Publié le Dimanche 24 mai 2020 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
L'Edito du dimanche
Antéchrist
Bon. En fait, à bien y réfléchir, je pense que la pandémie actuelle, c’est de ma faute. Alors je vous rassure et, surtout, épargnez-moi vos insinuations malsaines et pleinement mensongères : je n’ai ni arraché des têtes de chauve-souris à pleines dents, ni forniqué avec un pangolin. Même consentant. Non. Mais j’ai quand même toutes les raisons de croire que le Coronavirus, ben… j’y suis pour quelque chose.Je vous explique.
Déjà, cette année, j’avais décidé de voyager. Mes investissements dans des projets immobiliers* en Colombie rapportant enfin, j’avais prévu quelques petits séjours touristiques sur d’autres continents. J’avais même déjà pris les billets pour un aller-retour en Floride dans le but d’aller taquiner les alligators.
Oui parce qu’un soir, après deux ou trois bouteilles de whisky, je ne sais plus, j’ai comme un trou de mémoire, on a parié avec un pote que si je suis armé d’une petite cuillère, sans problème je défonce un alligator en un contre un. Alors on avait prévu d’aller vérifier ça sur place.
C’était sans oublier que le destin est une pute et qu’il aime pourrir la vie des gens et en particulier la mienne. Il aurait pu choisir de me faire mourir soudainement étouffé par une cacahuète un soir de cuite, mais il a finalement décidé d’agir d’une manière nouvelle. Originale et qui ne manque pas de style, certes, j’en conviens. Mais de me pourrir la vie quand même, à grands coups de pandémie et de fermeture des frontières. Je vous rassure, j’ai été remboursé tout de suite. Quand on envoie une photo de ses enfants à l’agent de voyage, il a tendance à ne pas faire le difficile pour accepter le remboursement immédiat avec même un petit supplément bonus pour le désagrément.
Alors en ce qui concerne mes envies d’ailleurs et la pandémie, certains pourront toujours parler de coïncidence. D’accord. Imaginons, parce que vous êtes un peu obtus quand même, que c’est une coïncidence.
Un autre évènement récent m’a définitivement convaincu que je ne suis quand même pas étranger à la situation actuelle…
Tout a commencé par une promenade innocente de ma fille aînée, dans le village où nous habitons. Depuis le confinement et l’autorisation de sortir une heure par jour, elle s’est en effet prise de passion pour une petite marche, casque dans les oreilles, à fredonner du Ninho, du Gradur, du Sniper et même, je l’ai surprise une fois, du Jul. Moi quand j’entends ça, j’aurais plutôt envie de lui jeter des cailloux. Des petits cailloux taille pavés. Très fort. Mais bon. Elle écoute ça à l’extérieur du domicile familial donc je laisse faire. Je suis faible. Je sais.
Quelques ouvriers, du genre gros cliché de l’ouvrier chaleureux issu de l’Union Européenne d’un pays au sud de la France et à l’Ouest de l’Espagne, avaient décidé de s’organiser, pour passer le temps de ce long week-end férié, un barbecue. Ou plutôt, comme ils se plaisaient à le dire avec leur accent chantant, un « barbequiouche ».
Ah ne vous méprenez pas. J’aime la douce odeur des pastéis de nata ou encore celles des pastéis de bacalhau, la douceur de vivre algarve, la cordialité de ce peuple chaleureux.
Un peu trop chaleureux, seulement, à la fin d’un barbequiouche trop arrosé, trouvant soudainement qu’une gamine de 15 ans, c’était charmant et ça méritait qu’on la hèle, qu’on la siffle et qu’on la suive…
Vous me connaissez. Je suis un amoureux de la langue française. Quand, traumatisée, ma gamine m’a raconté ce qui venait de lui arriver, je suis allé avec dévotion et juste dans l’unique optique de favoriser leur intégration, expliquer à ces chaleureux hommes, ou si vous préférez, ces hommes en chaleur, qu’on ne dit pas « barbequiouche ». Avec une méthode d’apprentissage rapide, à base de
« je ne retire pas ta tête de la grille tant que tu n’as pas épelé le mot Barbecue sans faire de faute et fais vite, parce que ton maillot de foot Ronaldo, il commence à prendre feu lui aussi. »
Bref, j’ai encore eu des problèmes.
C’est ma psy qui m’a conseillé de faire des efforts, d’apprendre à « prendre sur moi » et à « lâcher prise ». Alors je lui aurais bien dit que l’expression « lâcher prise », au bout d’un moment, faut arrêter et que si je chope le gros con en collants amateur de yoga qui a lancé cette mode, je lui fais bouffer son tapis d’exercice, j’ai quand même décidé de faire un effort. Et d’aller faire mes courses, zen, au milieu des autres consommateurs, sans m’énerver, gentil, détendu. Pour la peine, j’avais même sorti mon beau t-shirt « Free Hugs », malgré les réticences de ma femme en raison de la nécessité du respect des gestes barrières. Et je suis donc parti au supermarché en me répétant en boucle mon nouveau leitmotiv : « Je ne suis qu’amour ».
Tout s’est bien passé.
Enfin au début…
Je n’ai rien dit sur les gens qui laissent leur caddie en plein milieu du rayon pendant qu’ils se servent. Je n’ai rien dit sur les gens qui goûtent les fruits avant de les acheter. Je n’ai même rien dit à l’employé sans masque qui mettait les baguettes dans le papier.
C’est juste que dans un rayon, alors que je poussais vaillamment mon caddie, mon masque chirurgical bien posé sur mon visage, un homme est arrivé, s’est stoppé net, m’a fixé avec des yeux exorbités, s’est mis à hurler et s’est écroulé sur le sol sans connaissance.
J’ai eu beau expliquer au vigile, puis aux pompiers que non, je ne l’ai pas frappé, ni même touché, que j’étais à dix mètres, que je ne lui ai même pas lancé une boîte de petits pois dans la tête, que je n’ai rien fait, ils l’ont emmené à l’hôpital sans trop me croire.
Moi j’ai terminé mes courses sans broncher, j’ai payé la caissière qui suait à grosses gouttes, paniquée, et je suis rentré bien sagement chez moi. Avec ce doute bien installé qu’en fait, si ça se trouve, je suis le mal incarné. Et si je suis le mal incarné, si ça se trouve, l’année dernière, quand j’ai gueulé contre les chauffards en priant pour qu’ils crèvent tous d’une sale maladie, ben…
Purée. Merde. Si ça se trouve, je suis l’antéchrist.
*D’accord, je devrais plus dire « futurs projets immobiliers », mais dans l’attente d’obtention de toutes les autorisations, mes partenaires et moi avons décidé de patienter en cultivant nos 38 hectares avec une plante locale, la coca, parce qu’on aime bien les boissons gazeuses.
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