Publié le Dimanche 29 septembre 2019 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Câlins gratuits

Le week-end dernier, alors que je fouillais dans les recoins d’une partie de mon bureau depuis longtemps laissée à l’abandon, à tel point qu’il s’est créé un écosystème qui lui est propre, je suis retombé sur le DVD du film « Mes vies de chien ».
Etonnamment, même si j’ai un vague sentiment que le film était « bien meilleur que ce à quoi je m’attendais », je n’en gardais plus aucun souvenir précis. Et pourtant, il date de seulement deux ans, preuve que mon Alzheimer n’est jamais caché bien loin. D’ailleurs, je ne sais plus du tout où j’ai pu mettre mes chaussettes.

Mais bref. Une petite copie sur mon PC portable plus tard, je me suis décidé à le regarder dans le train, lors d’un de mes nombreux allers-retours à Valenciennes, ville où je dispense mon incommensurable savoir et mon génie colossal à une plèbe benête qui, il paraît, est l’avenir de notre pays, c’est dire si l’on n’est pas dans la merde.
Toujours est-il qu’en plein milieu du film, j’ai senti quelques larmes couler sur mes joues. « Ça ne va pas, monsieur ? Vous voulez un mouchoir ? » me demandait alors gentiment ma voisine de fauteuil, alarmée de voir un grand gaillard comme moi chialer comme une pucelle à un concert de Justin Bieber. Un « ta gueule » plus tard, suivi d’un soufflage de narines dans mes manches, juste dans le but de montrer que bon, quand même, j’suis un bonhomme, je décidais de prendre illico rendez-vous chez le médecin. J’sentais bien qu’y avait un truc qui ne tournait pas rond chez moi.

Le lendemain, donc, ma doctoresse habituelle étant en congés, je me retrouvais devant un type d’une cinquantaine d’années, petites lunettes vissées sur le nez, bien décidé à me trouver une maladie grave pour accrocher à son palmarès. Le genre de médecin qu’on a tous rencontré un jour. Du genre persuadé de faire partie de l’élite et qui vous traite avec un mélange de condescendance et de mépris, vous, le pauvre souffreteux qui vient placer sa vie entre ses mains expertes. Bref, tout ce que j’aime. Au bout de deux questions auxquelles il avait déjà ses propres réponses sans même entendre les miennes, j’avais envie de le jeter par la fenêtre. Il avait du bol que son cabinet soit au rez-de-chaussée, rendant l’exercice totalement inintéressant d’un point de vue figure de style. Finalement, au détour d’une réflexion déplacée sur ma gestion du stress et mon rapport avec les autres, la consultation dérapa.

Au final, donc :
-    Ce n’est pas une dépression. Dans une dépression, il y a un sentiment de dévalorisation de soi, voire une envie d’en finir avec la vie. Sa propre vie, pas celle des autres. D’où le fait que la dépression est à exclure.
-    Ce n’est pas un burn-out. Dans un burn-out, il y a un sentiment d’insécurité. Pour soi, pas être une insécurité pour les autres. D’où le fait que le burn-out est à exclure.
« Bon j’ai quoi, alors ? »
« Vous êtes juste quelqu’un de sensible, en fait. Soyez sympa de lâcher cette chaise, et si vous pouviez m’aider, j’ai le pied coincé sous l’armoire que vous avez renversé sur moi, merci. »
Et après m’avoir assuré que non, la consultation était gratuite aujourd’hui, il a tout de même ajouté que je ne faisais pas de « burn-out », c’était certain, mais que mon attitude était plutôt un « burn-all ».

Bref. Je fais un « burn-all ». Et je suis un gars sensible. Tout est là. Mes larmes étaient des larmes de sensibilité. Tout s’explique.

J’ai donc décidé de faire quelques emplettes. De troquer mon t-shirt « Jaws » contre un t-shirt « Free Hugs ». Pour qu’on ait envie de me faire des câlins. Et c’est gratuit, en plus. J’vous ai mis la photo de mon t-shirt, d’ailleurs, en illustration. J’suis un gars sensible. Donc forcément, j’aime les câlins. J’ai hâte de revoir mes p’tits étudiants pour leur en faire, des câlins. Plein de câlins. Et peut-être même des bisous, d’ailleurs.

J’suis un gars sensible. La vie est pleine d’amour. Venez me voir. J’en ai plein à donner.