femme m’avait menacé d’une grève du sexe et que, bon, des fois, faut revoir ses priorités.

Résultat, y’a quand même un gonze qui a flirté avec ma gamine.

J’ai réagi avec détachement et maîtrise de soi (« Tu vois, j’avais raison ! Où est ma batte, j’vais aller lui refaire la dentition façon scorbut ! ») et suis finalement resté la zénitude incarnée, sans rien dire, ni faire. Surtout parce que ma femme m’avait menacé d’une grève du sexe et que, bon, des fois, faut revoir ses priorités.

L’histoire n’est finalement pas allée plus loin. Le gus n’ayant pas « donné suite » apparemment et ma fille n’étant pas plus intéressée que ça. Un flirt d’adolescence, entre potes, comme il en a déjà existé, comme il en existe et comme il en existera toujours. Rien de méchant, donc.

Mais quand même. « Ne pas vouloir donner suite » à ma gamine, c’est insultant. Bon, je suis d’accord, elle n’était pas intéressée non plus. Mais lui aurait dû l’être. C’est ma gamine, quand même. Je me suis donc mis en quête de ma batte de baseball pour lui refaire la colonne vertébrale façon Quasimodo. Bon. Je vous rassure, je sais me raisonner. Je n’ai strictement rien fait. D’accord, surtout parce que ma femme m’avait menacé d’une grève du sexe et que, bon, des fois, faut revoir ses priorités.

Cette semaine, pour éviter d’avoir des gamines dans les pattes qui se plaignent que la connexion Internet n’est pas assez bonne, que vous squattez la télé à tester vos jeux pourris, qu’elles veulent aller faire les boutiques pour acheter des chaussures, qu’elles veulent aller faire les boutiques pour acheter des fringues, qu’elles veulent aller faire les boutiques pour acheter des sacs, qu’elles veulent aller faire les boutiques pour acheter des produits de maquillage, bref, qu’elles veulent aller faire les boutiques pour acheter tout court, sans oublier le « pourquoi t’a mis la bande-passante en priorité ton PC, on peut plus regarder Youtube en même temps que Netflix ! », j’ai inscrit les deux à une école des sports. Une journée entre enfants à taper la balle, quelle qu’elle soit.

J’aurais dû me douter que les ados n’y allaient pas seulement pour taper la balle, mais aussi pour se taper autre chose.

Résultat, ma fille aînée nous a ramené un gus. Pire. Elle a passé le niveau flirt pour atteindre le niveau bisou. Premier bisou.

Je suis ravi pour elle. Sincèrement. C’est dans la logique des choses, la logique de l’évolution des gens, la logique des enfants qui grandissent, c’est mignon, c’est beau, c’est gentil à cet âge-là, ah là là! ça me rappelle moi à leur âge et d’ailleurs, en parlant de ça, où putain de bordel de merde j’ai mis ma putain de batte de baseball pour aller lui refaire le sourire façon Elephant Man à cet enculé de sa race ? Et m’en fous, grève du sexe ou pas, ça va saigner des gencives, sortez les pébrocs, y’a une pluie de ratiches annoncée par Météo Baston, où est ma batte de baseball, hein ? hein ? hein ?

Et finalement, ce fut l’accident con. A défaut de batte, j’ai pris plus soft, une barre à mine. Puis j’ai retrouvé ma batte de baseball, alors j’ai lâché la barre à mine.
Ça m’apprendra à ranger mes affaires au lieu de les laisser traîner : En faisant demi-tour avec la batte en mains, j’ai glissé sur la barre à mines et me suis écrasé comme une merde sur la table basse en bois du salon.
Résultat, une cheville cassée et des échardes plein le cul.

« Et c’est ainsi que j’ai passé tout ma journée aux urgences. »

 

 
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